Newsletter Subscribe
Enter your email address below and subscribe to our newsletter
Début 2017, Barry Jenkins emportait l’Oscar du meilleur film avec Moonlight, sous le nez du LaLaLand de Damien Chazelle. Si Beale Street pouvait parler est d’une certaine manière l’équivalent pour Jenkins de LaLaLand (par rapport à Whiplash) pour Chazelle : un projet plus ambitieux, rêvé de longue date et pouvant désormais être concrétisé grâce au succès obtenu. Il s’agit de l’adaptation d’un court roman de James Baldwin écrit en 1974. La colère et l’indignation de l’auteur face aux dysfonctionnements d’une Amérique malade de son racisme y sont reléguées au second plan ; le récit choisit de faire la part belle à l’intime, à la passion lumineuse de l’amour plutôt qu’à la passion nocive de la haine.
Tish et Fonny, les deux personnages principaux du film, sont jeunes et amoureux, et prêts à se lancer ensemble dans la vie en fondant un foyer. Mais alors que Tish découvre être enceinte, Fonny est accusé à tort d’un viol, et envoyé en prison. Cette catastrophe met à mal leurs existences, qui se déroulent dès lors de part et d’autre de la vitre du parloir, mais en aucun cas elle n’affaiblit leur amour passionné. Celui-ci est trop ardent pour se laisser atteindre, ce que met en exergue la structure du récit où des flashbacks relatent la naissance de cette idylle en parallèle de sa mise à l’épreuve ; signifiant que Tish et Fonny peuvent toujours se raccrocher aux souvenirs vivaces du passé pour surmonter les obstacles du présent. À cette première forme d’amour, Jenkins en ajoute une autre, toute aussi puissante : l’amour familial, personnifié par le soutien sans faille des parents de Tish, Sharon et Joseph, à leur fille dans son volonté de mener à bien sa grossesse, et la contre-enquête visant à prouver l’innocence de Fonny.
Des rencontres conflictuelles avec des personnages porteurs de haine, de ces instincts de rejet et de division qui hantent les écrits de Baldwin, surviennent inévitablement – la mère intégriste religieuse de Fonny ; le policier qui accuse ce dernier, par vengeance personnelle et racisme, du viol d’une jeune femme n’ayant pas pu voir son agresseur. Mais ces individus sont mis au ban du film, où ils n’ont droit de cité que le temps de cracher leur venin. À l’inverse, les personnages positifs sont glorifiés, caressés par la mise en scène de Barry Jenkins. La passion de ce dernier pour la splendeur esthétique d’une œuvre, qui irradiait déjà dans Moonlight, est ici portée encore plus haut, dans chaque parcelle de la forme de Si Beale Street pouvait parler. Le film nous parle, assurément, éperdument, par ses décors et costumes, ses musiques d’époque jouées sur les tourne-disques et sa bouillonnante musique originale composée par Nicholas Britell, par sa lumière voluptueuse (signée James Laxton, déjà présent sur Moonlight comme Britell).
Tout cela compose un regard incroyablement tendre, qui transforme le champ de la caméra en un écrin pour les protagonistes, qui y sont aimé.e.s, et les comédien.ne.s, qui y ont tout loisir de se révéler dans des performances admirables. KiKi Layne est une bouleversante révélation, Stephan James (que l’on avait un peu plus vu, un petit rôle dans Selma, Jesse Owens dans La couleur de la victoire) est lui aussi profondément marquant ; de même que l’ensemble des seconds rôles, Regina King, Colman Domingo, Brian Tyree Henry, Michael Beach… La plupart d’entre eux participent à la séquence la plus renversante du film, un dîner familial qui se déploie sur de longues minutes au rythme de standards soul et qui, grâce à cette durée que le cinéaste lui confère, charrie quantité d’émotions et d’interactions. La douceur et la cruauté des passions humaines s’y manifestent intensément, tout comme la fascinante beauté dont se pare le cinéma passionné de Barry Jenkins.
SI BEALE STREET POUVAIT PARLER (If Beale Street could talk, États-Unis, 2018), un film de Barry Jenkins, avec KiKi Layne, Stephan James, Regina King. Durée : 117 minutes. Sortie en France le 30 janvier 2019.