SCATTERED NIGHT : deux séparations

Sur le point de divorcer, un père et une mère annoncent à leurs deux enfants qu’ils vont les séparer afin que chaque parent ait un gamin avec lui : insensible à l’absurdité de cette décision qui ressemble à un jugement de Salomon, ce premier long-métrage coréen agace malheureusement plus qu’il n’émeut.


Dans le sillage de sa fructueuse sélection au festival de Jeonju (Grand Prix et Prix de la meilleure actrice), Scattered Night s’annonçait prometteur, encore plus à la lecture de son mystérieux pitch : un couple divorce, sans savoir comment s’organiser pour la garde de leurs deux enfants, « jusqu’à ce qu’un jour, les parents fassent une suggestion ». Mais que pouvait bien être cette bouleversifiante « suggestion » ? Le film l’évente très tôt alors faisons de même : le père et la mère ont la riche idée de séparer les deux gamins pour avoir chacun le leur ; pas de jaloux…
On conviendra sans mal à quel point cette espèce de second divorce est stupide, et pourtant, rien ne le dénonce ; ni la mise en scène, atone, ni le flegme imperturbable des personnages. Au contraire, le film l’accepte comme une évidence et l’accompagne. On ressent alors à nouveau ce qu’on avait ressenti devant Tel père, tel fils et son héros qui échangeait son garçon contre un autre, sans que cela n’émeuve plus que ça : la conviction terriblement frustrante d’être la seule personne raisonnable face à une histoire de fous, racontée par des fous. Ici, à chaque fois que l’enfant est assimilé à du mobilier, il ne s’agit pas de le déplorer, simplement de montrer que c’est dur d’être un meuble. Si le but est de nous donner envie de prendre le père pour taper sur la mère et inversement, c’est réussi mais peu gratifiant…

des parents qui parlent d’eux comme s’ils étaient dans la pièce à côté, donnant l’impression qu’ils sont des intermédiaires et pas des décisionnaires

Scattered Night reste commodément à hauteur d’enfants et nous prive de la réflexion des adultes sur le choix de la progéniture. Ca ne l’intéresse pas de savoir pour quelles raisons le père ou la mère va préférer le fils à la fille ou la fille au fils. Il préfère se fixer sur le stress de la fillette, sans l’accentuer par une éventuelle concurrence avec son frère, mais ce choix, s’il témoigne d’une saine empathie envers les enfants, dédouane surtout les parents, en ne donnant pas corps à leur cruauté.
Reste la bizarrerie des conversations familiales où tout le monde parle des parents à la troisième personne (« il en pense quoi, papa ? » demande la fillette à son père, « Papa pense que… » répond le père), au point qu’on met un temps anormalement long à identifier comme tels le père et la mère. Ces tables rondes ne sont pas des moments d’intimité mais des négociations qui ne mènent à rien, avec des parents qui parlent d’eux comme s’ils étaient dans la pièce à côté, donnant l’impression qu’ils sont des intermédiaires et pas des décisionnaires. Cette défausse implicite de leurs responsabilités laisse croire un temps à une réécriture tragique de Papa ou maman, à un gros lapsus qui trahirait le vrai but de la manœuvre parentale, inavouable : séparer les enfants ne serait pas un compromis parce que chaque parent veut le sien mais parce qu’aucun des deux n’en veut. Dommage, jamais le film ne s’engouffre dans cette brèche.

SCATTERED NIGHT (Corée du Sud, 2019), un film de Lee Jihyoung et Kim Sol avec Moon Seunga, Choi Junwoo, Kim Hyeyoung et Lim Hojun. Durée : 81 minutes. Sortie en France indéterminée.

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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