DISTANT de Yang Zhengfan

Pour son premier long-métrage, le réalisateur chinois Yang Zhengfan filme en longs plans-séquences treize lieux de sa ville natale, d’un arrêt d’autobus à l’horizon marin, en passant par une maisonnette en pleine campagne ou la lisière d’une forêt : loin d’être étouffé par sa rigidité esthétique et son austérité supposée, Distant se révèle grouillant de vie et de sentiments, plus proche du cinéma d’animation que du théâtre.

 

Le formalisme de Distant aurait de quoi laisser perplexe. Treize plans larges, fixes, tournés à différents endroits de la ville natale du réalisateur, Yang Zhengfan, et toujours à distance du sujet observé (d’où le titre) : ainsi érigée en programme, la rigidité de cette construction laisse davantage augurer d’un petit théâtre agaçant et systématique à la Roy Andersson, que d’une exploration à la manière de Tsai Ming-liang. Distant a pourtant bien davantage à voir avec Stray Dogs par exemple, le dernier Tsai, présenté lui aussi aux Trois Continents 2013, même s’il se revendique comme plus anti-narratif encore.

DISTANT de Yang ZhengfanSi Yang Zhengfan ne raconte pas une histoire unique effectivement, il en fait se succéder de multiples, plus ou moins anodines, à différents moments de leur déroulement. Distant s’apparente à une suite de débuts, de milieux et de fins d’une multitude de péripéties, sans ressembler à un vain film à sketchs, car jamais il ne se départ d’une unité tenant à un principe simple : l’effacement des visages. Les personnages restent impossibles à identifier autrement que par leurs vêtements, leur posture, leur manière de marcher, leurs actions. On craignait le théâtre, et on se retrouve du côté du cinéma de l’animation, avec des êtres réduits à des poupées. Dans le plan-séquence construit autour de la séance photo d’un couple fraîchement uni, au milieu d’un parc arboré, les jeunes mariés ressemblent aux figurines au sommet d’une pièce montée, des figurines qui auraient pris vie, et seraient descendues de leur gâteau pour aller jouer dans la maquette de paysage à leur échelle. Les visages n’existent pas, ils sont toujours trop loin. On les devine inachevé, imprécis, tels ceux des bonshommes aux commandes des modèles réduits d’avions ou de camions.

Plastiquement, Yang Zhengfan accomplit un travail de miniaturiste, de réduction de l’environnement pour le faire tenir dans une boite-film qu’il emporterait ensuite partout. Idéologiquement, cela a un sens, parce que la ville de l’action est un ancien village de pêcheurs devenu une agglomération d’un million d’habitants, sous l’effet du boom économique chinois (la mettre sous film, à tous les sens du terme, comme on met des monuments sous verre dans une boule neigeuse, doit avoir quelque chose de rassurant pour l’auteur). Emotionnellement, ça fonctionne, car l’impossibilité de s’identifier aux personnages trop lointains, trop involontairement burlesques comme on peut l’être chez Jacques Tati, n’empêche pas les sentiments, stimulés par l’agitation de notre regard. Distant n’est pas un repos pour les yeux, et c’est heureux. Yang Zhengfan fait constamment de la direction d’attention, en jouant sur les lignes de fuite (beaucoup d’endroits sont des lieux de passage ou de transition) et les couleurs, en particulier le rouge des vêtements de certains personnages ou celui d’un poisson jeté dans le bleu de l’eau d’une piscine. La fixité totale du cadre renforce l’agitation à l’intérieur du plan, même la plus infime, comme si la caméra fonctionnait à la manière d’un microscope mais, paradoxalement, en nous tenant à distance. Uniquement en inscrivant les individus dans un vaste paysage, le film donne au plan large l’impact émotionnel du gros plan. On scrute les bruissements de ces vues d’ensemble comme on scruterait un visage. Dommage que « loin des yeux, près du cœur » sonne de manière aussi tarte, parce que cela aurait fait un titre plus évocateur que Distant.

 

DISTANT (Yuan fang, Chine, 2013), un film de Yang Zhengfan, avec Chen Shaokai, Xie Chenglin, Huang Qiufa, Luo Yuanhao. Durée : 88 minutes. Date de sortie en France indéterminée.

 

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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