SO LONG, MY SON – here comes the sun

Une fresque éblouissante, narrée sur près de quarante ans et avec malice, par le toujours précieux Wang Xiaoshuai (Beijing Bicycle, Chinese Portrait).

Au début des années 1980, Liyun et Yaojun – interprétés par Yong Mei et Wang Jingchun, tous deux primé·e·s à la Berlinale 2019 – ont un seul enfant, Xingxing. Rien que de plus normal et même normé puisqu’à l’époque la politique de l’enfant unique bat son plein, comme en témoigne un panneau géant à la sortie de l’usine où le couple travaille ; une directive nationale mise en place par Deng Xiaoping et généralement comprise par le peuple chinois, toutefois avec une certaine souffrance pour certains d’entre eux, comme le montre ici Wang Xiaoshuai. Pour le couple au cœur de son film, les choses se compliquent avec la question de garder ou non un second enfant, puis se font plus retorses encore lorsque Xingxing meurt noyé, « remplacé » par un autre garçon qu’ils vont choisir de renommer de la même façon que le premier. Le drame est dévoilé dès le début du film, So Long, My Son opérant des allers-retours temporels complexes, mais qui se révèlent de plus en plus limpides et sensés au fil des minutes. S’il avait été conté chronologiquement, on aurait pu trouver au film une parenté avec le cinéma de Jia Zhang-ke, mais tel qu’il l’est, sa narration, joueuse, rappellera d’avantage celui de Pedro Almodóvar. La séquence initiale est d’ailleurs déjà troublante, scindée en deux puisque le cinéaste créé une ellipse au moment précis de la tragédie et intercale quelques secondes durant lesquelles Xingxing passe à table avec ses parents. Sans doute sont-ce les images d’un dîner d’un autre jour qui s’invitent ici, mais la narration dit dès lors autre chose encore, puisque c’est presque comme si le fantôme de Xingxing venait leur dire adieu alors qu’au loin, il les quitte à jamais.

Pour les parents, le souvenir de Xingxing tient ensuite dans un cadre qu’ils ont conservé, une photo de famille traditionnelle. D’autres souvenirs se forment avec le « nouveau » Xingxing, qui lui aussi a son propre cadre dans la maison. Le motif du cadre trouve par la suite une troisième occurrence lorsque Liyun et Yaojun reçoivent un diplôme de « parents modèles », desservi par leur usine, et dont l’étendue et la noirceur de l’ironie ne gagneraient pas à être précisées ici, mais bien en suivant le dédale narratif du film. Retenons néanmoins cette idée perçante d’un cadre physique, tel la matérialisation d’un cadre moral dont la famille chinoise d’alors ne devait s’échapper, a priori pour son bien. Un motif que Wang Xiaoshuai prolonge par celui du tunnel, qui revient à plusieurs reprises et plusieurs époques, comme pour illustrer la rémanence du phénomène, soit une dimension supplémentaire pour un symbole renforcé de ce cadre normatif dont les arêtes cette fois s’étirent dans le temps. Le cinéaste l’a souvent confié lors d’entretiens donnés pour la promotion du film : à ses yeux, en particulier à l’époque de la politique de l’enfant unique mais encore aujourd’hui, « les chinois ne sont pas moteurs de leur propre vie ». C’est ce que ces motifs conjugués, par le cadre au présent, par le tunnel en liant passé, présent et futur, rappellent au fil de So Long, My Son. Puis au vrombissement de ce  « moteur de leur vie » qui tournerait sans eux mais pour eux répondent une infinité de sons que le cinéaste mixe légèrement trop fort à dessein, et dont les différentes sources se trouvent souvent hors-champ et à l’avant-plan, comme pour évoquer en filigrane et de nouveau symboliquement ce manque de prise sur leur propre destin : c’est d’abord le bourdonnement d’un réfrigérateur qui résonne, puis ce sont le sifflement d’une bouilloire, l’alarme d’une voiture, les à-coups d’une machine à coudre, les tintements des bateaux d’un port, enfin la pluie et le tonnerre qui tonne. Tout cela n’a rien d’assourdissant, mais leur somme le serait. C’est ainsi que Wang Xiaoshuai pense ce récit-fleuve, évoquant les camps de rééducation de la Révolution culturelle, évoquant les lois anti-crime de Deng, et la politique de l’enfant unique donc, ce qu’il construit c’est un édifice imposant, que son couple plein à gravir, un échafaudage de directives éreintantes et une pression sociale latente à chaque marche ; mais n’omettant jamais, pas un instant de laisser la lumière percer, à chaque étage ou presque : ce sont les sentiments, ceux qui unissent Liyun et Yaojun en particulier, mais pas seulement, qui illuminent So Long, My Son.

 

SO LONG, MY SON (Di jiu tian chang, Chine, 2019), un film de Wang Xiaoshuai avec Yong Mei, Wang Jingchun, Qi Xi… Durée : 185 minutes. Sortie en France le 3 juillet 2019.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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