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Après trois projets imposants (L’Apollonide, Saint Laurent, Nocturama), Bertrand Bonello revient avec un film plus modeste – pas de stars, un récit court et une production légère. Réellement simple et direct au premier abord, Zombi Child gagne sur tous les tableaux : sa forme n’est pas moins stylisée que ce à quoi Bonello nous a habitués, et de nombreuses et passionnantes ramifications souterraines attendent celui qui viendra creuser sous sa surface.
Zombi Child suit en parallèle trois histoires, aux liens en apparence ténus : l’errance d’un zombi à Haïti en 1962, l’arrivée dans une nouvelle école d’une élève réfugiée de ce pays après le tremblement de terre de 2010, et le souvenir transi qu’une autre élève cultive de son amour de l’été passé. Ce marabout-bout de ficelle a pendant la majeure partie du récit le montage comme lien unique, qui peut sembler d’autant plus arbitraire que Bonello ne développe pas d’intrigue (et donc encore moins de connexion entre des intrigues), mais laisse ses personnages vivre leur quotidien, sans les contraindre. Clairvius le zombi vagabonde dans la jungle, tandis que les adolescentes françaises suivent leurs cours et tuent le temps libre sur YouTube ou en fondant des sororités dans leur internat d’élite coupé du monde. La continuité est nette entre cette partie de Zombi Child et le huis clos de la seconde moitié de Nocturama, dans le grand magasin. Bonello reprend là où il l’avait laissé son portrait d’une jeunesse à la fois hyperconnectée au monde et mise à l’écart, car enfermée par les adultes ; et, encore comme dans Nocturama, il prend un grand plaisir à garnir le décor inouï dont il a eu l’idée avec un festin de références hétéroclites.
Plus que comme un lycée français il le filme comme un mélange de campus de teen movie américain et de Poudlard, où le rappeur Damso y croise des scènes de vestiaires évoquant Carrie au bal du diable. Cet endroit est pourtant bien réel – la maison d’éducation de la légion d’honneur, située aux portes de Paris, au pied de la Basilique de Saint-Denis. Ses rituels sur lesquels le regard du cinéaste s’attarde longuement sont eux aussi réels, aussi étranges qu’ils puissent paraître. C’est le premier lien qui se tisse entre l’ici de la France et l’ailleurs d’Haïti : les rituels vaudou que Bonello y filme avec autant d’attention ont la même nature tangente, à la fois concrète et sibylline, indéchiffrable pour les non-initiés. Un autre lien est plus déconcertant, plus profond aussi – les deux lieux, Haïti et l’école de la légion d’honneur, sont quasiment jumeaux. Haïti a gagné son indépendance suite à la suite d’une guerre contre l’armée d’occupation de la France napoléonienne, en 1804 ; un an plus tard, le même Napoléon fondait l’école de la légion d’honneur, destinée à prendre en charge l’éducation des jeunes filles descendantes de récipiendaires de la Légion d’Honneur.
Les finalités des rituels attachés aux deux lieux sont aux antipodes l’une de l’autre. Les règles de l’internat ont pour objectif de rigidifier à l’extrême le monde dans lequel ses pensionnaires grandissent (une des expressions de cet extrême étant l’absolu visé : 100% de réussite au bac) ; les incantations du vaudou visent à abattre les barrières censées séparer strictement le monde des morts de celui des vivants. Cette opposition est si bien assimilée par Bonello qu’il la fait exister visuellement, dans le contraste entre les photographies des deux parties de Zombi Child: nuits américaines qui annulent la différence entre le jour et la nuit dans les scènes à Haïti, contre la prédominance sévère d’un blanc tranché, strict et sans ombres au sein du pensionnat. Lorsque les trois histoires se rejoignent, pour une séquence finale de transe digne des grands films classiques sur le thème de la possession, la divergence entre les deux rapports au monde, et au vaudou, atteint elle aussi son acmé. L’humiliation et l’exploitation à des fins égoïstes, qui perpétuent l’esprit colonial, mènent ceux qui les pratiquent à leur perte, entre les mains du terrifiant esprit Baron Samedi ; l’amour et le respect ouvrent une autre porte, débouchant sur l’apaisement et l’affranchissement – « la transmission de la liberté » ainsi que l’a dit Bonello en présentant la séance à la Quinzaine des Réalisateurs. Cette transmission permet à Bonello de signer un épilogue aussi simple que magnifique, avec un choix de chanson idéal pour évoquer le retour bienveillant des morts auprès des vivants : « You’ll never walk alone ».
ZOMBI CHILD (France, 2019), un film de Bertrand Bonello, avec Wislanda Louimat, Louise Labeque, Mackenson Bijou, Katiana Milfort. Durée : 103 minutes. Sortie en France le 12 juin 2019.