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Décharge d’adrénaline et de tendresse, braillard mais mélodieux, nerveux mais maîtrisé, Good Time de Ben et Josh Safdie raconte l’histoire de deux frères : alors que l’on suit le périple nocturne de l’ainé, on s’éprend du cadet.
Un petit voyou nommé Connie (Robert Pattinson, qui confirme son talent et affine encore son jeu) impose un braquage à Nick, son frère intellectuellement déficient (Ben Safdie, aussi doué devant la caméra que derrière). Si bien que lorsque l’opération échoue, le cadet choit, derrière les barreaux. L’aîné se met alors en tête de réunir 10 000 dollars le plus rapidement possible pour payer la caution de Nick, enfermé dans un environnement particulièrement hostile pour son frère fragile.
Voici l’aspect le plus retors du film, cette contradiction qui régit le personnage de Connie : en l’impliquant dans ses combines, il nuit à Nick et à son épanouissement, ce qui ne l’empêche pas de vouloir son bien, de penser le protéger et de l’aimer sincèrement. Ben et Josh Safdie (Mad Love In New York) se lancent ainsi le défi, au cours de cette nuit rocambolesque digne d’After Hours (Martin Scorsese, 1985), de chahuter le concept cher à Christian Metz de l’identification secondaire au cinéma, correspondant à l’identification au(x) personnage(s) du film.
Est-il possible pour le spectateur de ne pas souhaiter la réussite d’un protagoniste ? Lorsque le danger l’étreint, et en dépit de sa moralité, le mécanisme d’identification à son égard est tel qu’il semble impossible de ne pas aller dans ce sens. Par exemple, Une hache pour la lune de miel (Mario Bava, 1970) ou La balade sauvage (Terrence Malick, 1974) nous auront vu soutenir leurs personnages criminels, simplement parce que la mécanique narrative inhérente à la caractérisation cinématographique impose cette identification. Ici, il faudra attendre les dernières minutes, peut-être moins pour certains spectateurs, avant de comprendre que les frères Safdie cherchaient à laisser chacun réfléchir par soi-même quant à la balance de nocivité et de bienveillance de Connie. On suit un frère, mais l’on doit songer à l’autre.
Puisque les intentions de Connie sont bonnes, il n’est pourtant pas question de vérifier ici l’adage selon lequel l’habit ne ferait pas la moine. La perception biaisée de ses actions se joue moins au regard du protagoniste que du film lui-même, ce que les Safdie travaillent par une opposition entre contenant et contenu. La forme cinématographique induit l’identification susnommée, mais il faut imaginer le récit délesté de ce « piège » émotionnel, il faut se le représenter au-delà du prisme de la fiction par exemple, il faut au moins cela pour que le spectateur appréhende différemment l’issue du périple de Connie.
Comme s’ils devaient nous aider à altérer notre regard, les Safdie élaborent un jeu de symboles discret, venant seconder cette opposition contenant/contenu à l’image : un homme blond platine est en réalité brun ; une bouteille de Sprite contient de l’acide ; une infinité de lumières artificielles s’opposent à la nuit ; un agent de sécurité noir victime de violence passe pour le coupable auprès des autorités ; ou encore et enfin, lors de leur braquage initial, les deux frères portent des masques les faisant passer pour des hommes noirs.
Les deux derniers exemples ci-dessus voient donc des Blancs utiliser le stéréotype du Noir états-unien criminel, a fortiori de classe populaire (agent de sécurité ou d’entretien de la voirie), pour mieux tromper autrui. Ce vil coup de poker imaginé par Connie consiste alors à estimer qu’une employée de banque, elle-même noire, obtempère plus efficacement face à deux braqueurs noirs, et que des policiers blancs ou non arrêtent sans délai un Noir contre lequel jouent seulement les circonstances et plus encore une adolescente de même couleur du seul fait qu’ils tombent sur elle aux abords de la scène de crime.
Il faut associer cette vision d’un double standard standardisé à un parti-pris récurrent de mise en scène du film, afin de s’assurer de la présence d’un discours sur la violence policière états-unienne, à l’encontre des minorités et de la population noire-américaine en particulier. En l’occurrence, ce sont ces plans aériens qui se lancent dès qu’un personnage appuie sur l’accélérateur de sa voiture, ou bien échappe à la police en courant, et qui rappellent inévitablement ceux popularisés par la fugue d’O.J Simpson captée en direct par la chaîne TV KCBS en 1994, autant les centaines de redites télévisées, ou encore leur versant vidéoludique avec le premier Grand Theft Auto (Rockstar Games, 1997).
Ce reflet social offre une puissance sous-jacente à Good Time mais, au-delà de cette approche, même en se bornant à la seule intrigue sentimentale des deux frères – et sans même ajouter le prisme autobiographique potentiel – la conclusion en miroir de l’introduction diffuse aussi une émotion puissante et durable.
GOOD TIME (USA, 2017), un film de Ben et Joshua Safdie, avec Robert Pattinson, Ben Safdie, Buddy Duress, Jennfier Jason Leigh. Durée : 1h35. Sortie en France le 13 septembre 2017.