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Deux garçons exclus de leur école se mettent à travailler pour un ferrailleur qui promet à l’un de l’argent facile, grâce au recel de câbles volés, et à l’autre, de devenir un jockey clandestin, pour des courses de trot sur route : Le géant égoïste associe l’intensité d’un sujet digne de Ken Loach à la poésie sans fard d’Andrea Arnold.
L’intérêt d’un festival de cinéma tient à sa capacité à faire résonner les films entre eux, à créer un programme supérieur à la somme de ses parties. Plus l’offre est riche, plus le spectateur est libre de ses choix et plus la recherche d’une cohérence globale lui est déléguée. A Cannes 2013, celui ou celle qui enchaîne Fruitvale Station de Ryan Coogler et Le géant égoïste de Clio Barnard ne peut qu’être frappé par la nature de ce qui les unit et les sépare.
Présenté au Certain Regard, le premier s’intéresse au dernier jour de la victime d’une bavure policière survenue un premier de l’an. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, le second suit deux petits Anglais trop impliqués dans le vol de câbles et de métaux pour ne pas s’attirer de problèmes. D’un côté, la Californie côté black et latino. De l’autre, une Angleterre rurale où persiste le folklore tsigane. Dans ces deux premiers longs-métrages de fiction, une même nature fait-diversière susceptible d’exciter notre sentiment d’injustice. Nous aimons le second, pas le premier. La différence tient à la qualité du regard du filmeur finalement révélé par l’ultime plan.
Fruitvale Station s’achève sur une image documentaire montrant la fillette éplorée de la victime, lors d’une manifestation publique de solidarité. Comme si le propos n’était pas suffisamment limité jusqu’ici – il se borne à une forme de reconstitution – le voilà qui cède grossièrement à la preuve par l’image documentaire, invalidant implicitement la plus-value fictionnelle, attestant involontairement du fait que l’histoire racontée depuis 90 minutes ne vaut que parce qu’elle est vraiment arrivée. A la fin de Le géant égoïste, on voit l’œil d’un cheval et là se trouve le foyer du regard du film. Le plus gros œil de la création, la sphère sombre qui par sa taille et sa nature animale s’apparente au capteur idéal. Nous ne nous attarderons pas sur les liens éventuels entre le cheval et le cinéma, depuis les essais de décomposition du galop en chronophotographie, en passant par Le sang des bêtes de Franju, Le cheval de Turin de Tarr ou Cheval de guerre de Spielberg, car nous ne savons pas bien s’ils sont plus pertinents que ceux impliquant d’autres animaux. A vrai dire, on s’en moque, même si on suppose que cela produit quand même plus de sens de finir un film sur un cheval que sur un canard…
Fruitvale Station et Le géant égoïste s’achèvent en se regardant dans un miroir et révèlent l’en-deçà qui les régit. La différence est telle, que c’est à se demander si les canassons ne seraient pas meilleurs réalisateurs que les hommes. Le géant égoïste est une œuvre à hauteur de cheval, au-dessus de ses personnages mais jamais surplombante, et en même temps capable de les porter, de les soutenir, de les élever. Cela tient au processus particulier de création du film, très documenté (les courses de trot sur routes, la récupération de la ferraille) mais ouvert à l’imaginaire (le titre est celui d’un conte d’Oscar Wilde, l’histoire d’un géant qui interdit l’accès de son jardin aux enfants et se trouve privé de printemps). L’œil de Clio Barnard se place entre les deux, pas trop haut pour ne pas perdre de vue la réalité, pas trop bas pour ne pas se priver de poésie. L’architecture et les décors obéissent à une même logique de lisière, de zones frontières entre campagne et ville. D’incroyables cheminées de centrale nucléaire, montées sur des échafaudages en attendant d’être utilisées ; une épave de voiture chargée sur un sulky, transformant un chariot en automobile moyenâgeuse presque volante et pourtant tirée par un cheval : un monde sur pilotis, comme celui des Bêtes du sud sauvage, mais sur la terre, pas dans l’eau.
Le géant égoïste est plus concret que le film de Benh Zeitlin, nettement plus plombant aussi et pas élégiaque pour un sou. Il ne recourt pas à l’extraordinaire ou à la magie. Tous deux tirent le meilleur de jeunes comédiens stupéfiants, dans des rôles faisant appel à leur nature et à leur capacité à composer à partir d’elle (Shaun Thomas, le brun, adorait les chevaux avant d’interpréter celui des deux garçons qui préfère jouer les jockeys plutôt que les ferrailleurs). Tous deux montrent des jeunes obligés de grandir trop vite, au sein d’un environnement hostile, menacée par la montée des hauts chez l’Américain, par les tensions de tous types, y compris électriques, chez l’Anglaise. Tous deux se focalisent sur la confrontation entre l’enfant et l’animal. Sauf que l’un finit dans la célébration et l’euphorie, quand l’autre laisse stupéfait et triste. Dans les deux cas, on s’en souvient avec grande émotion.
LE GEANT EGOISTE (The Selfish Giant, Royaume-Uni, 2013), un film de Clio Barnard, avec Conner Chapman, Shaun Thomas, Sean Gilder, Lorraine Ashbourne, Ian Burfield. Durée : 91 min. Sortie en France le 18 décembre 2013.