ZEROVILLE : il était un faux à Hollywood

Vikar débarque à Los Angeles, obsédé par le cinéma depuis qu’il l’a découvert 11 mois plus tôt grâce à Une place au soleil, avec Montgomery Clift et Elizabeth Taylor, désormais tatoués sur son crâne : acteur principal et réalisateur, James Franco s’abîme dans ce trip qui tourne au pensum naïf et égocentrique sur Hollywood.

James Franco ne réalise pas que des films médiocres, il en fait aussi des mauvais. Zeroville appartient à cette deuxième catégorie. L’artiste aux talents multiples – mais jamais aussi bon que quand il joue – continue de s’approprier le travail des autres mais élargit son périmètre cette fois. Il ne se contente plus d’un film (Cruising pour Interior.Leather Bar, The Room pour The Disaster Artist) mais du Nouvel Hollywood tout entier. Tourné il y a une éternité, Zeroville se retrouve d’ailleurs en plein espace-temps tarantinien et se confronte même très vite à Manson, quand le héros, Vikar, est interrogé par la police à son arrivée à Hollywood, soupçonné d’avoir participé au massacre de Cielo Drive.

Acteur principal de cette fiction – comment pourrait-il en être autrement ? – James Franco se rêve en monteur-sauveur du cinéma des seventies, génial, simplement parce qu’il refuse la continuité visuelle (principe qui s’applique à Zeroville et semble devoir justifier son découpage hasardeux). Il met un taquet aux movie brats par l’entremise de Seth Rogen empoignant un George Lucas qui veut mettre des robots partout (y compris dans Les Dents de la mer), s’aventure sur le tournage d’Apocalypse Now pour contempler le dos large de Marlon Brando (et monter une scène d’explosion), disserte tel un étudiant en cinéma débutant sur les vertus de… Sunset Boulevard et Casablanca (deux films méprisés, c’est bien connu, mais ne soyons pas vaches, il va aussi voir un Jodorowsky et a du Jess Franco en rayon)… A part une scène rigolote et gentiment moqueuse à l’égard d’Ali MacGraw, incapable de dire correctement sa réplique culte sur le tournage de Love Story (« aimer, c’est ne jamais avoir à dire qu’on est désolé », que Franco prend visiblement à son compte), on ne voit pas quoi sauver.

Le fait que Barbera, patron de la Mostra, n’ait pas retenu Zeroville hors-compétition, comme l’aurait voulu l’usage, en dit long sur l’éclair de lucidité qui a dû le frapper en voyant le film terminé

Il y a bien un embryon d’histoire, lié à la mort prématurée d’une starlette interprétée par Megan Fox, mais Franco (James, pas Jess) est trop occupé à « déclarer son amour au cinéma » pour en faire quelque chose de pertinent. Et quand la défunte apparaît de manière subliminale pendant des projections de films cultes, que notre héros écume les séances pour voler les pellicules et en soustraire le plan où elle figure, qu’il se retrouve avec une collection de photogrammes, lui, le monteur génial, lui qui nous a appris par A+B – grâce à une mentor interprétée par une Jacki Weaver qui ressemble à Tilda Swinton déguisée en Jacki Weaver – que ce n’est pas uniquement le plan qui compte mais l’enchaînement des plans (oui, on en est là)… il n’en fait rien. Il ne les met même pas bout à bout, ne serait-ce que pour faire naître la seule belle scène qu’on attendrait encore, celle d’une Megan Fox traversant d’un même geste des dizaines et des dizaines de grands films…

Que Gus Van Sant, décidément en perdition, Wim Wenders, en perdition lui aussi, et Will Ferrell, au bout du rouleau, participent à cette pantalonnade où la naïveté le dispute à la prétention, c’est leur affaire. Heureusement, il y a Alberto Barbera. Malgré l’anachronisme, le patron de Venise s’est prêté de bonne grâce à l’ego trip de Franco, l’acteur-réalisateur montant sur scène pour y être couvert de (faux) prix, en plein milieu d’une véritable édition de la Mostra. Le fait que Barbera n’ait pas retenu Zeroville hors-compétition, comme l’aurait voulu l’usage, en dit long sur l’éclair de lucidité qui a dû le frapper en voyant le film terminé. Gageons que comme-nous, il a été foudroyé par la prétention de cette conclusion qui fond dans la chaleur du projecteur comme Persona et Two-Lane Blacktop avant elle ; consterné par ce plan ultime du générique de fin, où James Franco, incrusté grossièrement dans Easy Rider aux côtés de Dennis Hopper, nous fait un doigt d’honneur. Un rebelle sans cause, comme dirait l’autre… Zeroville devait figurer en compétition à San Sébastian. Sa sortie inopinée dans les salles russes avant sa présentation lui a valu d’être reclassé hors-compétition. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux.

 

ZEROVILLE (USA, 2019), un film de et avec James Franco, avec également Jacki Weaver, Will Ferrell, Seth Rogen, Megan Fox… Durée : 96 minutes. Sortie en France indéterminée.

 

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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