WAYWARD PINES : M. Night Shyamalan sort du bois ?

Pas besoin d’attendre 2016 pour assister au retour de Twin Peaks. M. Night Shyamalan offre avec Wayward Pines une variation autour de la même fable terrifiante. Qu’est-ce qui se trouve au fond des bois ? Peut-on y disparaître pour toujours ? Conspiration, FBI et imbroglios spatio-temporels emballent cette course poursuite sédentarisée.

C’est une grande première et il faut le faire remarquer. Pour la première fois, l’ouverture du festival Séries Mania s’est faite avec un épisode pilote inédit dans le monde entier (si on omet les quelques festivals audiovisuels destinés aux professionnels), un mois avant sa diffusion. A ce moment là, l’équipe de Canal + est très fière de faire partie d’un immense dispositif de diffusion, là encore du jamais vu, mettant ainsi à disposition Wayward Pines toutes les semaines en simultané aux États-Unis et dans une centaine d’autres pays. Un mois après, si la série a bien débuté aux États-Unis, Canal+ nous annonce qu’elle arrivera finalement chez nous “prochainement”. Cela devait être relevé.

Le cadre de Wayward Pines c’est la petite bourgade du même nom perdue dans les forêts de pins. Après la disparition de plusieurs agents du FBI, l’un de leurs collègues, Matt Dillon, part à leur recherche. Un accident de voiture plus tard, l’agent Matt Dillon se réveille dans un hôpital désert, examiné par la plus lubrique des infirmières (impeccable Melissa Leo, comme à son habitude) pour finir par errer dans cette ville où tout le monde sourit. Valse des faux-semblants, la terreur derrière la bonne humeur, Wayward Pines va se révéler être l’un des plus joyeux enfers sur Terre.

WAYWARD PINESChad Hodge, showrunner de cette mini-série qui ne devrait pas dépasser les dix épisodes, adapte donc ici la trilogie de romans à succès de Blake Crouch. A ses côtés, l’investigateur du paranormal M. Night Shyamalan, toujours étonnant, toujours là où on ne l’attend pas, souvent pour notre plus grand plaisir. En tant que producteur exécutif il s’investit totalement dans le projet, constitue une équipe d’acteurs aussi hasbeens et attachants que lui (de Matt Dillon à Juliette Lewis en passant par Terrence Howard), il relit et modifie les scripts, bâtit en somme une véritable identité à la série, conceptuelle et artistique. En tant que réalisateur, il fait comme Gus Van Sant avant lui, avec Boss, ou encore Martin Scorsese, sur Boardwalk Empire : il donne un cadre à ses continuateurs, montre ce qui peut se faire et ne pas se faire. C’est aussi le rôle, plus généralement, d’un épisode pilote. On regrette pourtant de sortir du visionnage de ce premier épisode avec un goût amer dans la bouche, comme si Shyamalan avait tenu à remplir sagement son cahier des charges, concassant son style, l’évacuant de tout ce qu’on peut adorer ou détester chez lui. Peu de temps laissé aux échanges, aux mains qui s’étreignent, aux ralentis déchirants ; le pilote de Wayward Pines ressemble à un énième programme de la Fox, une image vidéo très lisse, et donc un peu vieillotte dans cette époque où la télévision a déjà largement prouvé sa valeur et déployé ses nombreuses qualités plastiques intrinsèques. Si, l’année dernière, James Gray nous décevait avec le premier épisode très plan plan de The Red Road, un autre cinéaste, Lodge Kerrigan, relevait le niveau en fin de saison. Quand on sait que Shyamalan s’est entouré non pas d’un seul mais de deux anciens réalisateurs de Twin Peaks ainsi que de Nimrod Antal (Blindés et le remake Predators) cela a de quoi réveiller notre curiosité et rester confiant pour la suite.

C’est la force vive de la série, celle qui nous entraîne et risque à tout moment de nous laisser de côté ; sa vitesse, sa célérité, son incroyable capacité à foncer la tête baissée.

On comprend aisément que le M. Night Shyamalan du Village soit attiré par ce récit de zones et de territoires, où un petit monde mystérieux logé au creux du nôtre est le théâtre d’enquêtes, d’affrontements et d’empoignades. Il est plus étonnant de noter que la personnalité de Wayward Pines est totalement diluée dans l’ensemble des productions actuelles, alors que les séries sont de plus en plus nombreuses et globalement, avouons-le, de meilleure facture qu’il y a vingt ans. Cette série est finalement un pur produit de son époque, méta à souhait, ultra-référencé, où chaque plan se cache derrière un autre, où chaque interstice de l’intrigue en appelle à une histoire plus ancienne, fondatrice dans l’histoire de la télévision. Du Prisonnier à Lost, qui s’ouvre sur le même plan que Wayward Pines, de X-Files à Twin Peaks, et aujourd’hui, coincée entre le délire incontrôlable d’un Under the Dome et les questionnements philosophiques pointus de The Leftovers.

Ces saintes références sont clairement revendiquées. Sont-elles indépassables ? Quand on sait que Blake Crouch a travaillé à l’écriture de ses romans tout en étant en discussion avec Chad Hodge qui tentait alors de vendre le projet de série à plusieurs chaînes, on comprend que le travail d’écriture de Wayward Pines a dû se faire d’une drôle de manière. Dix épisodes condensant trois romans de plusieurs centaines de pages, bousculant ses intrigues et ses rebondissements, les raccourcissant, comme un résumé fait à la va-vite d’une histoire qu’on voudrait apprendre à connaître mieux. C’est aussi la force vive de la série, celle qui nous entraîne et risque à tout moment de nous laisser de côté ; sa vitesse, sa célérité, son incroyable capacité à foncer la tête baissée. A l’inverse des standards actuels, tout va très vite, toutes les pistes se déploient en même temps, les conspirations se multiplient, les indices affluent, les bizarreries temporelles ont bon dos, on s’amuse autant qu’on s’interroge.

Seule absence véritable à déplorer, celle de Shyamalan lui-même qui semble tout faire pour se racheter une réputation, quitte à faire taire son style, à accoler son nom à un empilement de twists et de révélations ambiguës et retorses.

WAYWARD PINESC’est sûrement là que se loge tout le problème. Wayward Pines est le dernier descendant d’une longue filiation mais peut-elle offrir un renouveau au genre télévisuel fantastique ? Blake Crouch, enfant traumatisé à l’époque par Twin Peaks, n’hésitait pas à expliquer qu’il avait alors écrit la suite de la série de David Lynch pour son propre plaisir. Wayward Pines est-elle finalement une fanfiction à gros budget ? Les deux pieds bien profonds dans son époque, la série assume finalement sans problème ses limites et ses faiblesses. Enfonçons nous joyeusement sur la route de Wayward Pines, pleine d’embûches incongrues, de belles trouvailles et de grandes représailles. Seule absence véritable à déplorer, celle de Shyamalan lui-même qui semble tout faire pour se racheter une réputation, quitte à faire taire son style, à accoler son nom à un empilement de twists et de révélations ambiguës et retorses. Si les premiers chiffres d’audience ne sont pas extraordinaires, les retours, notamment de la presse, sont plus qu’enthousiastes. Paradoxalement, l’art du twist qui donnait naissance à Shyamalan et qui l’aura longtemps hanté sera peut-être sa planche de salut. Espérons au moins que la réussite de cette vieille formule redonnera du courage au réalisateur et l’envie de s’aventurer dans des recoins plus dangereux du monde que ceux de Wayward Pines.

WAYWARD PINES (Etats-Unis), une série de Chad Hodge et M. Night Shyamalan, débutée en 2015, diffusée par FOX. Avec Matt Dillon, Juliette Lewis, Terrence Howard, Melissa Leo, Carla Gugino, Toby Jones. 10 épisodes de 42 minutes. Diffusion française prochainement sur Canal +.

Hugues Derolez
Hugues Derolez

Jeune à problèmes et critique franchouillard pour Vodkaster, Slate et Trois Couleurs.

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