AQUAMAN …sur le séant !
L’éloge des vertus du grand écran qu’Aquaman distille en creux ne saurait se borner à la théorie tant James Wan étend l’horizon de cette oraison, enrichissant son blockbuster de multiples sous-intrigues pour autant de sous-genre, jusqu’à concevoir un nouvel idéal de divertissement grand public.
Objectivement, Aquaman est une production valorisant la salle : visible de façon traditionnelle mais aussi en 3D relief, en 4D et en IMAX. L’invitation à ne pas attendre sa sortie digitale et à la voir en salles a fonctionné, atteignant rapidement le fameux milliard de dollars de recettes mondiales. Seulement, au-delà de ce désir de producteurs, la proposition esthétique qu’en fait James Wan le seconde et discoure sur les bienfaits du grand écran. A ce titre, deux plans parmi les premiers du film se révèlent programmatiques : d’abord celui d’Atlanna (Nicole Kidman) explosant littéralement un poste de télévision, puis celui, particulièrement mémorable, d’Arthur/Aquaman (Jason Momoa) alors enfant se tenant dos à la vitre d’un aquarium géant, semblable à un écran géant, et au sein duquel poissons, raies et autres requins sont filmées convergeant vers sa personne.
De cette image originelle, définie par un mouvement centripète, Aquaman va déployer une force centrifuge, comme on tend puis relâche une flèche, chargeant le film d’une énergie nouvelle et sans bornes. L’idée derrière la valorisation de l’écran géant est d’induire la notion d’infini, passant de la vitre imposante de l’aquarium à l’océan lui-même. Et si, au sein de cet environnement, les forces centrifuges ne connaissent pas de fin, infuse alors le sentiment d’un plaisir cinéphile exponentiel, se calquant sur la dimension de son écrin. Les forces en question sont les vagues repoussées par Mera (Amber Heard) quand Orm attaque Arthur et son père ; les animaux marins qui se dispersent sans cesse à l’image ; mais aussi les ondes libérées par Aquaman, illustrées à l’écran par des cercles grandissants. James Wan fait le choix de montrer ces ondes, qu’elles lui servent à se défaire d’ennemis ou à communiquer avec une baleine, et ce pour mieux les opposer à celles, invisibles, d’une télévision.
A l’assujettissement d’une ligne droite imaginaire reliant les figures que Serge Daney appelait le « télé-viseur » et le « télé-visé », Wan oppose un échange tous azimuts, relation privilégiée des spectatrices et spectateurs au grand écran. Le Royaume d’Atlantide, et plus précisément la salle du trône d’Orm, autorise à cet égard une représentation de cette expansion qui dépasse celle, actuelle, de l’IMAX, puisque l’écran n’a plus même de bordure, il est tout autour des personnages, englobant comme l’océan lui-même. C’est bien vers cela que tend intellectuellement et symboliquement Aquaman en s’animant sens cesse de forces centrifuges, l’ambition d’une expansion infinie. En soi, au-delà de l' »l’écran » qu’utilise Orm, l’océan sert encore à diffuser cette notion, rebattant les cartes de l’échelle de grandeur au cinéma. La séquence de l’arrivée au Royaume d’Atlantide indique bien à quel point un « surfacien » comme Arthur/Aquaman, ici notre égal, se retrouve dans l’incapacité d’appréhender l’espace. D’ailleurs, lorsqu’il pénètre dans le Royaume des Déserteurs, de retour à la surface, comme soulagé de retrouver ses repères, il s’écrie « C’est vaste ! » alors que le lieu l’est infiniment moins que tout ce qu’il a vu précédemment sous les mers. S’il est incapable de replacer en perspective l’immensité des territoires sous-marins, nous ne le sommes pas non plus, et c’est pour James Wan une victoire, l’assurance que la première et déjà forte impression se pare d’une forme de fascination.
Si Aquaman fascine, voire même déboussole, cela n’a rien de déshonorant, seulement le risque est de se restreindre à des sentiments passifs, alors James Wan nous réactive, en permanence. Son film se renouvelle en continue, travaillant plus encore qu’un mélange des genres, une multitude de greffes qui fonctionne si bien qu’à terme, au même titre que la conclusion de l’intrigue énonçant que les royaumes de terres et mers n’en forment en fait qu’un seul, les diverses embardées dans des contrées de cinéma a priori divergentes proposées par James Wan se révèlent elles aussi constitutives d’une proposition uniforme et sensée, celle d’un idéal de divertissement : on se remémore un basculement appuyé vers la comédie romantique (Mera et Arthur au Sahara) ; une relecture de La petite sirène (Mera découvrant les us et coutumes des « surfaciens ») ; Atlantide dévoilée comme Pandora quand Mera et Arthur s’y rendent, puis transfigurée lorsqu’ils s’enfuient après le combat des Rois, désormais semblable à un univers Seapunk au cours d’une séquence étourdissante ; un détour inattendu vers le Sentai via le vilain Black Manta ; un autre vers le cinéma d’épouvante, saisissant bien que presque trop frileux, ou du moins pas assez « wanien » dans ses effets, lorsque les créatures de la Fosse attaque le bateau sur lequel ont embarqué Mera et Arthur ; ou encore et enfin l’impression de retrouver Isla Nublar ou Sorna de la saga Jurassic Park quand les personnages visitent le Noyau terrestre, lieu peuplé par les mêmes dinosaures.
On en revient à un plaisir de cinéma. Celui exalté par la mise en valeur du grand écran décrite plus haut. Celui sans doute éprouvé sans le savoir par Mera et Vulko (Willem Dafoe) lorsqu’ils prennent la décision a priori incongrue d’assister au grand combat final de l’autre côté d’une gigantesque fenêtre. Enfin celui d’Arthur qui, avant de devenir un héros, a été un gamin comme tous les autres, qui s’est émerveillé au cinéma nous rappelle James Wan, puisqu’après avoir parlé de Pinocchio à Mera, après s’être même réfugié avec elle dans une baleine, lorsqu’elle lui tend un livre illustré adapté du roman de Carlo Collodi, il lui répond : « Ah ça existe en livre ? Moi j’ai connu le film ».
AQUAMAN (USA, Australie, 2018), un film de James Wan, avec Jason Momoa, Amber Heard, Dolph Lundgren, Nicole Kidman, Willem Dafoe… Durée : 143 min. Sortie dans les salles françaises le 19 décembre 2018.