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Deux couples, l’un strict et riche, l’autre plus bohème, découvrent que leurs fils respectifs de six ans ont été échangés l’un avec l’autre à la naissance : Hirokazu Kore-Eda livre son film symboliquement le plus proche de Air Doll, une parabole possible sur la confusion entre enfant et poupée programmable, ruinée par un mauvais scénario et une deuxième heure tout simplement bête.
Tel père, tel fils n’est pas d’emblée stupide, il le devient. Le gouffre qualitatif séparant sa deuxième heure de sa première ferait presque croire qu’Hirokazu Kore-eda laisse à un autre le soin de finir son film. On passe de la simplicité au simplisme, du symbolisme discret à l’illustration appuyée. L’impression est celle d’un peintre qui procéderait par petites touches, avant d’abandonner son pinceau pour un rouleau, et de tout tartiner. La finesse du trait se perd, seul compte le surlignage et, pire encore, le surlignage de l’évidence. La faute à un scénario raté, aux innombrables béances (Kore-Eda a tort de croire que, parce qu’il arrête de montrer des personnages, le spectateur les oublie) et à une dramaturgie catastrophique.
Dans Tel père, tel fils, deux couples apprennent que leur fils de six ans est en fait celui de l’autre, parce que les bébés ont été échangés à leur naissance. C’est le même postulat que celui de La vie est un long fleuve tranquille, traité cette fois avec davantage de sérieux. Tout ce qui entoure cette révélation fonctionne, même ce qui ne devrait pas (par exemple, l’opposition trop marquée entre la famille froide et BCBG, et l’autre, plus détendue). L’histoire se casse la figure quand les personnages adhèrent au mauvais choix de l’un d’entre eux, le père BCBG, qui décide d’échanger les enfants. Echanger des enfants de six ans, et faire comme si tout continuait comme avant, mais bien sûr…
Pas de problème à voir des êtres prendre une décision aberrante. Le véritable problème, c’est que Hirokazu Kore-Eda passe ensuite une heure à nous expliquer, point par point, en quoi c’est une mauvaise décision. C’est une faute, pas éthique, morale ou autre, mais tout simplement technique. L’erreur commise par le père est d’une telle évidence, qu’elle ne devrait intervenir qu’à la fin du film ou donner lieu à une ellipse de plusieurs années en avant, si elle reste au centre de l’histoire. Dans les deux cas, sa gestion doit être laissée au spectateur, car il n’est pas besoin d’éduquer ce dernier pour lui faire comprendre l’absence de logique de la situation. Si l’on s’entête à s’étendre dessus, il faut alors en gérer toutes les implications, ce qui n’est malheureusement pas le cas ici. Pourquoi le cinéaste qui avait réussi à se mettre à hauteur d’enfants pour Nobody Knows ignore-t-il à ce point les petits ? Nous restons avec le père coupable d’être une autorité mal avisée, sans jamais savoir comment se comporte son ancien fils au sein de sa nouvelle famille (jusqu’ici fils unique, il se retrouve avec des frères et sœurs), sans jamais connaître les conséquences purement pragmatiques (le remplacement d’un enfant par un autre au sein de l’établissement privé où les uns ont été si fiers d’inscrire celui qu’ils prenaient pour leur progéniture).
Cette monomanie empêche évidemment le film de durer deux jours, sauf que nous ne sommes plus face à un scénario, mais à une rédaction de lycéen pressé par le temps, qui entasserait toutes ses idées dans la dernière partie de sa dissertation, en urgence. Ressent-on là une différence culturelle ? Au Japon, le paternel, au sein d’une trinité familiale, est-il Dieu le père au point de régner sans partage ? Est-il si obtus qu’une heure est nécessaire pour lui inculquer certaines évidences, pour lui faire comprendre qu’il n’y a pas de touche reset sur un enfant de six ans ? Ce dernier point reste le plus intéressant, celui qui rapproche finalement autant Tel père, tel fils de Air Doll, que de modèles plus attendus comme Still Walking.
Le père BCBG pourrait sortir de la série Real Humans, diffusée en France sur Arte, tant il ressemble aux modèles actuels d’androïdes japonais masculins, avec son nez haut, ses lèvres pincées et son visage impassible. Il attend de son fils une perfection qui ne vient pas, et profite de l’échange entre les deux enfants pour éventuellement obtenir un meilleur modèle, plus performant. L’une des jolies scènes du film, c’est ce moment où, contrairement à l’autre père, le froid paternel préfère racheter une voiture radiocommandée plutôt que de la réparer. Même principe avec les enfants : plutôt qu’éduquer celui qui déçoit, on en prend un autre. L’accueil du nouvel enfant chez les BCBG a ainsi tout du déballage de l’androïde David dans A.I.. Son père naturel lui lit les commandements qu’il doit retenir, comme s’il parcourait une notice d’utilisation. L’enfant se présente en poupée sophistiquée, et non en personne. C’est très cruel, et il reste possible que le film en soit parfaitement conscient. Quand le méchant père découvre des photos de lui prises par son ancien fils, les larmes lui montent aux yeux, enfin. L’homme se rend compte qu’un enfant est capable de sentiment (encore une fois, qu’il le constate, pas de problème, mais que le film le constate avec lui, problème). On préfère penser qu’il est ému de voir ce fils, supposé faillible, s’avérer capable de se servir d’un appareil complexe, d’avoir des affinités avec une machine. Ainsi le père n’aimerait-il pas son premier fils, il reviendrait vers lui parce qu’il est bien le robot dont il voudrait, comme les hommes d’Air Doll avec la femme plastique. Dommage que cette ambiguïté, susceptible de nourrir de vertigineux moments (quelle scène cela aurait été de voir le nouveau fils remplacer le premier à l’école comme si de rien n’était, et de constater ainsi le formatage de l’institut, indifférent à l’individu…), soit enfouie sous une pédagogie lourde et longue, dont l’objet n’a strictement aucune valeur.
TEL PERE, TEL FILS (Like Father, Like Son, Japon, 2013), un film de Hirokazu Kore-Eda, avec Masaharu Fukuyama, Machiko Ono, Yoko Maki, Lily Franky. Durée : 120 minutes. Sortie française le 25 décembre 2013.