Envoyée spéciale à… Strasbourg 2013
Les yeux rivés à l’écran et l’accréd autour du cou, un regard unique sur un festival atypique… En envoyant une fille qui n’y connaît pas grand chose (Anna, donc) dans un festival essentiellement consacré au cinéma bis et de genre, les tyrans d’Accréds savaient-il l’océan d’appréhension et de crainte dans lequel ils plongeaient leur envoyée spéciale ? Si non, qu’ils soient pardonnés. Si oui, qu’ils le soient moins, même s’il faut concéder une chose : ils tenaient la personne en parfaite condition d’ignorance absolue, pour accueillir tous ces films tour à tour terrifiants, hilarants, dégoûtants ou émouvants. Récit d’un voyage en terre… peu connue.
Le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg accueille depuis six ans maintenant des films de genre dans une très large acception : horreur, thriller, comédie noire, science-fiction, drame fantastique, action, film noir… assurant ainsi une grande variété, loin de se réduire au seul fantastique à proprement parler. Ainsi se côtoyaient cette année en compétition des tentatives aussi différentes que la SF romantique et expérimentale de Shane Carruth (Upstream Color, présenté à Berlin et Deauville US), la mélancolie sensible du drame de Paul Wright, For Those in Peril (Semaine de la Critique cannoise) ou la violence gore de The Station, film de monstre écolo. Ce dernier, long-métrage autrichien de Marvin Kren, se déroule en haute montagne dans un futur proche où le changement climatique provoqué par l’homme a provoqué d’irréparables dommages. The Station recycle quelques clichés du genre (les scientifiques un peu foufous et sans scrupule) mais offre de saisissantes visions, comme celle d’un glacier d’où suinte une étrange matière sanguine. Quand des monstres étranges se mettent à attaquer le petit groupe de héros, le film devient un survival d’une belle efficacité avec des fulgurances mémorables ; telle cette ministre de l’environnement, une dame âgée qui ne paye pas de mine, se mettant à déglinguer un animal mutant à la perceuse électrique. Ça vaut le détour.
Également en compétition sous l’œil du président du jury Lucky McKee, In Fear de Jeremy Lovering, film d’horreur dans lequel un jeune couple se perd en voiture au coeur d’un environnement hostile et labyrinthique, où un mystérieux personnage masqué leur veut du mal. On l’aura deviné au vu du synopsis, voilà un film d’un conventionnel absolu, déroulant tous les codes du genre avec une habileté qui finit par lasser. On apprécie cependant la dynamique des trois héros, notamment le personnage féminin assez cool, ce qui est toujours agréable dans un genre au code souvent très… genrés. On ne peut pas en dire autant de Big Bad Wolves, film israëlien à la mise en scène esthétisante et sans subtilité, qui raconte l’enlèvement d’un jeune professeur par un père de famille qui le soupçonne d’être le pédophile qui a violé et assassiné sa fille. S’ensuivent des scènes de torture d’une exécrable complaisance. Le film prétend – on le suppose – révéler la sauvagerie qui sommeille en chacun de nous, discours éculé affublé d’une fausse ambiguïté morale (l’instituteur est-il vraiment coupable ? On ne le sait jamais vraiment). Toutes les femmes de l’histoire restent hors champ car on le sait bien, c’est entre hommes que se règlent dans la barbarie les grandes choses de ce monde (quêtes, vengeances, tandis que ces dames sont simplement là pour hurler au téléphone quand leurs enfants sont en danger).
« Uma historia de amor e furia » est une histoire d’amour et de révolution – tout est dans le titre – à travers les époques, qui évoque un « Cloud Atlas » rétréci aux dimensions du seul Brésil et d’une heure et quart de récit.
Autre film en apparence très différent, mais tout aussi dégoulinant de beaufitude : Cheap Thrills (E.L. Katz), présenté dans la section Crossover, une comédie noire qu’on pourrait croire inoffensive de prime abord. Alors que le film démarre par un délicat portrait de couple et de famille, il bascule très vite dans une succession de péripéties débilissimes : le héros rencontre un vieil ami de lycée, puis un couple de hipsters sans âme qui leur lance des défis contre des sommes d’argent de plus en plus importantes. Une structure en crescendo, donc, où l’on voit nos deux personnages principaux se livrer à des activités de plus en plus dégueulasses et/ou moralement répréhensibles (frapper un vigile, chier dans la maison des voisins, se couper le petit doigt, etc.) dans un mouvement régressif à la Jackass totalement pathétique. Même s’il fait mine de dire le contraire en mettant du second degré partout et en faisant de son protagoniste, en apparence tout gentil, un beau salaud, Cheap Thrills fait l’éloge d’une masculinité crasse qui abhorre la faiblesse, la douceur et la subtilité. Un défilé de fantasmes périmés qui a pourtant fait rire toute la salle. L’excuse du second degré a de beaux jours devant elle…
Heureusement, il restait des films pour sauver les plus romantiques des spectateurs d’une possible overdose de rires gras et de morales douteuses. Uma historia de amor e furia, film d’animation brésilien de Luiz Bolognesi, est une histoire d’amour et de révolution – tout est dans le titre – à travers les époques, qui évoque un Cloud Atlas rétréci aux dimensions du seul Brésil et d’une heure et quart de récit. Non sans faiblesses, naïf souvent, un peu simpliste et attendu (on cherche encore le film qui voudra bien représenter le futur autrement qu’en un éternel remake de Blade Runner), le film emporte par son souffle romanesque et romantique. Déjà couronné cette année par le Grand Prix d’Annecy, il a reçu à Strasbourg, le prix du public. La mention spéciale du jury est quant à elle revenue au beau film d’horreur « classique » de Marina de Van, Dark Touch, histoire de traumatisme et de perte de l’innocence, dont on reparlera plus en détails.
Pour finir avec la compétition, il convient de mentionner le très singulier Love Eternal de Brendan Muldowny, qui fait d’un sujet glauquissime (suicide et nécrophilie) quelque chose d’assez sensible en racontant le parcours d’un jeune homme (suicidaire et nécrophile, donc) qui s’ouvre à la vie en rencontrant une femme dont, pour une fois, il ne souhaite pas la mort. Plus académique et anecdotique, Static (en séance spéciale), lui, est un home invasion extrêmement pépère, qui suit un chemin archi-balisé et s’achève par le twist le plus éculé de l’histoire des twists. Flop.
« Les martiens déclarent : « nous parlerons désormais entre nous en espagnol, car c’est la langue du pays où nous nous rendons, le Mexique ». Après une telle explication, on sait que le film va être réjouissant.
Deux gros événements ont marqué ce festival : les présentations en premières européennes de Machete Kills de Robert Rodriguez et de All Cheerleaders Die de Lucky McKee et Chris Siverston. À savoir : une suite dans la lignée directe du premier film, et un auto-remake (All Cheerleaders Die fut le premier film, co-réalisé avec Siverston, de Lucky McKee avant le succès du très beau May en 2002 et de The Woman, Octopus d’Or à Strasbourg 2011). Dans les deux cas, malgré le plaisir parodique, une grosse impression de déjà vu… On reviendra bientôt sur All Cheerleaders Die, teen movie horrifique et transgenre qui intéresse et amuse, sans toutefois tenir toutes ses promesses. Machete deuxième du nom, quant à lui, commence par la très drôle bande-annonce d’un potentiel troisième volet dont on ne révélera pas le titre pour ne pas gâcher la surprise. Un casting dingo et décalé défile sous les rafales habituelles de flingues et de lames : autour de Danny Trejo, Michelle Rodriguez, Sofia Vergara, Amber Heard, Cuba Gooding Jr., Mel Gibson, Lady Gaga… and introducing Carlos Estevez (Charlie Sheen sous son nom de naissance) dans le rôle du président des USA ! C’est rigolo, c’est foutraque, c’est too much, mais malgré quelques détails amusants (comme un méchant qui perd régulièrement la mémoire et un virage SF plaisant), le déroulement reste plat et répétitif, le procédé s’épuise encore plus vite que dans le premier volet et le pastiche se renouvelle peu. Si bien qu’on ne sait plus distinguer dans l’entreprise Machete ce qui relève du vrai délire de geek, de la pose « auteuriste » ou du pur concept marketing.
Machete n’était pas le seul badass-mexicain-sauveur-de-l’humanité à Strasbourg cette année, le festival rendant un bel hommage à Santo, l’impayable catcheur lucha libre en slip moulant et masque d’argent. El Santo fut le héros d’une cinquantaine de films d’exploitation de 1961 à 1982, dont deux étaient visibles cette année sous le soleil alsacien. Au début de Santo vs. l’invasion des Martiens, les Martiens en question – qui ne sont rien d’autres que des mecs affublés de perruques et de pantalons moulants – déclarent : « nous parlerons désormais entre nous en espagnol, car c’est la langue du pays où nous nous rendons, le Mexique ». Après une telle explication, on sait que le film va être réjouissant. Plaisir du nanar de science-fiction suranné, avec rebondissements improbables et effets spéciaux cheap et rigolos : vu en fin de festival, voilà qui fait apprécier d’autant mieux la diversité de ses propositions. Le catch était d’ailleurs à l’honneur cette année puisque David Perrault venait présenter dans la section Crossover Nos héros sont morts ce soir, inégale mais belle tentative de (pastiche de) film noir situé dans les années 60, avec un casting de gueules (Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Philippe Nahon).
Autre rétrospective, celle consacrée aux films de singe. On a pu y (re)voir un beau Romero, trop méconnu, Monkey shines (1988), dans lequel un sportif devenu tétraplégique reçoit l’aide d’Ella, une guenon très intelligente mais à qui un scientifique a la bonne idée d’injecter des tissus humains… L’immobilité absolu du protagoniste, et sa quasi histoire d’amour avec son singe continuent de constituer de valeureux éléments de bizarrerie. Il est aussi question de scientifiques dans King Kong Lives, suite par John Guillermin de son remake de 1976, mais eux ressuscitent King Kong, qui va profiter de cette seconde vie pour trouver l’amour auprès d’une femelle Kong. Même si le film est plat, on y trouve suffisamment d’idées de scénario et de mise en scène rigolotes (Kong mâle et Kong femelle ont le coup de foudre, se font la cour, conçoivent un mignon bébé Kong…).
Concernant le Méliès d’Argent (Borgman d’Alex van Warmerdam) et l’Octopus d’Or (Kiss of the damned de Xan Cassavettes), les lecteurs les plus attentifs à nos tweets et à nos micro-critiques savent déjà tout le mal qu’en pense Accréds. Ce palmarès n’entache toutefois pas cette enthousiasmante et chaleureuse édition 2013, portée par une salutaire diversité, à base d’attendus animaux mutants, de tueurs masqués, de fantômes du passé, de visions du futur, mais aussi d’histoires d’amour, d’enfants tristes, et de paysages grandioses.
Le 6ème Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg s’est déroulé du 13 au 22 septembre 2013.