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On a rencontré João Pedro Rodrigues à l’occasion de la rétrospective qui lui est consacrée au Centre Pompidou et de la sortie de L’Ornithologue : film d’errance survivaliste, panthéiste, décalé, comique, gore, pornographique, allégorique… C’est tout ce que le dernier Gus Van Sant aurait dû être.
Une chose qui nous frappe de plus en plus, c’est combien chacun de vos films relève d’un projet bien distinct. Vous avez dit en interview récemment que vous ne compreniez pas les cinéastes qui paraissent refaire les mêmes films plusieurs fois. Ça semble important pour vous.
C’est quelque-chose qui m’obsède, même, de ne pas me répéter. Je ne veux pas trouver une façon qui me soit facile, une méthode. J’essaie de les questionner. Même si j’espère que quand on regarde mes films, on voit des chemins qui se tracent de l’un à l’autre.
Au sein d’un même film, L’Ornithologue, on observe ce désir de questionner la forme, de se renouveler. Le film semble passer par plusieurs moments : le film d’errance, décalé (cet épisode bizarre avec les deux chinoises), gore, sexuel…
Plusieurs moments je ne sais pas, plusieurs couches, peut-être… Je me suis amusé à construire le film comme ça, de manière ludique. Je voulais qu’il suive le flot du récit, que ce soit fluide, naturel, mais effectivement, c’était important qu’il ne reste pas enfermé dans un genre. Le genre, c’est vraiment quelque-chose qui m’intéresse au cinéma. Il y en a un que vous n’avez pas cité, c’est le western. Mon idée de départ, c’était de réaliser un western.
Ce caractère ludique, c’est une chose que peu ont notée au sujet de votre cinéma. Effectivement, d’un côté le film retrace le parcours d’un homme qui va d’épreuve en épreuve, presque un chemin de croix, mais cet aspect est contrebalancé par un caractère très joueur. Il y a des moments extrêmement drôles, je reviens au passage avec les deux chinoises, le ton est vraiment singulier.
Je pense que la comédie est le genre le plus difficile. J’aimerais aller encore plus dans cette direction, réaliser une vraie comédie un jour, peut-être. Mourir comme un homme, c’était déjà une comédie un peu décalée d’une certaine manière, j’aimerais aller plus loin de ce côté. L’épisode des chinoises, je le voyais ainsi, comme un comic relief.
Pour revenir aux différentes couches, est-il permis de relever des influences possibles ? Le film d’errance on l’a dit, Pasolini – au moment de la rencontre avec le jeune berger.
J’ai appris le cinéma en regardant des films, pas à l’école de cinéma – même si c’était important aussi. Je ne pense pas à des cinéastes ou à des moments de films quand j’écris, je ne fais pas un cinéma de citations. Mais les films sont en moi. Pasolini, oui, c’est important, la manière dont il relisait les mythes, italiens, catholiques, les enjeux politiques… Encore une fois, ce que je voulais ici, c’était faire un western. Je me suis senti proche d’Anthony Mann, c’est plus rugueux que chez Ford, chez qui on trouve des familles, des communautés… Là non, on n’a que des héros isolés, je me sens proche de ces films, même sur le plan du format, le cinémascope, l’homme dans la nature… Et aussi une sorte de martyrologie : il y a souvent quelque-chose de très sadique dans les westerns. Cette violence m’intéressait.
Effectivement, votre film n’est pas sans lien avec L’Appât, par exemple (The Naked Spur, Anthony Mann, 1953). C’est son plus rugueux, un homme dans des paysages, d’épreuve en épreuve. James Stewart n’y a presque aucun passé…
L’Appât, oui, je l’ai montré à Paul Hamy au moment de la préparation du film. Il y a aussi les films de Boetticher, avec Randolph Scott. Il y en a un que j’aime énormément : Ride Lonesome, je me souviens d’une image incroyable, avec un arbre qui brûle. Ce ne sont pas des gros budgets : presque des séries B, il y a une efficacité, une économie qui m’intéressent beaucoup.
Dans un autre ordre d’idées : vu de France, on reste frappé par la vitalité du cinéma portugais, avec des auteurs comme Miguel Gomes ou João Nicolau. Vous semblez plus cosmopolite d’une certaine manière : vous avez tourné La dernière fois que j’ai vu Macao, l’acteur principal et une partie de l’équipe de L’ornithologue sont français… Comme si vous n’apparteniez pas tout à fait aux mêmes sphères.
Cosmopolite, j’aime bien l’idée… Je n’aime pas beaucoup le Portugal. Je suis saturé de Lisbonne, c’est devenu une ville de carte postale, touristique – les touristes y sont imbuvables. Cela dit, les cinéastes dont vous parlez, je les connais. Gomes est mon voisin, à Lisbonne, on se connaît tous. Pedro Costa aussi, même si on se voit moins. En plus c’est quelqu’un que j’admire énormément. On est tous assez différents, mais je dirais qu’on a en commun de pouvoir faire nos films dans une grande liberté. C’était aussi le cas d’Oliveira, qui avait un cinéma très singulier.
Manoel de Oliveira, vous aimez ?
Oui, surtout ses films d’avant les années 90. Son plus beau à mon avis, c’est Amour de perdition. Je trouve assez ironique la manière dont il a été reçu au Portugal : au début le public n’aimait pas du tout, il rigolait, vraiment. Après, une fois qu’il a été reconnu à l’extérieur, on n’osait plus en dire du mal, mais à mon avis, c’était un respect très factice, assez hypocrite.
Quand vous dites que vous n’aimez pas le Portugal, vous pensez à des choix politiques, l’austérité, comme c’est le cas chez Miguel Gomes par exemple ?
La situation était dramatique ces dernières années. Ça a un peu changé, c’est la première fois qu’on a un gouvernement de gauche depuis la révolution. Il y a un vrai mieux, à l’inverse de ce qui se passe en France, aux États-Unis. Ce chemin que prennent l’Europe et l’Amérique me fait assez peur. Pour revenir au cosmopolitisme, le Portugal est un endroit très agréable pour vivre, mais j’aime aussi aller ailleurs. J’ai retravaillé L’Ornithologue aux États-Unis, fini la post-production en France, au Fresnoy, où j’étais invité. Je suis toujours à la recherche d’endroits où je me sente protégé pour travailler.
Les Etats-Unis, il y avait une raison institutionnelle, disons, où il s’agissait seulement de s’imprégner, pour le climat de western que vous souhaitiez ?
J’ai eu une bourse de Harvard, du Radcliffe Institute. J’avais déjà filmé des scènes d’oiseaux sauvages, près de 30 heures, j’ai récrit le scénario à partir de ça, de ces images que j’avais. Je préparais le tournage.
Le point de départ, c’est donc bien les oiseaux, ce métier d’ornithologue. A l’arrivée, on a l’impression que c’est présent bien sûr, ne serait-ce que par le titre, mais que ce n’est plus forcément le cœur ?
Je souhaitais revenir sur ce chemin que je n’ai finalement pas pris. Enfant, je voulais être ornithologue, et puis le cinéma l’a emporté. J’ai quand même fait une peu de biologie, mais je n’ai pas terminé. Cette voie s’est fermée, mais je voulais revenir à cela que j’aurais pu être.
Le cinéma comme manière de faire vivre d’autres soi, ceux qu’on aurait pu être à 15 ans et qu’on ne devient pas parce qu’on ne peut pas réaliser tous les possibles, c’est une idée magnifique ! C’est quelque-chose que vous pourriez dire de tous vos films, de vos autres personnages ?
Oui, sûrement. Je ne réalise pas de films autobiographiques, mais je crois que je suis tous les personnages d’une certaine façon. Ça me rappelle le « Madame Bovary c’est moi » de Flaubert pendant son procès. Il ne m’est pas possible de faire des films qui ne soient pas personnels.
Entretien réalisé par Nicolas Truffinet à Paris le 25 novembre 2016.
L’ORNITHOLOGUE (Portugal, France, Brésil, 2015), un film de João Pedro Rodrigues. Avec Paul Hamy, João Pedro Rodrigues, Xelo Cagiao, Han Wen, Juliane Elting. Durée : 117 minutes. Sortie en France le 30 novembre 2016.