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Hasard de la programmation ? On a été frappé, devant les premiers films découverts en compétition, par l’importance de la parole, et des vertus qui lui étaient attribuées : composante essentielle d’une démocratie éclairée dans Nul homme n’est une île, libératrice voire thérapeutique dans La Liberté. Des courts-métrages rares des années 1970-1980 signés Eustache et Rozier venant par ailleurs rappeler l’attention portée au langage, aux éléments de langage, chez les auteurs de cette génération, attention qui semble avoir décliné depuis.
On a dit en 2014 tout le bien que nous inspirait le magnifique La Ligne de partage des eaux, de Dominique Marchais. Son nouveau film Nul homme n’est une île (lauréat du Grand Prix de la Compétition), par contraste, paraît d’abord légèrement plus convenu : catalogue un peu évident d’initiatives solidaires, durables, de coopératives en circuits courts partout en Europe. Il séduit pourtant par son sens de l’utopie, sa manière de filmer le monde tel qu’il devrait être. L’agriculteur sicilien a la moustache jaunie par le tabac, mais mince, athlétique pour son âge, par ailleurs débatteur de qualité, économiste, sociologue, il pourrait représenter un idéal de citoyen éclairé dans une démocratie agraire. Le menuisier autrichien nous fait visiter la forêt, parfaitement citadin, avec ses lunettes de hipster. Le prof d’architecture suisse paraît aussi à l’aise en amphi que dans les villages dont il commente les habitations. Tout ce monde est à la fois rural et urbain, intellectuel et manuel : on voit bien comment tout cela pourrait être retourné contre le cinéaste, mais à dire vrai, on a apprécié la compagnie polyglotte de ces individus réfléchis dont le point commun serait de doubler leurs pratiques d’un discours, ou à l’inverse de donner une forme concrète à leurs réflexions. Peut-être cela apparaîtra-t-il dans 50 ans plus symptomatique de l’époque qu’autre chose, en attendant rien n’interdit d’être charmé par cet idéal de petite entreprise responsable ou de militantisme doux, témoignant d’une vision peu agressive, à peine conflictuelle, de la chose politique.
La Liberté de Guillaume Massart se fait une idée plus haute encore, si c’est possible, de la parole : révélatrice de vérités cachées y compris pour celui qui la prodigue, possiblement thérapeutique. Il s’agirait pour des individus condamnés pour pédophilie (le film se déroule dans une prison ouverte en Corse) de mettre des mots sur leurs actes, de les comprendre, peut-être de s’en libérer. Le cinéaste, qui revendique son engagement politique et notamment, sur la question de la prison, ses vues abolitionnistes, dit avoir entamé le tournage dans cette optique avant de privilégier la conversation avec les détenus. Verdict ? On n’a pas été immédiatement convaincu : la parole nous a d’abord semblé solipsiste, confuse, parfois délirante (psychotique). On sent que chacun a son discours qui tourne en boucle depuis des mois, des années, discours où il passe parfois de petits éléments de réflexion, ne soyons pas injuste, mais pour l’essentiel auto-justificateur voire totalement déliquescent. Le cinéaste-interviewer (invisible à l’écran, mais présent par la voix) paraît souvent gêné au contact des prisonniers : sa parole à lui entravée, sa cordialité un peu forcée. Comme nous le serions aussi, mais reconnaissons un porte-à-faux, entre la visée disons progressiste du projet et l’impression de malaise qui se dégage devant des individus quand même pour certains fortement crispants. Et puis une figure se distingue : un détenu touchant, puis vraiment bouleversant, qui semble avoir reproduit, on a presque envie d’ajouter « en moins pire », des actes subis au cours d’une enfance absolument ahurissante. Là oui, ça marche : la parole accouchée devant nous permet de comprendre, de mettre à plat des choses, le film le fait éprouver avec une vraie puissance. Alors on pourrait dire que sa réussite tient entièrement à cette rencontre. Mais cela suffit. Et cela suffit pour être progressiste de se dire que l’opération peut fonctionner une fois sur dix https://rusbank.net/offers/microloans/zaym_na_kartu_kruglosutochno/.
Parole toujours, mais sans utopie, dans deux courts-métrages rares de Jean Eustache et Jacques Rozier, respectivement Offre d’emploi et Marketing Mix, découverts au sein de la belle programmation « La Transversale, histoire secrète du cinéma à la télévision française ». Au contraire des films cités plus haut la parole est ici analysée, presque disséquée : parole du demandeur d’emploi, qui pour être convaincante doit mettre les formes, connaître les codes ; éléments de langage propres au cadre dynamique, à l’employé, au supérieur hiérarchique. Dans ces deux films, de manière particulièrement révélatrice, les personnages s’interrogent sur les mots : les lettres de motivation sont envoyées à une graphologue/psychologue, qui les commente devant nous ; les deux jeunes coqs du bureau se disputent sur la meilleure formulation à destination du client. On se dit que le cinéma d’auteur français a sans doute un peu déserté ça : l’attention au langage, aux éléments de langage (on ne voit pas d’exemple récent, on en oublie sans doute), et de manière plus générale la question des classes moyennes et de l’entreprise, qui fut au cœur de plusieurs des meilleurs films des années 70 (L’Amour l’après-midi, Du côté d’Orouët, La Vie comme ça). In extremis, une exception surgit : le magnifique Maman a tort l’année dernière, dont on ne peut qu’espérer qu’il conduira d’autres cinéastes à réoccuper ce terrain-là.