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La vingt-quatrième édition du festival Premiers Plans s’est tenue du 20 au 29 janvier dernier. Comme tous les ans, le festival a présenté une considérable sélection de premiers et deuxièmes films – films d’école, courts-métrages et longs-métrages ; mais aussi des rétrospectives très excitantes, parmi lesquelles Alan Clarke et Godard.
JLG, pour commencer. Tous les festivaliers ont eu droit à quelques images de lui, puisque la très belle bande-annonce, diffusée avant chaque projection, était un extrait dansé de Bande à part. Mais encore ? À côté des immortels Mépris, À bout de souffle et Pierrot le fou, on pouvait voir à Angers des films beaucoup plus rares : courts-métrages de toute époque, documentaires télévisés (France tour détour deux enfants), ou encore un entretien émouvant et passionnant entre JLG et l’un de ses maîtres, Fritz Lang (Le dinosaure et le bébé). Au rayon long-métrage, citons l’incroyable Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma, un essai de 1986 dans lequel les Jean-Pierre, Mocky et Léaud (qui arbore ici une magnifique moustache), tentent de monter un film mais sont confrontés à la puissance nouvelle de la télévision. Godard y fait une apparition dans son propre rôle : il papote avec Mocky dans une voiture, fait des blagues sur Polanski et explique pourquoi il s’est installé à Reikjavic : « c’est là qu’il y a eu la plus grande partie d’échecs du monde, alors je me suis dit que c’était ma place ! ». Le film a un aspect solennel (il est question de la mort du cinéma, comme toujours) mais il est aussi d’une drôlerie permanente ; et les formules godardiennes fonctionnent plus que jamais. Dans un moment déchirant, Mocky déclare que si le cinéma et la photographie ont commencé en noir et blanc, c’est qu’il nous fallait faire le deuil de la vie. Imparable.
S’il y a un genre qui fait tout sauf le deuil de la vie, c’est bien la comédie musicale. Angers lui a fait la part belle avec sa rétrospective Danse / Cinéma qui a offert aux spectateurs le bonheur de voir sur grand écran les merveilleux classiques que sont West side story, Chantons sous la pluie, Tous en scène, ou encore Les chaussons rouges ; mais aussi de découvrir des films plus rares et étonnants. Rize, premier long-métrage de Dave LaChapelle, est un très beau documentaire sur le « krump », genre de street dance né dans la communauté Afro-américaine de Los Angeles, à l’énergie galvanisante. Également Mods de Serge Bozon, un film bizarre et stylé à la bande son absolument géniale. De Pina Bausch au kung fu (avec Il était une fois en Chine de Tsui Hark) en passant par des courts-métrages souvent très formalistes, une sélection très belle et éclectique.
L’un des événements de Premiers Plans cette année était la rétrospective Alan Clarke, ce cinéaste britannique trop rare dont l’œuvre radicale reste encore difficile d’accès. On pouvait ainsi voir six de ses films tournés au sein de la BBC, tous relativement courts (entre 40 et 90 minutes). Le plus célèbre d’entre eux est certainement Elephant, moyen-métrage de 1989 qui a inspiré à Gus Van Sant sa Palme d’Or éponyme. Il consiste en une suite dix-huit assassinats perpétrés à Belfast par des membres de l’IRA dans les années 70 et 80. Dix-huit scènes de meurtre, et rien d’autre. Aucune musique, aucun dialogue, aucune mise en situation, aucune explication, aucun véritable personnage : simplement le fait brut et barbare, la violence pure, l’acte de tuer en lui-même. Clarke montre la barbarie sans détour, comme un indicible, un incompréhensible, un trou dans le temps. Le monde d’Elephant est un monde de silence et de vide. Ce film hypnotique et suffocant qui montre la violence sans la moindre complaisance, est d’autant plus angoissant que l’issue de chaque scène est connue d’avance. Loin de banaliser la violence en l’accumulant, Clarke nous la rend plus insupportable. La violence est aussi au cœur de Scum (1979), qui prend place dans un centre de détention pour mineur où sévices et humiliations se répètent jusqu’à la nausée. Ces deux films, ainsi que Made in Britain et The Firm sont disponibles en DVD depuis octobre dernier grâce à Potemkine. En revanche, deux des films présentés à Angers sont encore inédits en France : le film de guerre Contact, et Christine, récit de l’errance d’une jeune adolescente de treize ans, accro à l’héroïne et dealeuse à ses heures. Le film s’attache aux pas de son personnage, captant chaque geste avec une neutralité imperturbable. La caméra suit de dos Christine marchant dans les allées de son quartier, exactement comme celle d’Elephant poursuivait les meurtriers de l’IRA prêts à passer à l’acte. Le style de Clarke repose beaucoup sur l’idée de répétition : les mêmes gestes des personnages, les mêmes mouvements de caméra sont réitérés inlassablement. La découverte de ce film semble d’autant plus précieuse et exceptionnelle que sa projection le dernier jour du festival fut semée d’embûches : faute de sous-titres disponibles, la traduction se faisait par des casques au fonctionnement aléatoire ; par ailleurs, la projection a dû être reprise deux fois à cause de problèmes de format. La présence très investie, tout au long du festival, de la fille du cinéaste, Molly Clarke, a ajouté à notre impression d’assister à un moment fort dans l’histoire de l’œuvre trop méconnue d’Alan Clarke.
Difficile après cela de goûter à la radicalité très artificielle et complaisante de certains films de la compétition. The Invader, de Nicolas Provost est un modèle de film tellement ambigu qu’il en deviendrait presque abject. Le personnage central de ce premier film belge est un immigré africain anonyme qui erre dans Bruxelles et développe une courte, intense mais surtout illusoire passion avec une femme d’affaires mariée. Puissamment exprimée dans une très belle scène d’introduction (la première image n’étant rien d’autre que l’origine du monde), l’idée que le racisme et les résidus du colonialisme reposent sur des problématiques sexuelles aurait pu déboucher sur autre chose que ce cliché éculé du Noir hypersexué et baiseur insatiable. Ceci culmine dans une horrible scène de sexe contre la baie vitrée d’un building, exactement comme dans Shame (ce n’est pas le seul point commun avec le film de Steve McQueen puisque The Invader déploie les mêmes décors ultra attendus de grande ville moderne froide, métallique et inhumaine). On imagine le cinéaste plutôt en empathie avec son personnage de clandestin – pourtant le film finit par se retourner contre son propos en faisant de ce protagoniste un grand baiseur limite érotomane, et de la femme soudain réfractaire une image possible de la terre d’accueil prompte à se lasser bien vite de ses habitants illégitimes. Dans quelque sens que l’on prenne la métaphore, elle est pour le moins douteuse.
Question ambiguïté, on est également bien servi avec le film russe Portrait au crépuscule, d’Anguelina Nikonova, récit complaisant et appuyé du trajet d’une femme violée par un policier, dont la vengeance tourne mal puisqu’elle s’éprend de son violeur. Même si l’on choisit d’acquiescer à ce syndrome de Stockholm improbable, le film reste d’une grande lourdeur dans la peinture de ces intimités torturées comme dans celle d’une Russie bouffée par la misère, l’alcoolisme et la corruption. Quelques instants de grâce et de tendresse viennent ponctuer un film dans l’ensemble pas très fin. Côté français, on trouve entre autres Le paradis des bêtes d’Estelle Larrivaz, film totalement sans intérêt ni formel ni narratif dont on se demande ce qui justifie sa présence en compétition – si ce n’est de faire venir Muriel Robin, d’ailleurs complètement ridicule dans un contre-emploi ultra forcé.
Pour souffler un peu et quitter un instant cette compétition des longs-métrages quelque peu décevante, on a trouvé davantage de bonheur du côté de quelques courts en compétition, tels le roumain Bora Bora, absurde à souhait et formellement très abouti (prix du meilleur court-métrage européen, remis par le jury des longs, allez comprendre), ou le franco-belge Les navets blancs empêchent de dormir, portrait drôle et cruel d’une jeune femme d’aujourd’hui – et meilleur titre du festival ! Dans la section Plans suivants, on pouvait également voir des courts et moyens métrages de cinéastes dont les films précédents furent en leur temps présentés en compétition à Angers. Parmi eux, le très drôle film d’été de Sophie Letourneur Le marin masqué, qui après avoir fait la tournée des festivals a trouvé le chemin des salles pour le 8 février.
Premiers plans 2012 a tiré sa révérence avec 38 témoins de Lucas Belvaux, président du jury à Angers en 2010 et ami du festival. Adapté du roman de Didier Lecoin Est-ce ainsi que les femmes meurent ?, le film s’interroge sur l’indifférence et la responsabilité morale à travers ce qui ressemble à un fait divers : une jeune femme est violemment assassinée une nuit dans un quartier de Strasbourg. D’abord, les habitants de l’immeuble d’en face nient tous avoir vu ou entendu quoi que ce soit. Puis, on apprend qu’en réalité tous savaient ce qui se passaient, mais que personne n’est intervenu. Seul contre tous, le courageux Yvan Attal, rattrapé par sa conscience, désire subir les conséquences morales et juridiques de son indifférence. On sent ce qui a passionné l’auteur de Cavale dans ce faux polar ambigu, et le film est somme toute moins moralisateur qu’il en a l’air. Cependant, une fois donnée la problématique morale du film, elle ne peut plus que se répéter de scène en scène, comme une obsession, une question sans réponse dont l’intérêt finit par s’effriter. Par ailleurs, on a rarement vu chez Belvaux des dialogues aussi faux, aussi artificiels et aussi redondants. Seule une très élégiaque et angoissante scène de reconstitution donne la mesure du film beau et urgent qu’aurait pu être 38 témoins.
Au soir de la cérémonie de clôture, on se demandait ce que les jurys allaient pouvoir tirer d’une compétition pour le moins inégale. Ouf ! Le jury de Christophe Honoré est parvenu à sauver la sélection en distinguant dans son palmarès les rares films vraiment excellents. Il fait donc un triomphe logique au très beau Oslo, 31 août du danois Joachim Trier en lui offrant le Grand Prix ainsi que le Prix d’Interprétation Masculine pour Danielsen Lie. Présenté à Cannes l’an dernier dans la section Un Certain regard, il s’agit de la deuxième adaptation après celle de Louis Malle du roman de Pierre Drieu La Rochelle, Le feu follet. Le film s’attache à la trajectoire d’un jeune homme à peine sortie de cure de désintoxication qui tente de rétablir ses liens perdus avec ses proches, avec la société, avec le monde… avant de le quitter pour toujours. Joachim Trier dépeint cette crise existentielle de manière très charnelle et intense, le spleen suicidaire du héros emplissant tout l’espace d’une douceur macabre. Belle conclusion donc pour un festival à la sélection en demi-teinte mais qui a offert comme chaque année bon nombre de stupéfiantes découvertes.
Le 24e Festival Premiers Plans d’Angers s’est déroulé du 20 au 29 janvier 2012.