UFE (UnFilmÉvènement), NOCTURAMA, ANTICHRIST : la triangulation de notre époque
Projeté dans la sélection « Contrebandes » de la 5è édition du FIFIB, UFE (UnFilmÉvènement) nous frappe au-delà de ses qualités et ses défauts, par sa simple présence. Son surgissement spontané, produit en réaction à l’état du monde en général et de notre pays en particulier, rejoint en effet les constats brûlants faits à ce sujet par deux autres films récents, Nocturama et Antichrist. Et ce sans concertation préalable, ce qui rend le malaise encore plus lourd et suffocant.
Conçus et réalisés en parallèle et en aveugle l’un de l’autre, UFE (UnFilmÉvènement) de César Vayssié et Nocturama de Bertrand Bonello racontent presque la même histoire. Les deux réalisateurs le font chacun à sa manière artistique propre (tournée vers le spectacle vivant contemporain pour Vayssié, vers la stylisation lyrique de l’image et du son pour Bonello), mais les décisions et les actes, les emportements et les déchirements dont ils investissent leurs personnages sont identiques. Soit un groupe de jeunes gens, filles et garçons, qui n’en peut plus du monde et de la France comme ils vont ; qui identifie l’ennemi responsable de cet écrasement des individus, des âmes, des rêves, et ne voit plus d’autre choix que de l’attaquer de front. Mais à ce message délivré dans le langage de la violence matérielle (les attentats à la bombe contre les symboles du pouvoir politique et économique dans Nocturama) ou physique (le kidnapping d’un présentateur de télévision dans UFE), l’autorité apportera pour seule réponse une escalade dans la violence, aveugle et expéditive, avec l’exécution des insurgés par un commando. Cette séquence de mise à mort froide et inexorable achève sèchement l’un et l’autre film, de même que l’embryon de révolte qui s’y nichait.
Une occurrence d’un évènement peut être le fait du hasard ; deux occurrences, qui plus est simultanées et autonomes, cela devient le symptôme de quelque chose de plus profond
Une occurrence d’un évènement (ou d’un « film évènement ») peut être le fait du hasard ; deux occurrences, qui plus est simultanées et autonomes, cela devient le symptôme de quelque chose de plus profond. Une impasse sociétale tellement ancrée qu’il n’est plus possible d’ignorer les murs qui nous entourent, le sentiment qu’ils se resserrent sur nous, et l’écrasant mal-être qui en découle. « We got our backs to the wall / Get on, and watch out / Before you kill us all », comme le crie la chanson L.S.F. (Lost Souls Forever) du groupe Kasabian. Cette impasse pour nos âmes perdues, résumée dans Nocturama par l’affirmation tranchante « ça devait arriver », est tout ce qu’il nous reste, elle bouche l’horizon et dévore tout tel l’astre de Melancholia lancé sur une trajectoire coupant celle de la Terre. Un élément récurrent de UFE rattache ce dernier à un autre film de Lars Von Trier, Antichrist – sorti en 2009 et que Vayssié dit ne pas avoir vu, ce qui rend la connexion entre les deux œuvres plus troublante encore. Une des héroïnes de UFE est hantée par des visions d’un renard, qui apparaît dans la forêt et la fixe, la scrute. Ce renard, tant dans son apparence visuelle que dans la portée symbolique de sa présence, est littéralement le jumeau de celui qui proclamait « chaos reigns » dans Antichrist. Si ses motifs viennent ainsi investir d’autres films, y compris à leur insu, le bien nommé Antichrist pourrait bien avoir apporté, pour les mêmes raisons qui le rendent détestable (au moins aux yeux de l’auteur de ces lignes), la préfiguration symbolique la plus juste de notre époque abusée et assombrie.
UFE (UnFilmEvenement) (France, 2016), un film de César Vayssié, avec Marc-Antoine Allory, Sarah Amrous, Clara Chabalier, Noémie Develay-Ressiguier. Durée : 153 minutes. Sortie en France indéterminée.