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En 1999, pendant la guerre en Tchétchénie, un orphelin est recueilli par une française, représentante d’une ONG. Ailleurs, sa grande sœur le cherche et un jeune russe fait ses classes dans l’armée… Trois ans après The Artist, Michel Hazanavicius s’inspire d’un film de Fred Zinneman et en fait un pastiche, plutôt qu’un remake. Film idiot ou film construit autour d’une idiote ?
Michel Hazanavicius ne peut rien tourner qui n’ait eu une vie avant lui. Il lui faut une base. Il écrit et met en scène en puisant dans un sujet, un format, un modèle, en pratiquant le détournement (La classe américaine, montage d’extraits de films hollywoodiens avec de faux doublages français), la satire (Mes amis, premier long, sur les coulisses d’une sitcom) et le pastiche (OSS 117). Dans ce dernier registre, il excelle, au point de n’envisager faire des films que sous cet angle désormais. A nos yeux, The Artist ne retenait du cinéma muet que la pantomime. Son imitation et son maniérisme le dévitalisaient, sans faire de dégâts compte-tenu de la relative légèreté de l’histoire. Si le film pouvait ne pas satisfaire, il restait inoffensif, voire pertinent (s’agissant d’un film sur le cinéma, pasticher n’a rien de déplacé). La matrice de The Search, elle, est autrement plus sérieuse : un film de Fred Zinneman sorti en 1948, Les anges marqués, autour d’un petit garçon rescapé des camps, de sa mère qui le cherche et du GI qu’il rencontre. Hazanavicius déplace l’histoire en 1999 en Tchétchénie, avec un orphelin de guerre, Hadji, sa grande sœur à sa recherche et la représentante d’une ONG, Carole, interprétée par Bérénice Bejo.
Si la question du pastiche se pose pour The Search, c’est parce que les conversations entre Carole et Hadji ressemblent à celles entre l’agent OSS et les égyptiens, dans Le Caire, nid d’espions. Michel Hazanavicius n’a pas réalisé un remake du film de Zinneman, il en a fait un pastiche, puisqu’il ne sait faire que cela. Pasticher un matériau léger, comme celui des OSS 117 d’André Hunebelle, n’en change pas le ton d’origine. Pour une tragédie, c’est autre chose : on n’arrive plus à distinguer le créateur de ses créatures. Si l’idiotie de Hubert Bonisseur de la Bath ne laisse en rien préjuger de celle de Michel Hazanavicius – bien au contraire – celle de Carole dans The Search interroge, tant est grand le décalage entre ce qu’elle perçoit de la Tchétchénie, et ce que le spectateur en sait, grâce à Hadji, enfant traumatisé, livré à lui-même, mutique et en haillons. Qui est stupide dans The Search ? Son héroïne ou celui qui la dirige ?
C’est comme si après Le Caire et Rio, Hubert Bonisseur de la Bath avait changé de sexe et se retrouvait dans Requiem pour un massacre
Impossible de croire ses oreilles quand Carole dit à Hadji de ne pas s’inquiéter pour elle, qu’il peut manger le pain qu’elle lui donne parce qu’elle pourra s’en racheter (elle croit que lui, affamé et terrifié, ne veut pas de son pain pour ne pas la priver, elle ?!), ou quand elle déplore qu’il ne soit pas un boutte-en-train (« Ca va pas être joyeux avec toi » dit-elle en substance à l’enfant dont les parents ont été exécutés sous ses yeux). Et tout cela en français, car jamais il ne lui viendrait à l’esprit de tenter de parler une autre langue, même l’anglais. C’est comme si après Le Caire et Rio, Hubert Bonisseur de la Bath avait changé de sexe et se retrouvait dans Requiem pour un massacre. Même absence de jugeote, même égocentrisme, même sentiment de supériorité, sauf que tout cela était volontairement risible en Egypte et au Brésil. En Tchétchénie, ce ne peut être le cas volontairement, sauf à supposer que Michel Hazanavicius ait réalisé une comédie sur la guerre. Même s’il s’inspire vaguement de Kubrick (Full Metal Jacket, en montrant l’incorporation d’un soldat russe, pas Docteur Folamour), l’hypothèse semble peu probable, mais elle a du sens, idéologiquement.
The Search a beau être raté, il n’en demeure pas moins grinçant, éventuellement à l’égard de son héroïne, à côté de la plaque, donc à l’image des occidentaux face à la situation tchétchène de la fin des années 1990. Michel Hazanavicius et son producteur Thomas Langmann ont réussi à faire flotter la majestueuse bannière Warner Bros. au-dessus d’un film voué aux sous-titres, consacré à un conflit dont tout le monde se fiche, et ce en 2014, année tristement marquée par l’attentisme, que ce soit celui des citoyens vis-à-vis de l’Union Européenne ou de la communauté internationale confrontée aux combats en Ukraine. The Search montre clairement l’Europe comme une grosse bureaucratie incapable de faire bouger quoi que ce soit, encore moins quand c’est urgent (le discours de Béjo face à des parlementaires impavides fera vibrer les eurosceptiques), et les dirigeants russes depuis quinze ans comme les ennemis de la paix. Politiquement, il fait preuve de caractère, en critiquant l’Union Européenne alors qu’il serait normalement de bon ton de l’épargner, vu la défiance à son égard dont profitent les extrêmismes ; celui de pourrir la Russie, à l’heure du laissez-faire international à l’égard de Poutine, de sa politique guerrière et de l’homophobie qu’il encourage (« PD » est l’insulte suprême parmi les soldats russes du film). Les amalgames et le manichéisme qui en découlent seront diversement appréciés, mais il faut le savoir : si on est prêt à accorder quelques qualités à The Search, on les trouvera dans ce refus de la nuance, et pas ailleurs.
Cet article aborde le montage cannois du film. Après avoir eu connaissance des changements faits depuis sur le film, nous n’avons pas ressenti le besoin de revenir sur notre point de vue.
THE SEARCH (France, 2014), un film de Michel Hazanavicius, avec Bérénice Bejo, Annette Bening, Maxime Emelianov, Abdul-Khalim Mamatsuiev. Durée : 149 minutes (montage cannois). Sortie en France le 26 novembre 2014.