LE REDOUTABLE : un pastiche avec beaucoup d’eau

Le réalisateur d’OSS 117 a trouvé dans le personnage du Jean-Luc Godard de mai 68 matière à un pastiche rigolo. Mais coincé entre une véritable ambition, une forme de révérence et un certain mépris, Hazanavicius signe un film anecdotique, paradoxalement plombé par sa légèreté.

Le Redoutable n’est pas vraiment un biopic sur Godard et tant mieux. Il n’entend pas raconter de manière exhaustive la vie de l’homme ou l’ascension du cinéaste, mais se concentre sur une période charnière absolument essentielle dans sa carrière : les quelques années de vie commune avec Anne Wiazemsky qui entourent mai 68. En s’appuyant sur les écrits de celle-ci, Hazanavicius a eu l’idée intéressante de construire une comédie sentimentale pastichant l’esthétique des premiers films du réalisateur. Le sujet du film est dès lors très spécifique et, d’une certaine manière, universel. Il s’agit de raconter comment une femme, amoureuse d’un homme dont elle admire le génie, va progressivement s’en détourner au point de partager le mépris qu’il a développé à son propre égard. Vous suivez ? Anne est amoureuse de Godard, mais Godard veut brûler Godard.

Lorsqu’une jeune fille lui demande quand est-ce qu’il refera des « films marrants », on pense au réalisateur oscarisé de The Artist harcelé par les fans d’OSS 117 et de La Classe Américaine. Le parallèle est clair, mais il y a une limite : Michel Hazanavicius est loin, très loin, de la radicalité de Godard

LE REDOUTABLE de Michel HazanaviciusOn imagine sans peine Hazanavicius s’identifier à cette figure de cinéaste, adulé pour ses films « d’avant », qui ne désire rien d’autre que d’aller vers un cinéma plus sérieux et plus politique. Devant une scène touchante du début du film, où Godard avoue déçu à sa compagne : « les chinois trouvent que mon film est une merde », on imagine bien un Hazanavicius pareillement dépité après la réception calamiteuse de The Search, autre pastiche, son film sur la guerre de Tchétchénie, présenté en 2014 à Cannes. Même idée lorsqu’une jeune fille lui demande quand est-ce qu’il refera des « films marrants », on pense au réalisateur oscarisé de The Artist harcelé par les fans d’OSS 117 et de La Classe Américaine. Le parallèle est clair, mais il y a une limite : Michel Hazanavicius est loin, très loin, de la radicalité de Godard. Ainsi, tandis qu’après l’échec de La Chinoise, Godard s’obstine dans un cinéma toujours plus conceptuel et politique, notamment à travers le Groupe Dziga Vertov, Hazanavicius fait ici le choix d’un retour à la comédie qu’il ne semble pas totalement assumer.

Le Redoutable est bien une comédie mais celle-ci n’est malheureusement pas assez drôle. Le film n’étant pas réellement structuré comme une comédie, les effets comiques reposent presque exclusivement sur les personnages. Le running gag de Godard qui n’arrête pas de casser ses lunettes, l’engueulade outrée avec Michel Cournot dans la voiture qui les ramène de Cannes ou les plaisanteries méta (« les acteurs, c’est con, on leur fait dire n’importe quoi »), le dialogue superposé façon Classe Américaine sur le Jeanne d’Arc de Dreyer ou la conversation à poil sur la question du nu au cinéma… tout ça est plutôt charmant mais ne déclenche pas de rires francs. Une véritable comédie aurait nécessité des situations de tension comique qui ne pouvaient pas, ici, être intégrées au récit.

On aurait ainsi aimé voir à travers les yeux d’Anne Wiazemsky le dégonflement du mythe, mais le Godard imaginé par Hazanavicius est finalement assez invariable.

redou2Le Redoutable n’est donc pas vraiment une comédie, et c’est la question sentimentale décrite plus haut qui importe. Or cet aspect du film, qui aurait pu être passionnant, n’est pas suffisamment approfondi. Décidément… Alors que le récit aurait dû être porté par le personnage d’Anne Wiazemsky (auquel la voix off confie les clefs du film dans la scène d’ouverture), cette dernière en est régulièrement dépossédée par le personnage de Godard, dont le charisme dévore tout. Observatrice passive, Anne se contente donc d’incarner un point de vue légèrement décalé. L’idée de ne pas montrer l’annulation du Festival de Cannes 1968, mais de la suivre à distance, à la radio, auprès du personnage de Wiazemsky est, à ce titre, excellente. On aurait ainsi aimé voir à travers ces yeux le dégonflement du mythe, mais le Godard imaginé par Hazanavicius est finalement assez invariable. Ridicule dès le début du film, il ne fait que s’enfoncer un peu plus dans la bouffonnerie, jusqu’à s’humilier à la Sorbonne en s’emmêlant dans un bon mot sur la Palestine.

Devant Le Redoutable, on finit par se demander si la démarche d’Hazanavicius n’était pas finalement d’illustrer une imposture. Mais, là encore, cette voie n’est pas suffisamment assumée. Le détournement plus ou moins judicieux des nombreux gimmicks esthétiques du Godard des années 1960 peut être interprété de deux manières différentes. Soit Hazanavicius y adhère et rend ainsi un hommage superficiel qui ne permet pas véritablement de comprendre comment s’est formé le mythe démonté par le film. Soit il s’en moque, et cherche par ce biais à signifier la superficialité de son cinéma. Cette dernière hypothèse est la plus probable mais s’avère moyennement compatible avec le récit de désillusion sentimentale de Wiazemsky.

Le Redoutable souffre ainsi de ne pas avoir tranché. Ni très drôle, ni très intéressant, ni très touchant, le film est à l’image du Godard de ces années-là : dans le doute.

 

LE REDOUTABLE (France, 2017), un film de Michel Hazanavicius, avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo… Durée : 1h47. Sortie en France le 13 septembre 2017.