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Brive 2015, du côté du documentaire et des sélections parallèles, avec les gestes ordinaires du Free Cinema, le romantisme noir de Werner Herzog et l’atelier du jeune Paul Verhoeven. Où régnait un certain culte de la beauté.
Free Cinema : sublime, quotidien
« Ils sont beaux ! » lâche un confrère dans l’obscurité de la salle. Elles s’encanaillent avec des prolétaires, ils fricotent avec des bourgeoises, ils dansent, se tournent autour, nous font tourner la tête les jeunes anglais qui fréquentent le club londonien de Momma Don’t Allow. Triple programme : le film de Karel Reisz et Tony Richardson fait suite à O Dreamland, balade satirique dans un parc à thèmes. L’attraction la plus marquante reste ce musée animé de la torture. Décapités, écartelés, bourreaux, tortionnaires, les automates singent le mouvement quand les vrais humains, qui les voient à l’oeuvre, sont médusés, statufiés. Après le court métrage dense de Lindsay Anderson, vient Together de Lauretta Mazzetti, fiction expérimentale inspirée du néoréalisme italien.
Ce triple programme est en réalité la reconstitution de celui présenté au British Film Institute en février 1956 et qui donnera son nom à une mouvance importante : le Free Cinema. Un cinéma de montage, plus musical que dramaturgique, un cinéma où le son n’est pas inféodé à l’image, un cinéma de la liberté enfin en ce qu’il est essentiellement le cinéma du temps libre. Ce n’est pas pour rien que l’un de ses films fondateurs s’intitule Spare Time et que les cinéastes suisses Alain Tanner et Claude Goretta offriront au Free Cinema les 17 minutes de Nice Time, ce n’est pas pour rien non plus que certaines oeuvres furent sponsorisées par Ford via la série documentaire Look at Britain (We are Lambeth Boys pour le plus conventionnel, Every Day Except Christmas pour le meilleur). Là où il y a le loisir, le plaisir, il y a le travail du Free cinéaste. Là où il y a le travail, il y a son plaisir de cinéaste – et celui du spectateur.
Valant toutes les études sociologiques et culturalistes, les films du Free Cinema sont de précieux documents sur la jeunesse et la classe ouvrière de l’Angleterre des années 50, sur ce temps et cette énergie dépensés en danses, beuveries, rencontres amoureuses, débats, repas à l’aube après une nuit de travail harassante, marches – militante pour protester contre l’armement nucléaire, forcée pour un hongrois qui traverse Londres afin d’y trouver un nouveau foyer (le poignant Refuge England de Robert Vas, exilé suite aux événements de Budapest en 1956). Lindsay Anderson, l’un des chefs de file du mouvement, disait vouloir capter la « poésie du quotidien » : il y a même de l’épopée dans Every Day Except Christmas, dans le trajet qui mène les marchands aux halles de Covent Garden, dans le chant des travailleurs qui préparent leurs étals. Dans le Free Cinema, la musique est partout. La voie est libre pour la pop culture des années 60.
Werner Herzog : le plus beau
Ils sont beaux. Ils se considèrent comme « les hommes les plus beaux du monde ». Wodaabe, les bergers du soleil, magnifique documentaire de Werner Herzog, montre les rituels amoureux d’une tribu nomade migrant traditionnellement du Niger au Nigeria, en même temps que les difficultés de sa survie dans le désert, après des années de sécheresse (intéressant mais moins fascinant que ce qui se joue entre hommes et femmes). Lors du « gerewol », les mâles sont apprêtés et s’offrent au regard de femmes mariées (superbes, elles aussi). Nos codes n’ont pas cours ici. L’adultère est un cérémonial. La beauté masculine reprend les canons de la beauté féminine (bijoux, maquillage, longue chevelure). C’est une performance queer à l’état sauvage, c’est un spectacle de drag queens qui s’ignorent, qui ne cherchent pas à l’être. La grande taille des Wodaabe, leur silhouette fine et élancée rappelle aussi celle des na’vi dans Avatar. En parlant de science-fiction, le spectacle le plus sidérant qui nous a été donné de voir à Brive est encore un documentaire de Herzog, programmé en binôme avec Wodaabe.
Leçons de ténèbres est un film de fin du monde liturgique, romantique, wagnérien, qui aura peut-être inspiré, qui sait, Lars Von Trier pour Melancholia. Le mythe de Tristan et Iseult, repris par Wagner, dit qu’on n’y aime pas tant l’amour que la mort. Filmant à hauteur des dieux, Herzog est un romantique, il est Tristan : il cherche la beauté, « l’horreur délicieuse » de la catastrophe. Ce sont des astres tout autant que des explosions, c’est le Koweit et ce sont les Enfers.
Il faut alors imaginer Herzog en héros mythologique ailé survolant l’apocalypse de la Guerre du Golfe, le fléau biblique des hydrocarbures répandus dans les eaux (« l’or noir du rhin » comme l’a joliment dit Stéphane Du Mesnildot lors de sa présentation), les carcasses de véhicules sorties tout droit d’un Mad Max, les gerbes de feu qui s’échappent des puits de pétrole, telles les flammes crachées par les cheminées du Los Angeles futuriste de Blade Runner. Si on invoque l’imaginaire hollywoodien, ça n’est pas simplement pour établir des comparaisons. C’est encore une façon de rappeler que l’Amérique est liée à cette terre dévastée, qu’elle envoie des Tristan toujours prêts à rallumer des incendies.
L’atelier : Verhoeven is Verhoeven
Finir en beauté : le dernier jour, on pouvait voir deux moyens métrages de Paul Verhoeven, Un lézard de trop et La Fête, datant respectivement de 1960 et 1963. Truffaut, Godard, Resnais (on l’a senti nettement plus chez René Vautier avec l’anti-colonialiste et émouvant Un peuple en marche), Buñuel, tous ces noms ont beau être cités lors de la présentation, la personnalité la plus influente dans les films de jeunesse de Verhoeven, c’est après coup Verhoeven lui-même (bon, et un peu Hitchcock pour le dédoublement du personnage féminin du Lézard…).
Brive a montré l’atelier de l’artiste. Le couple sculpteur – modèle d’Un lézard de trop annonce celui du magnifique Turkish Delight, l’ambiance estudiantine de La Fête préfigure Starship Troopers. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, le premier cinéma de Verhoeven ne fait pas dans l’organique, il ne s’intéresse ni à la chair ni au sang. Si on est tenté d’y voir un condensé de ses deux grandes périodes, le dyptique Un lézard de trop – La Fête montre surtout la grande maîtrise que le réalisateur hollandais acquiert dans le rythme, le découpage, la mise en espace. Après le collage surréaliste, la ligne claire qui mène tout droit à Hollywood.
Les 12e Rencontres du moyen métrage de Brive se sont déroulées du 14 au 19 avril 2015