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Année d’ouverture ou début d’une uniformisation dans le paysage audiovisuel mondial, Séries Mania joue les équilibristes et nous laisse un peu sur notre faim.
En quelques années, Séries Mania est passé de petit festival pour séries addicts à ce qui ressemble de plus en plus à une grande messe de la télévision : forum de coproduction, rendez-vous professionnels, avant-premières mondiales et invités de marque, comme Cuba Gooding Jr. cette année ou le scénariste Tony Grisoni. La ministre de la culture nous vend déjà un futur grand festival de séries pour l’année prochaine (le « Cannes de la télévision » !). Future transformation de Séries Mania ou non les paris restent ouverts, cette édition faisant office de dernier essai avant le grand chambardement annoncé.
Doit-on se réjouir ou se plaindre de cette nouvelle saison de Séries Mania ? Un constat s’impose, sans vouloir pousser la politesse trop loin, c’est qu’il est vraiment agréable de voir que le festival reste ouvert à tous et gratuit, qu’il s’étend autant que possible (avec des projections aux UGC Les Halles et l’Ouverture au Grand Rex), qu’il offre toujours des séries du monde entier, des conférences et des débats. Est-ce que la fréquentation fut encore plus importante que pour les éditions précédentes ? Difficile à savoir pour l’instant mais remarquons que contrairement aux premières années, les grosses gourmandises pour aficionados de séries HBO, marathon Walking Dead ou Game of Thrones en tête, ont disparu du programme. Certains ont dû trouver ça dommage. De notre côté, on n’a pas vu la différence.
Les nouveautés qui nous emballent ? Outre un marché pour les professionnels qui se développe de plus en plus, mais dont l’accès est logiquement limité, on continue d’y voir représenté toute la plaque tournante de la fiction européenne de qualité. Après l’Australie ou encore la Russie lors des éditions précédentes, ce sont les séries belges qui s’en sortent le mieux cette année, avec des créations flamandes comme La Trêve, Beau Séjour ou Ennemi Public. Du polar qui tâche, une ambiance parfois fantastique proches des Revenants, ou même une réappropriation des aspects les plus sombres d’une histoire récente, avec l’histoire d’une libération de tueurs d’enfants qui risquent de filer des sueurs froides à pas mal d’associations de vieux cons… S’il devait y avoir un trophée du pays le plus inventif, qui peut se targuer d’avoir de nombreuses productions de qualité, bien réalisées, ambitieuses et marquantes, ce serait bien la Belgique. Les autres prétendants ? Ils ne sont pas nombreux et c’est là où le bât blesse : en montrant de plus en plus de séries européennes et de moins en moins de séries africaines ou asiatiques le marché de Séries Mania est en train de se recentrer et semble s’homogénéiser dangereusement. Ce n’est pas la faute du festival, au contraire. Son but est aussi d’être le marqueur de son époque, de montrer ce qui se fait ici et maintenant. Et le nouvel effet de mode qui dit que toute chaîne, marque ou plateforme de streaming se doit d’avoir sa série de qualité se fait de plus en plus sentir : des séries bien manufacturées émergent en quantité industrielle, toujours plus nombreuses avec les années qui passent. Des séries moyennes ou bonnes parfois ; mais des séries marquantes ? C’est plus rare.
Quelques propositions fortes tout de même, surtout côté anglophone, comme la dernière création de David Simon, Show me a hero, proposée en version marathon de six heures, une fresque politique étrangement émouvante portée par Oscar Isaac. Niveau comédie on retient aussi les très bonnes Master of None, création d’Aziz Ansari pour Netflix, ou encore Baskets, production de Louis C.K. pour Zach Galifianakis qui se rêve clown en France ! Ça reste le problème principal d’un festival comme Séries Mania qui essaye de faire venir un large public pour visionner des séries dans une salle de cinéma (un confort agréable même si l’objet n’a pas été prévu pour ce type de projection, mais soit) : se heurter aux vérités du streaming, légal ou illégal, et à la consommation maladive de séries américaines. Comment survivre et programmer des séries inédites alors que nous avons déjà tout vu ? Séries Mania a trouvé une solution et a décidé d’y mettre les moyens.
Créer un jury international, présidé par David Chase cette année, créateur, showrunner et scénariste des Soprano, accessoirement la meilleure série de tous les temps, qui remettra des prix à un ensemble de séries sélectionnées pour une compétition internationale (là encore très européenne), toutes présentées en avant-première ! Une grande première après la réussite l’année dernière de l’opération Wayward Pines ou le pilote était présenté lui aussi en avant-première mondiale. Alors d’accord, pas de bulldozer américain dans la sélection, pas même de série qui nous donne envie de regarder frénétiquement la suite comme Occupied l’année dernière, mais une sélection de haute volée avec des projets riches et variés. Et un jury qui récompense clairement ce qu’ils y ont vus de plus intéressant. Pas de prix pour la superproduction signée Harlan Coben, The Five ou encore le mini-The Wire d’Arte qu’est Cannabis, le jury offre et à raison son Grand Prix à El Marginal. Une plongée poisseuse et dont l’humour confine à l’absurde dans une prison argentine où un ex-policier infiltré tente de trouver le responsable de l’enlèvement de la fille d’un juge haut placé. Ça ne fait pas rêver sur le papier, pourtant ça prend son temps pour installer une ambiance lugubre et irréelle, pas si éloignée d’un Twin Peaks entre quatre murs avec ses nains, ses blagues et sa violence traumatisante qui donne envie d’y revenir. On pensait que personne n’arriverait à faire une série de qualité sur le milieu carcéral après Oz, mais El Marginal nous a fait changer d’avis. Le Prix Spécial du Jury a été remis à The Kettering Incident, clairement la meilleure surprise du festival, dans laquelle une jeune policière se réveille en Tasmanie, sa terre d’origine, pour y retrouver une population bigarrée marquée par la disparition d’une jeune fille dont les coupables seraient vraisemblablement une bande d’aliens en goguette dans le coin. Le mal mystérieux qui ronge l’héroïne – elle tombe dans les pommes, disparaît pendant plusieurs jours, comme si elle était contrôlée par une force extérieure qu’elle ne peut maîtriser – donne une impulsion simple mais convaincante à une trame assez classique. Paysages écrasants, folklore mystique et sentiment d’insécurité donnent une tonalité unique à The Kettering Incident. Oui, il y a eu beaucoup de malaise à Séries Mania cette année. Et de disparition de jeunes filles mais ça c’est tous les ans de toute façon.
Passons rapidement sur le nouveau prix remis par L’Association Française des Critiques de Séries pour la pachydermique Mr. Robot que tout le monde a déjà vu, analysée, débattue, adorée puis détestée et qui se fera vraisemblablement oublier d’ici quelques années. Jour Polaire et Beau Séjour ont reçu ex-aequo le Prix du public, et les deux séries le méritent. Nous avons évoqué la seconde, série belge où le fantôme d’une jeune fille disparue (non, vraiment, sérieusement) enquête sur sa propre mort, réjouissant retournement de situation dans un récit qui a déjà fait ses preuves par le passé. La première, bientôt diffusée sur Canal +, offre sûrement les visions les plus hallucinées de tout le festival : preuve en est avec l’ouverture de la série, lorsque Denis Lavant se réveille attaché aux pales d’un hélicoptère qui se mettent à tourner si vite qu’il en perd littéralement la tête. S’ensuit une enquête entre Paris et la Suède, terre du meurtre d’un citoyen français, Lavant donc, pour un thriller laponien créé par le duo Mans Marlind / Bjorn Stein, créateurs de The Bridge. Si on vous avait dit que Leïla Bekhti porterait la version franco-suédoise de True Detective, vous y auriez cru ? Et pourtant, le résultat est terrifiant et particulièrement prenant.
A côté de la Compétition nous trouvons des sections respectables et toujours d’actualité comme celle réservée aux webséries, présentant un parcours de la production web de l’Allemagne à l’Inde en passant par la Corée, soit un peu plus diversifiée que sa grande soeur qu’est la Compétition séries TV. Signalons le prix remporté par l’Espagnole Dating Dali et les deux réussites du festival, Exode et Charon. Nous pouvions aussi voir quelques séries américaines déjà mentionnées plus haut, complétées entre autre par une soirée d’ouverture consacrée à Vinyl produite par Martin Scorsese (vu il y a deux mois et malheureusement déjà oubliée) ou encore The Man in the High Castle, l’adaptation pas du tout fidèle au roman de Philip K. Dick via Amazon. Une sélection de séries francophones, très axée Belgique donc, permet à la première création d’un jeune scénariste issu de la section Création Séries TV de s’illustrer : Irresponsable, signé Frédéric Rosset, narre les déboires d’un trentenaire obligé de revenir vivre chez sa mère à Chaville après avoir perdu job et appartement. Garçon sans prétention, sympathique bras cassé bon à rien, sa vie va basculer quand il se lie d’amitié avec un adolescent porté sur le oinj, activité qu’il apprécie lui aussi, mais qu’il découvre qu’il s’agit de son fils. Le plus intéressant est de voir le héros réaliser qu’il se sent mieux parmi son fils et ses amis qu’avec les gens de son âge. Humour ciselé, interprétation convaincante, la série qui débute en juin sur OCS fait du bien aux yeux, et plus encore aux oreilles : enfin une production française où l’on se permet de faire rire avec un format 26 minutes sans en rajouter sur les effets sonores, pouet-pouet et musique à tout bout de champ, comme pour cacher un silence qui met plus mal à l’aise les diffuseurs que les spectateurs, soit le mal qui ronge notre bonne télévision française depuis des décennies. Ici, on prend le temps de développer l’histoire grâce à un format de dix épisodes, et touche juste avec ses portraits d’adolescents et de jeunes adultes à la marge qui se sentent très bien comme ça. Espérons un bel avenir et quelques saisons pour Irresponsable.
C’était le rayon de soleil du festival. Du moins, le seul sourire après plusieurs dizaines d’heures de visionnage. Car Séries Mania se “festival de cannise”, non pas en invitant une tripotée de stars pour passer sur le tapis rouge, plutôt en convoquant des sujets toujours plus graves, troublants, lourds mais parfois franchement pénibles. Durant un festival de cinéma, on peut toujours donner une seconde chance aux films après coup : c’est la succession peu naturelle d’autant de films plombant qui finit par créer l’effet de ras le bol. La série d’aujourd’hui n’est-elle pas faite pour se “bingewatcher” ? On vous défie de vous enfiler tous les projets présentés à Séries Mania d’affilé sans en ressortir avec une tendance dépressive et des pulsions de mort. Encore une fois, la manifestation fait son travail de zeitgeist de la télévision et ne pourra jamais rien changer à cette antienne qui veut que, quand quelqu’un fait de “l’art”, il est perçu d’emblée comme plus respectable s’il cherche à faire pleurer qu’à faire rire. Cette uniformisation européenne ne fait pas du bien à notre télévision, surtout quand on pensait depuis quelques années être enfin sortis des sempiternels schémas de série de flics / d’avocats / de médecins, des formats qui semblent revenir en force aujourd’hui sur des trames plus longues, une enquête sur dix épisodes, avec meurtres d’enfants, viols et héros taciturnes à la clef.
La meilleure preuve de cette tendance reste d’observer le générique d’ouverture de la plupart des séries citées précédemment, même les plus réussies. On prend celui de True Detective, on le bidouille à notre sauce avec nos comédiens sur un logiciel d’illustration et on a tout de suite l’air aussi sérieux que les américains. Le diable est dans les détails et la copie a rarement été aussi peu inspirée.