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Les circonstances de l’assassinat de Yitzhak Rabin par un juif extrémiste, le 4 novembre 1995 à Tel Aviv : Amos Gitaï reconstitue les auditions de la commission d’enquête sur le meurtre, mais aussi et surtout, les réunions des ennemis du Premier Ministre de l’époque et leur méticulosité à le désigner comme le nouvel Hitler. Le cinéaste israélien enfonce beaucoup de portes ouvertes, mais celles qui ne le sont pas ouvrent sur une haine à la rationalité désespérante.
« Je te l’avais bien dit… ». C’est suffisamment énervant de faire un mauvais choix, en dépit d’un avertissement, et d’en payer le prix, ça l’est encore plus quand on entend cette réflexion. Par contre, ça devient carrément étrange quand on vous la sort vingt ans après, sans même vous avoir prévenu au préalable. C’est ce que fait Amos Gitaï avec Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin (Rabin, The Last Day), film-dossier-enquête-hommage loin d’être inintéressant, mais qui se paie le luxe un peu salaud de remettre les pendules à l’heure alors qu’elles sont depuis longtemps arrêtées. A Venise, une partie de la critique a comparé ce nouveau long-métrage du réalisateur de Tsili ou Ana Arabia, parmi les plus récents, au JFK d’Oliver Stone. Nous ne sommes pas de ceux-là. Avec JFK, Stone cherchait à percer un mystère vieux de trente ans et n’avait de compte à régler avec personne, pas directement en tous cas. Il n’y a aucun véritable secret dans Rabin, The Last Day, puisque l’assassin du Premier Ministre israélien, signataire des accords de paix d’Oslo, est connu, détenu et que sa responsabilité ne fait aucun doute. Ca n’empêche pas Gitaï de vouloir démontrer que le meurtre de Rabin était aussi et surtout le fait d’un environnement. On s’en serait douté, mais ne nous faisons pas plus malins que nous ne le sommes, surtout que la démonstration du film vaut la peine.
Par deux fois, Gitaï met en scène l’assassin en train de placer des balles dans son pistolet, car là se trouve la raison d’être de Rabin, The Last Day : non pas dire qui tenait le flingue et a appuyé sur la détente, mais qui a fourni, symboliquement, les balles ? Et là, à coups de reconstitution d’auditions auprès de la commission d’enquête (la commission Shamgar), d’images d’archives et de scènes de fiction plus conventionnelles dont l’intensité tient à leur montage en plan-séquence, la réponse émerge, précise et partisane, mais très tardive par rapport aux faits : Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier Ministre israélien. Vu l’effet nul qu’a eu Fahrenheit 9/11 sur les votants américains, on ne regrette pas que le film n’ait pas été fait plus tôt dans l’espoir d’empêcher la dernière réelection de Netanyahou. Difficile toutefois de ne pas tiquer devant l’espèce d’inspection des travaux finis à laquelle ressemble Rabin, The Last Day. Souvent, Gitaï semble vouloir dire que l’assassinat de Rabin ne pouvait pas ne pas avoir lieu, parce que tout était réuni pour ça (excitation des foules contre Rabin, offensive politique, et malédiction ordonnée par certains religieux), mais il adopte un raisonnement inductif qui ne fonctionne pas. Tout ce que l’on retient alors est une sorte de tautologie : évidemment que des tas de choses ont cloché ce jour-là et ceux d’avant, sinon Rabin serait encore vivant. CQFD.
Rabin, The Last Day s’avère globalement bien plus marquant quand il détaille le raisonnement vrillé à l’œuvre chez les ennemis mortels de Rabin, sollicitant l’appui des politiques, des religieux et même des scientifiques
Le film se rattrape heureusement grâce à son aspect le moins attendu, sa dimension émotionnelle. L’exécution de Rabin est ainsi suivie d’une scène de prières très particulière. Elle ressemble à une veillée funèbre et c’est visiblement ce que Gitaï veut nous faire croire, alors qu’il s’agit d’un flashback, une réunion destinée à faire solennellement du Premier Ministre alors encore vivant, un adversaire à éliminer à tout prix. Rabin, The Last Day s’avère globalement bien plus marquant quand il détaille le raisonnement vrillé à l’œuvre chez ses ennemis mortels, sollicitant l’appui des politiques, des religieux et même des scientifiques (cette doctoresse en psychologie, qui finit par éclater en sanglots après avoir diagnostiqué une schizophrénie grave chez Rabin, aussi grave que pour Hitler…) pour monter une sorte d’énorme dossier secret à charge destiné à désigner le signataire des accords d’Oslo comme le destructeur du judaïsme. Une démarche indispensable pour justifier au préalable son assassinat et faire de sa mort celle d’un tyran, au même titre que le meurtre de Jules César en son temps. Ainsi absous par avance, le meurtrier n’avait plus qu’à appuyer sur la détente.
LE DERNIER JOUR D’YITZHAK RABIN (Rabin, The Last Day, Israël, France, 2015), un film d’Amos Gitaï, avec Yitzhak Hiskiya, Pini Mittelman, Michael Warshaviak, Einat Weiman, Yogev Yefet, Tomer Sisley. Durée : 153 minutes. Sortie en France le 16 décembre 2015.