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Bourreau, détective privé, acteur, braqueur, boxeur, médecin pour une ONG, lectrice, rugbyman, chauffeur de bus, tortue : il y a de tout dans ces 13 « autres » films présentés au 69ème Festival de Cannes, certains oubliables (The Last Face), d’autres à revoir (Aquarius).
APPRENTICE de Junfeng Boo (Un Certain Regard). Avant l’annonce de la Sélection Officielle, la rumeur envoyait le film de Junfeng Boo en Compétition. Présenté finalement au Certain Regard, Apprentice part d’un postulat plein de promesse – un gardien de prison devient l’assistant du bourreau qui autrefois a mis à mort son père – qu’il exploite sans commettre d’impairs, mais sans faire preuve d’une grande inspiration non plus. Traitée sans passion et surtout sans considération sur la légitimité ou non de la peine de mort, l’histoire se déroule, prévisible, même si la question, lancinante, de la responsabilité (un bourreau est-il un meurtrier ?), se pose suffisamment pour entretenir l’intérêt.
APRES LA TEMPETE de Hirokazu Kore-eda (Un Certain Regard). Avec l’empathie qu’on lui connaît, Hirokazu Kore-eda arpente un terrain qu’il connaît bien, celui des relations familiales, maritales et filiales. Un père divorcé, accro aux jeux d’argent, cherche à reconquérir son ex-épouse et son fils. Il travaille comme détective privé, un job prétexte à la fois pour lui (il dit se servir de cette expérience pour écrire son nouveau roman) comme pour le film, qui profite de cette activité pour balayer les différents états de la séparation et des rapports entre conjoints. Cette partie n’est pas la plus réussie, Kore-eda n’étant jamais aussi fort que lorsque’il enferme ses personnages et reste sur eux. C’est donc quand le typhon arrive, qu’Après la tempête trouve un second souffle, plus fort, arrivant à célébrer l’apaisement sans céder à la facilité de la réconciliation.
AQUARIUS de Kleber Mendonça Filho (Compétition). Nous reviendrons forcément sur le deuxième long-métrage de Kleber Mendonça Filho, parce que le Brésilien est l’un de nos chouchous, et parce qu’il nous paraît nécessaire de le revoir afin de le traiter avec un minimum de pertinence. Que retenir de ce premier contact ? Un talent formidable à créer l’inquiétude avec très peu, ce contraste de plus en plus glaçant entre la douceur des conversations et la brutalité des rapports sociaux, et une actrice, Sonia Braga, incarnant son personnage d’amazone (elle a un sein coupé, suite à un cancer), avec une conviction sidérante. Aquarius ressemble davantage à un spin off des Bruits de Recife qu’à un film autonome et on peut regretter que Kleber Mendonça Filho n’ait pas reconduit la narration chorale de son premier long, mais il y a fort à parier qu’une deuxième vision aura raison de ces petites réserves.
LE CLIENT d’Asghar Farhadi (Compétition). C’est une aberration pour nous de voir le nouvel Asghar Farhadi recevoir le Prix du scénario. Reprenant la recette déjà limite d’Une séparation, en faisant reposer tout son film sur une scène originelle volontairement tronquée, le prestidigitateur iranien prouve toute l’artificialité de sa dramaturgie. Les séquences consacrées aux répétitions puis aux représentations de Mort d’un commis voyageur échouent en plus à mettre en perspective ce qui n’est autre qu’une histoire de vengeance dont les motivations profondes échappent à notre compréhension. Avec exactement le même point de départ, Baccalauréat et Elle se montrent autrement plus inspirés et moins ampoulés.
COMANCHERIA de David Mackenzie (Un Certain Regard). Survendu sur la Croisette, Comancheria n’est pas un grand film, mais il n’a pas l’ambition de l’être. Deux frères devenus braqueurs de banques pour rembourser une dette injuste, un Texas ruiné, Jeff Bridges en ranger en pré-retraite : Comancheria n’a pas de gras, rien à jeter, il avance tel un nouvel Unstoppable, à coup de poursuites sur fond social, en alliant l’humour des situations à la tension de l’action, tout en documentant précisément un paysage d’après la guerre économique.
THE HAPPIEST DAY IN THE LIFE OF OLLI MAKI de Juho Kuosmanen (Un Certain Regard). Un boxeur tombe amoureux d’une femme juste au moment où il s’apprête à disputer le combat le plus important de sa carrière… C’est l’histoire de Rocky, à l’inverse qu’ici la dulcinée n’existe jamais l’écran, qu’elle n’est qu’une incarnation abstraite de l’amour, rien de plus qu’un trophée dont l’originalité est de ne pas être sportif. Olli Maki ne manque pas de qualités : sa photographie en noir et blanc et sa direction artistique, qui donnent l’impression qu’il a été tourné au moment où se déroule son histoire ; ses interprètes, notamment. Mais à mesure qu’il se détache de l’objectif sportif pour mettre en scène le dilemme de son protagoniste (même si on ne voit pas très bien en quoi amour et ambition professionnelle sont forcément incompatibles), le film se vide. La faute à une représentation unilatérale de l’attraction, comme si les sentiments d’Olli suffisaient et que la réciprocité n’était pas nécessaire ou n’avait pas besoin d’être illustrée.
INVERSION de Behnam Behzadi (Un Certain Regard). Un film qui porte mal son titre, malgré son héroïne, une Iranienne qui hérite de tout ce que sa famille ne veut pas gérer (à commencer par la convalescence d’une mère vieillissante), simplement parce qu’elle est célibataire. On s’attend à une revanche, à une rébellion. Cela ne viendra jamais. Au contraire : la protagoniste fera tout ce qu’on lui dit de faire, mais heureusement, le film nous apprendra que désormais, elle ne le fait pas pour les autres, elle le fait pour elle. Une belle démonstration de dressage et d’auto-persuasion dont on ne sait trop ce qu’en pense son réalisateur.
THE LAST FACE de Sean Penn (Compétition). Sean Penn a déclaré qu’il ne voulait pas d’un impérialisme musical pour son film. Il a donc demandé des thèmes africains à Hans Zimmer… Le fait que son réalisateur puisse sortir ça, sans rire, donne un aperçu de la contradiction totale de The Last Face, dont le discours final (eux, c’est nous) va à l’encontre totale de la bêtise étalée sur deux heures (eux, c’est eux et surtout pas nous), promise par un carton d’introduction dont aucun festivalier ne se remettra jamais. Relever toutes les erreurs commises par ce film est une perte de temps.
LA LONGUE NUIT DE FRANCISCO SANCTIS de Francisco Marquez et Andrea Testa (Un Certain Regard). Il est rare de voir autant de spectateurs dormir devant un film. Soporifique, ce long-métrage l’est forcément compte-tenu de son effet sur l’écrasante majorité des personnes venus le découvrir lors d’une projection à 16h30. Pour notre part, trop occupés à faire comme nos voisins de rang, nous n’avons vu que le début (dans l’Argentine de la dictature, un type ordinaire, qui n’a rien demandé, doit porter secours à des personnes avant leur arrestation), des bribes de films qui ne ressemblaient pas au After Hours attendu, et un dénouement particulièrement décevant qui a laissé chancelants des festivaliers bien en peine de trouver la sortie de la salle sans tituber.
MADEMOISELLE de Park Chan-wook (Compétition). Le nouveau Park Chan-wook est une histoire sur les histoires. Il est question de trahisons, de double-jeu, de lutte des classes, mais surtout de la capacité des récits à tenir en haleine, littéralement, c’est-à-dire à donner du souffle, à prolonger l’existence. Au cœur du film se trouve la mademoiselle du titre, lectrice de romans érotiques dont le phrasé et le sens du spectacle aimantent une assemblée d’érotomanes. Comme Shéhérazade avant elle, elle doit sa vie à son ascendant sur un auditoire et à son talent quand il s’agit de le laisser constamment au bord de l’insatisfaction. C’est tout le propos de Mademoiselle, film dont l’intrigue semble toujours relancée une fois de trop, avant que l’on ne se rende compte rétrospectivement que cette matière feuilletonesque constitue sa force.
MERCENAIRE de Sacha Wolff (Quinzaine des Réalisateurs). De ce premier long-métrage, il faut retenir les originalités. Son ancrage géographique (Wallis), son héros (un jeune balèze ultramarin décidé à tenter sa chance au rugby en métropole) et son acteur. Elles ne suffisent pas à compenser le manque d’inspiration dans la mise en scène, ni à rendre plus palpitant un dénouement qui traîne en longueur, mais elles n’en demeurent pas moins remarquables ; rappelant que le cinéma français est un territoire si hermétique qu’il l’est même à ses citoyens les plus éloignés de Paris.
PATERSON de Jim Jarmusch (Compétition). Peut-être les Jarmusch les plus intéressants sont-ils les plus orientalisants, les plus véritablement zen. Paterson n’a pas grand-chose à voir avec Ghost Dog, mais son épure esthétique et sa simplicité dramatique fonctionnent comme une véritable éthique. Adam Driver joue le rôle d’un chauffeur de bus, poète à ses heures perdues, dont la véritable éclosion s’opérera en compagnie d’un Japonais et devant une chute d’eau, forcément, comme s’il se trouvait téléporté de son New Jersey vers un jardin zen. Soudain la côte Est paraît encore plus à l’Est que ce que l’on croyait et ce dépaysement inattendu donne sa beauté sans fard à Paterson.
LA TORTUE ROUGE de Michael Dudok de Wit (Un Certain Regard). Pourquoi la magie n’a-t-elle pas opéré sur nous comme elle a opéré sur la majorité des festivaliers ? Le mutisme et la délicatesse graphique de La Tortue rouge n’arrivent pas à alléger un discours perclus de symboles lourds. L’ambition dramatique est remarquable, l’histoire ne s’arrêtant jamais où on l’attend ; la représentation de la Nature dans sa beauté et surtout son indifférence témoigne d’une maturité appréciable, mais l’ensemble s’enlise sous une sur-signification permanente, où tout fait sens, laissant l’impression d’une saturation, paradoxale pour un film de naufragé et d’île déserte.
Le 69ème Festival de Cannes s’est déroulé du 11 au 22 mai 2016.