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Présenté au Festival de Cannes via l’ACID, association d’aide à la distribution de productions indépendantes, Donoma a depuis connu un bel accueil critique et une sortie en salles modeste mais solide (le nombre de copies a augmenté en troisième semaine). Succès d’estime et succès mérité pour un film bouleversant et audacieux, qui préfère les pistes aux réponses et les gestes aux discours.
Le fait que Donoma n’ait coûté que 150 euros, qu’il fut bricolé à l’envie et la sueur, dopé par son marketing sauvage, a sans doute accaparé toute l’attention. Les visages inconnus, les images clandestines, la photo cotonneuse, tout ce qui peut rappeler les conditions de tournage du «film-guerilla» de Djinn Carrenard s’estompe au bout de quelques minutes à peine.
Première scène : Salma et Dacio, deux grands ados en couple, se disputent. Impossibilité de s’écouter, de discuter, les mots se heurtent, s’inversent, le verlan remplace l’endroit, mais l’incompréhension se régénère toujours. Les deux personnages se quittent précipitamment, médusés par l’échec de leur échange. A la toute fin du film, un autre dialogue – jumeau « diabolique » du premier tant il déjoue les aspirations divines de ses personnages – témoigne enfin d’un besoin de communiquer patiemment. Peu importe l’issue, la parole est essentielle. Le début butté, propice aux quiproquos, a laissé place à la redécouverte du pouvoir des mots… dans ce qu’ils peuvent avoir de plus toxique, toutefois. Car Donoma ne prétend pas pouvoir résoudre de conflits, confiner au happy end ou proposer de solutions à l’incommunicabilité de ses personnages. Ce qui intéresse Djinn Carrénard, ce sont les limites de la parole : qu’il s’agisse de limites sensibles lorsque deux amants ayant fait vœu de silence recouvrent la voix (pour convoler vers le mensonge puis, pire encore, une redoutée routine) ou de limites physiques lorsqu’un amoureux transi, à distance, ne peut percevoir l’intérêt que celle qu’il désire trouve en son rival. Car pour lui, depuis lui, comment savoir ?
Malgré les barrières, Donoma s’évertue à faire converser ses personnages, coûte que coûte : des discussions chez le psy, des dialogues joués pour garder ses allocations, des confessions sur un pas de porte, etc. Ils tentent.
Salma, c’est la sœur Hadewijch du film de Bruno Dumont qui se prendrait pour le héros de L’humanité
Au cœur du film, le personnage de Salma essaye d’apaiser les conflits, au risque de se perdre. Un personnage galvanisé par la performance éblouissante de son interprète, Salomé Blechmans, qui le guide doucement de la bonté vers la folie par la seule oscillation de ses regards. Salma, c’est la sœur Hadewijch du film de Bruno Dumont qui se prendrait pour le héros de L’humanité. En pleine quête mystique, voguant de plus en plus dangereusement vers la psychose, Salma se pense Sainte, se voit léviter, se pare de stigmates, mais Donoma a la bonté de ne pas la blâmer et de ne pas affirmer son égarement. Djinn Carrénard préfère le doute. Dans son dernier segment, il confirme cette inclinaison lorsqu’intervient un personnage dont la présence à l’avant-plan s’était longuement faite attendre. Après l’avoir surpris, furtivement, en prière dans un train de banlieue, Carrénard le révèle pleinement dans son environnement. Il cadre alors, dans la même ligne de fuite, un drapeau cloué au plafond, le jeune homme et son tee-shirt. Chacun des éléments est double et trouble : le drapeau français est-il un emblème récupéré par l’extrême droite ou la simple trace d’une fierté nationale ? L’homme au crâne rasé est-il affilié à un mouvement néo-nazi ou peut-être atteint d’une leucémie, comme l’est la propre sœur de Salma ? Son tee-shirt à l’effigie du Che Guevara se veut-il vestige d’une révolution passée ou étendard fashion et pop ? Rien n’est simple, rien n’est clair. Après avoir enfilé son Che, il retrouve Salma. Au terme d’une longue discussion sur la foi, elle finit par lui asséner une vérité qu’elle maudit : « Nous sommes flous ». A ce stade, le filmage « guerilla », hic initial, est devenu une correspondance formelle bien heureuse, tant les décadrages et les visions brumeuses collent aux incertitudes des personnages. Donoma se couvre de ces zones grises qui empêchent les personnages de faire confiance, de croire, de s’attacher ou simplement de connaître et comprendre les autres. Leelop, jeune femme blanche aux parents noirs, souffre de cette particularité qui, selon elle, l’a rendue différente aux yeux de tous. Chris, adoptée par un couple de diplomates, essaye, de son côté, de se persuader que se lier à autrui sans connaissance préalable peut s’avérer bénéfique. De fait, elle choisit son homme en random. Le film étire sans fin ce réseau d’incommunicabilité à raboter, de désirs contredis et d’actes d’amours trop intéressés.
Aime-t-on sa moitié, ou aime-t-on aimer ?
C’est peut-être lorsque Donoma s’interroge sur l’amour qu’il est le plus bouleversant : existe-il des gestes d’amour désintéressés ? Que fait-on pour soi, pour l’autre ? Aime-t-on sa moitié, ou aime-t-on aimer ? Même si Djinn Carrénard emprunte des chemins de traverse, accouplant certaines paires mal accordées, en dissociant d’autres qui semblaient soudées, interrogeant sans cesse la foi, l’avenir et les peurs de ses personnages, il en revient toujours à parler d’amour. Donoma ne se pare pas d’amertume, mais d’inquiétudes. Aime-t-on convenablement ? C’est ce qui taraude Salma lorsque celui qui l’aimait en secret lui avoue ses sentiments. Il lui envoie son seul ressenti au visage, mais sans penser à elle. C’est ce qui gène aussi Salma lorsque l’homme qui prie lui énonce maladroitement les raisons qui régissent sa nouvelle foi. Il prie pour savoir s’il a bien raison de le faire ; pour être sûr qu’il ne perde pas son temps, en somme. Puis ce sera au tour de sa propre sœur, Soraya, de lui renvoyer la pareille lorsqu’elle quitte leur foyer pour se faire hospitaliser : Salma déplore son départ, mais à qui songe-t-elle quand elle lui fait part de sa déception ? Elle aussi, aimerait-elle plus encore son amour que l’objet de son affection ? Dans le doute, les sœurs se fâchent. Quelques secondes seulement… puis Salma l’embrasse et l’amour réapparait aussitôt. Malgré la légitimité théorique de la rancœur, le corps de Soraya s’emballe seul et enlace Salma.
Donoma n’avait pas à trancher sur le pouvoir de la parole : impossible de savoir si elle annule ou libère l’attrait, la compréhension, l’amour pour l’autre. La réponse existe, mais plutôt que de la chercher, Djinn Carrénard la laisse de côté et mise sur le geste, le liant, pour faire avancer (encore un peu) ses personnages confus et flottants. Adorablement flous.
PS : Petit bonus, une scène du film dans laquelle Dama (Sékouba Doukouré) demande à sa sœur (Delphine II) de l’héberger.
DONOMA (France, 2011), un film de Djinn Carrénard, avec Salomé Blechmans, Vincente Perez, Emilia Derou-Bernal, Laura Kpegli, Sékouba Doukouré. Durée : 133 min. Sortie en France le 23 novembre 2011.