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Un enfant aux pouvoirs inquiétants fuit avec son père alors qu’il est traqué à la fois par une secte et par le FBI : mélange de road movie et de science-fiction, Midnight Special est trop modeste pour satisfaire les grands espoirs placés en lui et en son réalisateur, Jeff Nichols.
Avant de rendre hommage à Steven Spielberg, Jeff Nichols aurait dû jeter un œil au guichet réservé à cette activité à part entière du cinéma : il aurait vu qu’il y avait déjà la queue. J.J. Abrams, Rian Johnson et même Brad Bird y ont déjà validé leur ticket, et maintenant que Midnight Special est là, c’est davantage à ses cousins qu’à son père spirituel qu’il fait penser. Les couleurs de Super 8 ou l’Americana paranormale de Looper sont aussi celles d’E.T. et de Rencontres du 3ème type, d’accord, mais en ignorant visiblement ce qu’elles avaient déjà enfanté comme déclinaisons, Nichols nourrit comme d’autres cette veine de « l’eightiesploitation », qui n’en finit par de grossir maintenant que les fans de Spielberg sont en âge de procréer. Peut-être que Midnight Spécial ne cherche pas à faire davantage que cela. Sa présence en compétition à Berlin et le statut de son réalisateur l’arrachent à cette humilité, et ça ne lui rend pas service.
Si le film était l’œuvre d’un inconnu, on louerait sûrement la sécheresse de sa première demi-heure, un régal qui culmine très vite lors d’une fuite en voiture, feux éteints, dans le noir absolu. Le véhicule, ce pourrait être la diabolique Christine de Carpenter, d’autant qu’à son bord se trouve un enfant dont on ne sait s’il est Sauveur ou Antéchrist, capable de capter une radio FM dans sa tête ou de faire tomber un satellite (malheureusement, le résultat est moins impressionnant que ce à quoi l’on peut s’attendre en lisant cette phrase). Nichols ne chérit pas seulement le Spielberg des années 80 (et même avant ; Sugarland Express n’a pas été oublié), il aime aussi John Carpenter, mais préfère Starman à Christine. L’inquiétude première laisse donc progressivement place à une science-fiction plus laborieuse, qui a la faiblesse de faire trop confiance à son épilogue, de surestimer l’impact émotionnel de ce dernier et sa supposée beauté plastique. Take Shelter reposait sur une structure dramatique plus efficace. Il y avait son ultime scène, saisissante, mais aussi, avant, la longue séquence de réclusion où l’on ne savait plus qui de la folie du père ou de l’ouragan était le plus dangereux. Midnight Spécial, lui, ne laisse pas stupéfait. Même Nichols doit le sentir, couvrant sa révélation finale sous tous les angles, longuement, comme s’il espérait compenser par la quantité ce qui tenait pourtant en un plan dans Take Shelter.
Midnight Special est douloureux parce qu’il est le premier film à montrer les limites de Nichols en tant que réalisateur.
Sans cette stupéfaction, l’après-séance nous laisse le loisir de ressasser les frustrations liées au scénario (pourquoi n’a-t-on plus de nouvelles de la secte dirigée par Sam Shepard, à qui l’enfant a été enlevé ?) et les approximations techniques qui confinent à la négligence. Il faut être particulièrement clément pour ne pas se demander si certains effets spéciaux ne se sont pas contentés d’After Effects, et le faire remarquer ne relève pas de la mesquinerie : si justement cela se remarque, c’est que Nichols échoue à dévier l’attention sur des éléments plus gratifiants pour lui comme pour le spectateur.
Tout cela est suffisant pour diluer l’effet des bonnes idées se raréfiant à mesure que le film avance : la tenue incongrue du petit (lunettes de natation teintée, casque antibruit) et son aversion pour la lumière du soleil ; le passage de relais entre le père (Michael Shannon) et la mère (Kirsten Dunst) qui permet à Nichols de s’intéresser à autre chose qu’à la sempiternelle relation paternelle ; le personnage de Lucas (Joel Edgerton), bon soldat obéissant aveuglement au père, et dont les motivations auraient mérité plus de considération ; le dépouillement parfois digne de ces séries B faites par des réalisateurs qui valaient plus que les histoires qu’on leur donnait. Nichols vaut sûrement plus que son histoire d’ailleurs, mais soit il a vu celle-ci trop belle, soit il n’est pas suffisamment fort pour la transcender par sa mise en scène. Si vous donnez un pitch de série B à Spielberg, il en fera un film A. Faîtes la même chose avec Nichols et vous obtenez un film B ou plutôt B’ car il privilégie le sous-texte au détriment du texte, soit un film plus beau à raconter qu’à vivre.
Midnight Special est douloureux non parce qu’il aurait dû être fort vu son potentiel, mais parce qu’il est le premier film à montrer les limites de Nichols en tant que réalisateur. Il le fait en toute innocence, en plantant par exemple son jeune super-héros au milieu des hautes herbes comme le font Looper et A la poursuite de demain, sans craindre la comparaison avec ces deux-là, alors que celle-ci est forcément à son désavantage parce que lui n’en fait pas une image iconique. C’est mignon et c’est ce qui protège encore Jeff Nichols d’un retour de bâton critique ; car cette candeur, qui joue contre lui quand il s’engage crânement sur un chemin ultrabalisé où seul un styliste s’en sortirait, elle permet aussi d’apporter immédiatement de la tendresse à la première étreinte entre un fils, son père et sa mère, alors que tous trois n’ont jamais partagé l’écran jusque là, ou si peu.
MIDNIGHT SPECIAL (Etats-Unis, 2016), un film de Jeff Nichols, avec Michael Shannon, Joel Edgerton, Jayden Lieberher, Kirsten Dunst, Adam Driver, Sam Shepard. Durée : 112 minutes. Sortie en France le 16 mars 2016.