SILHOUETTE 2016, des profondeurs souterraines à l’infini de l’espace

On trouve toujours de tout au festival Silhouette. Des fictions, des documentaires, des œuvres expérimentales, des clips, des films lointains, des dessins animés pour petits, des courts vraiment courts, des dessins animés pour grands, des films proches, des courts presque longs. Cette année, on y a surtout trouvé deux réalisations très marquantes, empruntant avec talent des voies différentes du cinéma fantastique : Hotaru de William Laboury (qui a reçu le Grand Prix) et Le gouffre de Vincent Le Port.

William Laboury est monteur de formation, et a d’ores et déjà commencé à œuvrer dans cette spécialité sur des longs-métrages (Le parc et Tombé du ciel, passés par l’ACID et sortant prochainement en salles). Hotaru est clairement un film de monteur, non pas dans un sens péjoratif – pour signifier que son auteur peinerait à convaincre dans les autres composantes de la réalisation – mais tout à fait positif : Laboury y crée par le montage des impressions et un trouble qui sortent largement de l’ordinaire. L’histoire qu’il nous raconte est celle de Martha, jeune fille dont l’on comprend la situation avec un temps de décalage. Elle est endormie à bord d’une fusée s’éloignant toujours plus de la Terre, son cerveau gavé de toutes les images ou presque constituant notre planète et son histoire, afin de former le message le plus exhaustif possible à l’intention des extraterrestres qui la trouveront hypothétiquement. Martha est à mi-chemin entre la sonde Voyager et la Belle au bois dormant, entre l’électronique et l’organique, la vie au passé révolu (une accumulation de données et de faits) et l’existence vécue au présent (des sensations, des émotions impalpables). Martha est immobile, isolée, inexpressive aux yeux de ce que la mise en scène est en mesure de capter en surface ; mais l’infinité d’images emplissant sa mémoire, et leurs télescopages et surimpressions, sont accessibles au montage qui peut y prélever de quoi composer un film illimité, étourdissant. La révélation de l’état de son héroïne n’émousse nullement la force de ce ballet d’images. Elle lui ajoute une facette tragique, dont l’éclat se développe en même temps que la prise de conscience du contraste entre l’impuissance et la toute-puissance de Martha. On regrette que la fin d’Hotaru voit Laboury replier son histoire autour du cliché de l’éveil sexuel adolescent, poncif terriblement éculé du jeune cinéma français d’auteur que l’on retrouve quasiment partout et qui en a perdu quasiment toute vigueur.

C’est dans le quotidien des personnages, le décor dans lequel ils évoluent avec naturel que Le Port puise des éléments anodins qu’il réinvente, par la mise en scène, en agents d’un cinéma fantastique intense

Le gouffre est reparti bredouille du parc de la Butte du Chapeau Rouge. On aurait beaucoup aimé voir son réalisateur Vincent Le Port faire coup double comme William Laboury (l’un et l’autre ayant été primés pour leurs courts à Clermont-Ferrand en début d’année), car sa maîtrise des codes d’épouvante et de leurs arrangements est complète. Dans les pas de Céleste, qui travaille pour l’été dans un camping et se retrouve à chercher la petite fille disparue d’un couple de clients, Le gouffre transforme un coin ordinaire du bord de mer breton en lieu d’angoisse sourde et fascinante. Et cela sans puiser nulle part ailleurs que dans le quotidien des personnages, le décor dans lequel ils évoluent avec naturel et dont Le Port réinvente, par la mise en scène, des éléments anodins en agents d’un cinéma fantastique intense. Cette démonstration de magie noire, et le noir et blanc granuleux et inquiétant qui l’habille, évoquent la manière dont Dreyer révélait la face lugubre d’un village de campagne similaire dans Vampyr. Le Port fait de même avec des rues désertes entourées par de lourdes bâtisses en pierre, des chemins de forêt arpentés par Céleste se protégeant des éléments – et d’autre chose ? – dans sa grande cape (rappelant une autre héroïne en proie à des forces mystérieuses, celle du Village), une statue de saint gardant l’entrée d’un souterrain d’où rien de bon ne semble devoir émerger. Nous faire pénétrer dans ce dédale de galeries contre notre gré nous rend sujets à la même frayeur que ressent Céleste, et emmène le film vers son apogée dramatique et graphique. Là Le gouffre croise The descent, avant de choisir une autre voie que celle du film de Neil Marshall pour trouver son dénouement – une voie plus humaine mais pas moins perturbante.

Le 15è Festival Silhouette s’est déroulé à Paris du 26 août au 3 septembre 2016.

Retrouvez le palmarès complet ici.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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