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Sarah, spationaute et mère célibataire, s’apprête à décoller pour une mission spatiale d’un an autour de la Terre, laissant derrière elle sa fille de 7 ans : Proxima excelle en tout, dans son approche documentaire des préparatifs au grand départ comme dans sa parabole sur le deuil et la séparation, dans son traitement extraordinaire d’un sujet ordinaire (maman s’absente pour un voyage professionnel… dans l’espace) comme dans son discours féministe.
Il suffit de s’en tenir aux exemples les plus récents – Gravity, Interstellar, First Man ou Ad Astra – pour constater que l’espace n’est pas un lieu mais un endroit confus du temps où renouer spirituellement voire physiquement avec le père, la mère, le fils ou la fille que l’on croyait perdu à jamais. Sorte de prequel officieux à tous ces titres, Proxima est davantage un film de préambule au décollage qu’un film spatial. Il n’y est donc pas question de retrouvailles mais de séparation, entre Sarah, astronaute parée à une mission d’un an en orbite, et sa fille, la bien-nommée Stella, sept ans. Un an, soient douze mois pour Sarah et l’équivalent d’un septième de sa vie pour Stella. Le premier mérite d’Alice Winocour est de se servir de cette modeste relativité du temps pour dérouler deux chronologies : l’une lente, celle de la mère et de ses journées répétitives d’entraînement ; l’autre étonnamment rapide, celle de la fille, qui n’a pas d’amis à l’école puis s’en trouve, qui ne sait pas faire du vélo, apprend, en fait, tombe et se casse le bras, qui est nulle en maths puis cartonne. Alors que la première n’a le temps que pour une vie, la seconde en a des milliers.
Bizarrement, Proxima convoque presque E.T. dans sa manière d’appréhender la mort à hauteur d’enfant, grâce à la montée au ciel d’un être aimé à bord d’un gros vaisseau spatial.
Présenté à San Sébastian en compétition, Proxima a été projeté le même jour que La Vérité, dans une autre sélection, et tous deux ont un élément inattendu en commun. Il y a un film dans le film de Kore-eda, le tournage d’un long-métrage de SF où une mère revient tous les 7 ans de l’espace pour voir sa fille. La mère garde invariablement sa jeunesse alors que la fille vieillit. C’est la même hantise qui guette Proxima : la mère retrouvera forcément à son retour une fille différente de celle qu’elle a laissée, et la fille, elle, devra surmonter une absence qui lui paraîtra infiniment plus longue que ce que laisse penser le calendrier. Alice Winocour adopte alors naturellement cette habitude qu’a le cinéma de faire de l’espace une expérience de mort imminente, parce que c’est comme ça qu’il s’impose aux yeux de la fillette.
Stella doit se préparer à un deuil qui ne dit pas son nom vu qu’il n’y a pas de mort, celui d’une maman dont elle « devait bien savoir qu’elle partirait un jour » (le double sens des dialogues tombe toujours à point), un deuil qu’on lui promet sec en expliquant que les larmes ne coulent pas dans l’espace. Bizarrement, Proxima convoque presque E.T. dans sa manière d’appréhender la mort à hauteur d’enfant, grâce à la montée au ciel d’un être aimé à bord d’un gros vaisseau spatial. A la différence notable qu’il nous fait aussi partager le point de vue de l’adulte, de la mère, guère plus mature quand il s’agit de faire face à la perte (elle repousse le moment où elle doit signer le document certifiant qu’elle veut être avertie pendant sa mission orbitale s’il arrive malheur à sa fille) mais occupée à ne pas faire de sa progéniture une faiblesse, un éventuel défaut que d’autres pourraient retourner contre elle.
Le personnage d’Eva Green ne porte pas son statut de mère en médaille mais n’entend pas opérer une mue quelconque pour le cacher
Si Proxima accompagne Gravity, c’est dans sa revendication d’un statut de mère – ou plus précisément dans son refus de voir le lien maternel associé automatiquement à un handicap à surmonter – beaucoup plus politique chez Winocour que chez Cuaron. Le personnage de Sandra Bullock finissait par ne plus pouvoir le nier alors qu’elle trouvait dans son travail les outils pour gommer jusqu’à sa féminité (avant un retour du refoulé spectaculaire et un atterrissage dans une tenue qui ne cachait plus son corps). Celui d’Eva Green ne le porte pas en médaille mais n’entend pas opérer une mue quelconque pour le cacher. D’où cet échange court et pertinent avec son médecin qui fait la moue quand elle affirme vouloir continuer à avoir ses règles dans l’espace (il lui suggère également de couper ses cheveux, c’est « plus facile » là-haut). D’où cette lutte avec son propre corps qui semble rejeter par avance la greffe spatiale, cette blessure au mollet qui ne veut pas cicatriser pour mieux la retenir sur terre, comme s’il lui fallait se battre non seulement contre les préjugés mais également contre un for intérieur convaincu que la place d’une mère n’est pas dans l’espace.
Des états d’âme de la fillette à ceux de sa mère, le regard de Proxima s’élève constamment, n’oubliant pas d’embrasser précisément les préparatifs au grand départ. Proche d’une adaptation clandestine de la BD Dans la combi de Thomas Pesquet, le film ne fait pas l’économie d’une participation amicale de l’astronaute dans son propre rôle. Un cameo aux effets inattendus : le temps d’une scène, Pesquet, l’authentique, « joue » presque davantage les astronautes qu’Eva Green. Le fait qu’on croit un peu plus au personnage que compose l’actrice qu’à Thomas Pesquet en dit suffisamment sur son interprétation réfléchie (l’anglophone qu’elle est a adopté un léger accent français parce que l’anglais n’est pas la langue maternelle de Stella), évidemment physique, et soutenue par le jeu jamais pris en défaut de Zélie Boulan-Lemesle dans le rôle de sa fille. Toutes deux font de la mission spatiale une affaire de femmes digne de l’hommage rendu dans le générique de fin aux véritables astronautes et mères.
PROXIMA (France, Allemagne, 2019), un film d’Alice Winocour, avec Eva Green, Zélie Boulan-Lemesle, Matt Dillon… Durée : 107 minutes. Sortie en France le 27 novembre 2019.