LE LAC AUX OIES SAUVAGES, Chine enragée
Un polar chinois sensationnel signé Diao Yinan (Train de nuit, Black Coal), tout en percussions. Le jury cannois 2019, lui, n’a pas percuté.
Pour faire simple, c’est l’histoire d’un homme en fuite, Zhou Zenong, activement recherché par toute la police de Wuhan dans le Hubei après avoir tué un policier. Le film est construit comme un long morceau de pop, aux refrains apaisés et lancinants, entrecoupés de refrains puissants à intervalles possiblement réguliers, des montées en percussions précédées d’aucun « bridge », arrivant presque par surprise, accélérations soudaines et magnifiques, où le talent de Diao Yinan explose de façon plus limpide que jamais.
Alors, si l’on compare cette proposition à Nuestro Tiempo du mexicain Carlos Reygadas par exemple, sorti plus tôt cette année, qui lui avait rythmé son film par trois séquences maniéristes tonitruantes, s’attardant successivement sur la façade d’un opéra, d’un moteur de voiture et d’une carlingue d’avion, sa rengaine apparaît aussi belle mais plus originale que celle de Diao qui, dans son cas, utilise de « simples » phases d’action composées de bagarres ou de fusillades pour bousculer subitement son récit. Légèrement plus attendus donc, mais encore une fois, ces passages n’en sont pas moins épatants. Il faut voir par exemple la première échauffourée, une rixe dans la cave d’un hôtel entre gangs de voleurs de motos, dont celui de Zenong, au cours de laquelle les coups commencent à pleuvoir, les percussions sonores aussi, et enfin les cuts qui les accompagnent, pour une succession hallucinatoire de plans, l’un sur un flingue fumant, un autre sur un cou étranglé ou sur une ampoule explosée, en somme une dizaine d’inserts qui rappelleraient presque le cinéma de Robert Bresson. Aussi cette traque dans les bas-fonds de Wuhan, coups portés, ombres portées, qui ravive le souvenir de Chien enragé (Akira Kurosawa, 1949). Encore cette séquence d’abord musicale où les policiers se mêlent discrètement à d’authentiques civils se déhanchant sur du Boney M., avant de que le passage ne vire à la traque policière nocturne, s’achevant sur l’image incroyable d’un criminel mourant, entouré par les chaussures à néon des flics undercover.
Mais pour vous figurer le reste du film, les couplets donc, on pourrait cette fois convoquer Aki Kaurismäki – si le cinéaste finlandais avait eu l’idée de réaliser un scénario de Tarantino, par exemple – ceci d’une part parce que la photo du film est très proches des siens, mais d’autre part parce que le filmage semble s’en approcher dans sa façon de ne pas exactement cadrer à hauteur d’hommes, mais légèrement au-dessous, contre-plongée le plus souvent imperceptible, comme s’il souhait surélever, valoriser ses personnages, mais ne l’osait qu’avec timidité. Bien que baignant toutes et tous dans de sales affaires, les figures au cœur du film de Diao Yinan se révèlent aimables au bout du compte, mues par l’amour, à commencer par Zhou Zenong, dont on sait d’emblée que le meurtre initial était une méprise et qui, dans sa fuite désespérée, cherche par tous les moyens à aider et sauver deux personnes qui lui sont chères. Ainsi, Le lac aux oies sauvages qui a été pensé en termes de percussions narratives et formelles pour toucher nos sens n’en parvient pas moins à faire de concert battre les cœurs.
LE LAC AUX OIES SAUVAGES (Nan Fang Che Zhan De Ju Hui, Chine, 2019), un film de Diao Yinan, avec Ge Hu, Lun-Mei Kwei, Fan Liao… Durée : 113 minutes. Sortie en France le 25 décembre 2019.