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Faisant jouer les prolongations aux plaisirs de l’été alors que sonnait la rentrée, le festival Silhouette a déroulé sa sélection de courts-métrages sur neuf soirées en plein air. Récit de l’une d’entre elles, réussie même si aucun des films vus à cette occasion ne s’est hissé au palmarès – c’est dire si les autres devaient être encore plus agréables.
L’art du court-métrage est aussi distinct de celui du long, que la pratique du tennis de table l’est vis-à-vis de celle du tennis. Le temps pour construire les échanges disparaît, laissant la place à l’efficacité immédiate des coups lâchés soudainement. Une idée, visuelle ou narrative, peut produire à elle seule de quoi capter notre attention et faire grimper d’un bond le film de plusieurs crans dans notre estime. Cela ne suffit pas toujours à le hisser tout en haut ; ainsi le court-métrage français de cette soirée, Le cœur, réalisé par Olivier Guidoux, reste engoncé dans ses caractéristiques trop typiquement françaises (forme dépouillée, jeu théâtral, motif du triangle amoureux). Néanmoins, il demeure intriguant tout le temps qu’il dure et s’inscrit dans notre mémoire une fois qu’il s’est achevé, par la force d’une unique image : le sang qui suinte de la peau de son personnage, au niveau de son cœur, sans que ce mal étrange (mystique ? romantique ? physique mais rare ?) ne soit jamais clarifié.
Dans le russe Vykluchatel, de Sergey Dakhin, l’idée qui fait mouche est plus classiquement un gimmick comique : le grand-père du héros a oublié le numéro de téléphone auquel ce dernier doit rappeler une petite amie potentielle. Dakhin exploite sa trouvaille avec beaucoup d’adresse, pour faire rire (les chiffres reviennent à l’esprit du grand-père de façon imprévisible et déconcertante) autant que pour enrichir son récit – l’étincelle à l’origine de la mécanique burlesque devient progressivement, en parallèle, source d’émancipation pour les deux protagonistes. De sorte que, en à peine plus de dix minutes, Vykluchatel parvient à nous rendre proche d’eux et faire naître l’émotion au terme de son bref chemin : la marque d’un court-métrage juste. Une marque que porte pareillement un autre court tout aussi court, le dessin animé japonais Une vache au fond de ma tasse, de Yantong Zhu. Lequel se distingue car il repose moins sur une idée que sur un geste ; celui qui esquisse les traits qui donnent vie aux formes couchées sur le papier. Le dessin d’Une vache au fond de ma tasse évoque la beauté épurée du magnifique Conte de la princesse Kaguya, dans sa manière d’unir dans un même mouvement délié, continu, organique toutes les choses qui forment le monde de son récit. Zhu nous emporte dans son univers dès la première minute, et un souffle plus tard, quand arrive le point final, c’est l’émotion qui nous enveloppe tendrement.
Retour aux idées uniques. La réalisatrice d’Archipels, granites dénudés, Daphné Hérétakis, semble bien au fait du principe, mais pèche dans sa mise en application. Soit qu’elle ait été incapable de retenir une seule idée entre toutes, ou bien qu’elle n’en ait pas trouvé d’assez forte pour s’affirmer comme une évidence, toujours est-il que son documentaire tourné à Athènes à cheval entre 2013 et 2014 laisse une net goût d’inachevé – et d’occasion manquée, avec un tel sujet de fond à traiter. La crise à laquelle est confrontée la Grèce, en tant que pays et qu’idéal (de la culture, de la démocratie), est réduite au rang de bruit de fond couvert par le brouhaha des amorces d’idées d’Hérétakis. Visant à relier l’état du pays et celui de la jeunesse qui l’habite, ces tentatives partent dans toutes les directions et trop peu touchent au but. Soit tout le contraire du dernier – et meilleur – film du programme, le sud-africain Hillbrow de Nicolas Boone. Lui aussi traite de la misère sociale (Hillbrow est le nom d’un quartier en déshérence de Johannesburg) par le biais de la mise en scène, mais en faisant d’une idée franche le fil rouge de sa création. Hillbrow le film est découpé en dix plans-séquences suivant un individu (différent à chaque fois) en mouvement dans Hillbrow le quartier. La mise en scène devient de ce fait adossée à la géographie du lieu, qui lui donne sa charpente – les déplacements de la caméra suivent la forme des rues, escaliers, etc. – et son éclat (la démesure de certaines constructions, et de points de vue se révélant subitement, fournit des plans « tout faits »). En ajustant le mouvement de son film sur celui des gens, Boone calque son pouls sur celui de la ville elle-même, sidérante, violente, bouillonnante. Une idée, parfaitement juste, lui a suffi.
Le 14è Festival Silhouette s’est déroulé du 28 août au 5 septembre 2015, à Paris. Retrouvez son palmarès ici.