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Cador du télémarketing, Michael, la quarantaine bien tassée et désabusée, se rend à Cincinnati pour y diriger un séminaire d’auto-motivation. La nuit, à son hôtel, il fait la connaissance de Lisa, déjà fan de lui : sept ans après Synecdoche, New York, Charlie Kaufman revient à la réalisation avec un film fait en stop motion pour faire de l’amour une belle et triste histoire de voix.
Charlie Kaufman a plus de chance de Zach Braff ou Spike Lee : comme ses deux compères, le réalisateur-scénariste a fait un kickstarter pour financer son dernier long-métrage, mais personne ne lui en a tenu rigueur, malgré la rondelette somme levée, 400 000 dollars. Sûrement parce que le scénariste de Dans la peau de John Malkovich ou Human Nature garde une image de bricolo-rigolo gondrienne qui ne jure pas avec le financement participatif, et que son nouveau projet, déjà étrenné en 2005 au théâtre avec le compositeur Carter Burwell, ne pouvait que flatter les adulescents et les internautes très tendance.
Anomalisa est un long-métrage en stop motion, à destination d’un public tellement mature qu’on y voit même un dépressif faire un cunnilingus. Ce bout-en-train s’appelle Michael. Il passe la nuit dans un hôtel de Cincinnati avant de faire sa conférence sur la bonne manière de gérer un call center. La femme, c’est l’anomalie du titre, Lisa, « Anomalisa » comme la surnomme son amant fraîchement appâté (un nom de déesse japonaise aussi, tout n’est pas affreusement tordu chez Kaufman). Appâté par quoi ? Par sa voix, à son corps défendant.
Nous ne sommes plus des Malkovich qui voyons à travers les yeux de Malkovich un monde peuplé de Malkovich, mais des Michael qui écoutons avec les oreilles de Michael des personnages qui ont tous la même voix.
La stop motion n’est pas là pour faire gadget. On met un peu de temps à le comprendre car l’astuce qu’elle apporte n’est pas purement visuelle comme on pouvait s’y attendre, mais sonore : tous les personnages entourant Michael ont la même voix, celle de l’acteur Tom Noonan, y compris les femmes, sauf Lisa, doublée par Jenifer Jason Leigh. On pensait que les poupées étaient là pour établir une norme entre les êtres, une ressemblance dans la veine de celles des clients du restaurant de Dans la peau de John Malkovich. En réalité, Anomalisa fait partager un point d’écoute et non un point de vue. Nous ne sommes plus des Malkovich qui voyons à travers les yeux de Malkovich un monde peuplé de Malkovich, mais des Michael qui écoutons avec les oreilles de Michael des personnages qui ont tous la même voix. Certains perdent le goût de la vie. Dans Anomalisa, c’est l’ouïe de la vie que l’on perd, dans un environnement monotone sur le plan sonore, donc sur le plan sentimental.
Toujours chez Kaufman la même angoisse terrible face à la répétition et à l’idée d’être soi-même tout sa vie sans savoir qui exactement (Michael est anglais et vit depuis longtemps à Los Angeles, mais pas suffisamment longtemps pour qu’un chauffeur de taxi attende de lui qu’il se comporte comme un Américain), la même détresse quand il s’agit de savoir en quoi nous sommes différents des autres, et toujours la même difficulté à gérer l’amour. Sauf qu’ici l’alchimie amoureuse se joue à un niveau inédit : c’est une voix qui se distingue des autres et que l’on redoute d’entendre muer pour redevenir celle du commun des mortels. Anomalisa est un film coréalisé par Duke Johnson, mais écrit par Charlie Kaufman. Il y a bien du spleen, de l’absurdité, une conférence (comme dans Adaptation), un questionnement existentiel, une trop grande conscience des enjeux métaphysiques, et l’élégance de vouloir faire naître un sourire avec les choses les plus plombantes. Anomalisa est désespéré et drôle. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’en retenir avant tout cette mélancolie déjà présente dans Eternal Sunshine... et Synecdoche New-York, face à la fuite irrémédiable de l’amour, à la difficulté de préserver du temps l’attirance envers l’autre que ce soit pour une nuit ou pour dix ans, au constat douloureux que toute séduction est condamnée à perdre de son attrait. Le fait que cela soit raconté avec des poupées, pas si différentes des marionnettes de John Malkovich, rend la chose encore plus poignante.
ANOMALISA (Etats-Unis, 2015), un film de Charlie Kaufman et Duke Johnson, avec les voix de David Thewlis, Jennifer Jason Leigh et Tom Noonan. Durée : 90 minutes. Sortie en France le 3 février 2016.