BERLIN 2015 : les 10 films (et séries) à ne pas manquer
Du nouveau Terrence Malick à l’incursion de Mitchell Lichtenstein dans l’Angleterre victorienne, du Journal d’une femme de chambre à celui d’une adolescente américaine folle de comics, du documentaire flirtant avec la science-fiction (et vice versa) à Better Call Saul, le spin-off très attendu de Breaking Bad, 10 rendez-vous que nous avons pris avec la 65e Berlinale.
ANGELICA de Mitchell Lichtenstein (Panorama)
On n’avait pas eu de nouvelles de Mitchell Lichtenstein depuis 2007. Cette année-là, le fils de son père – Roy Lichtenstein – signe Teeth, un premier long métrage horrifique surprenant et ambigu. Son héroïne est une adolescente au vagin denté…qui prêche l’abstinence avant le mariage…mais cède à la tentation…imaginez la suite. Entre les mutants des années 50 et cette créature des années 2000, rien n’a changé. La science-fiction hollywoodienne continue d’exprimer une peur du vagin, une gynophobie.
On ne peut que se réjouir à l’idée que Lichtenstein aille dans la matrice du puritanisme américain. Angelica est l’adaptation d’un roman se déroulant dans l’Angleterre victorienne. Constance n’a plus de rapports avec son mari, un biologiste , depuis qu’elle a mis au monde sa fille Angelica. Il s’agit d’une prescription médicale. Cette naissance a failli lui coûter la vie. Quand à l’âge de quatre ans Angelica dort dans sa propre chambre, d’étranges événements se produisent dans la maison. Une actrice reconvertie dans le spiritisme arrive en renfort.
On ne sait pas encore si Lichtenstein a adopté le récit à la Rashomon du roman d’Arthur Phillips. Ses commentateurs, qui ont l’élégance de ne pas dévoiler le coup de théâtre final, en parlent comme d’un mélange entre Stephen King et Henry James. Tant que ça ressemble à du Mitchell Lichtenstein.
BETTER CALL SAUL, série créée par Vince Gilligan et Peter Gould (Berlinale Special)
La série occupe une place de plus en plus importante en festivals. C’est une des raisons pour lesquelles nous lui avons dernièrement dédiée une rubrique. La Berlinale présente cette année les deux premiers épisodes du très attendu Better Call Saul, à la fois prequel et prolongement (comique ?) à Breaking Bad. Créée par Vince Gilligan et Peter Gould, scénariste de la première saison et auteur de l’épisode qui introduit le personnage de Saul Goodman (avec toujours l’excellent Bob Odenkirk), la série démarre six ans avant la rencontre entre l’avocat fort en gueule, James McGill de son vrai nom, et l’abominable Walter White. Better Call Saul a été vu par la presse américaine. Les retours sont positifs dans l’ensemble. Un journaliste du Washington Post évoque une scène typique de l’univers créé par Gilligan : Saul est pieds et poings liés dans le désert d’Albuquerque. Ses ravisseurs lui retirent le ruban adhésif de sa bouche. Saul se lance alors dans « un monologue aussi implorant que philosophique sur la nature de la « revanche ». Ce mélodieux discours plein de balivernes est magnifique. » La série sera présentée le 10 février 2015, soit le lendemain de sa diffusion sur Netflix. Pour une fois, les spectateurs restés au chaud auront de l’avance sur les festivaliers.
BRASIL S/A de Marcelo Pedroso (Panorama)
Edilson a passé ces cinq derniers siècles à récolter de la canne à sucre. Le jour où les machines débarquent, il quitte les champs pour se lancer dans sa première mission spatiale : en soi, ce synopsis intrigue déjà. Dans les faits, le film de Marcelo Pedroso sera sûrement moins une fiction traditionnelle qu’un essai (sans dialogue), une œuvre expérimentale sur la transformation du Brésil et ses fétiches modernes (voitures de luxe, grattes-ciel, résidences privées). Oui, disons-le franchement. L’auteur de ces lignes a développé un tropisme brésilien depuis Les bruits de Recife. Il se trouve que Marcelo Pedroso est natif de la ville de Kleber Mendonça Filho. Ce dernier nous a chaudement recommandé le film de son compatriote. Avec l’attrayante bande-annonce, son ballet de machines, ce drapeau brésilien troué qui flotte majestueusement dans le ciel, cette bande-son envoûtante, c’est assez pour nous donner envie de l’ajouter à notre planning.
EL CLUB, de Pablo Larrain (Compétition)
Possiblement le film le plus improbable parmi les dix-neuf postulants à l’Ours d’Or. El club voit Pablo Larrain rompre radicalement avec sa trilogie du Chili sous la dictature de Pinochet – Tony Manero, Santiago 73 post mortem, et No, qui lui a valu un immense succès à la Quinzaine des Réalisateurs en 2012 et certainement cette promotion en compétition d’un grand festival pour la première fois. No mettait en scène la fin du régime de Pinochet, il n’est donc pas illogique de voir Larrain passer lui aussi à autre chose ; mais là on parle de tout à fait autre chose. Un huis clos monacal, au sens propre puisque El club nous enferme dans une demeure au bord de la mer en compagnie d’un groupe de prêtres. Le dernier arrivant sera le premier parti, d’un suicide par balle suite aux accusations que vient proférer à son encontre un visiteur. S’en suit une enquête qui servira probablement de fil conducteur à un récit dont on espère qu’il tiendra toutes les promesses de mystère et de trouble nées de son cadre scénaristique et géographique. On est également impatient de voir quelles nouvelles idées visuelles Larrain va sortir de son chapeau.
H. de Rania Attieh et Daniel Garcia (Forum)
L’un des films à voir à Berlin est vénitien. H. a d’abord été dévoilé en septembre dernier dans la section Biennale College, la workshop de la Mostra sponsorisé par Gucci, et fit aussi un saut à Sundance en janvier, avant de rejoindre le Berlinale Forum. H. est l’enfant chéri de tous ces festivals. Un heureux évènement qui ne sied pas au film, récit à deux voies d’une gestation impossible : Helen, la première, sent bien un enfant dans son ventre mais personne ne la croit ; Helen, la seconde, possède une reborn doll, poupon ultra-réaliste, que seule elle estime suffisant pour faire d’elle une mère. Les deux femmes et intrigues se répondent, les visions surnaturelles se répètent (le film est truffé d’images mémorables), et une parabole mythologique sur Troie (Hélène et le Cheval) enrichit encore H.
KNIGHT OF CUPS de Terrence Malick (Compétition)
De Knight of Cups, on sait tout ce qu’il est possible de savoir venant du plus discret des grands cinéastes : une figure d’Hollywood (un scénariste ?) incarnée par Christian Bale ; une hésitation entre deux femmes dont l’une indique sûrement la voie de la grâce et l’autre, celle de la Nature ; une équipe technique fidèle (Emmanuel Lubezki à la photo, Jack Fisk à la direction artistique) ; une image projetée à Berlin en 4K ; une bande-annonce dans laquelle la caméra de Malick semble toujours flotter sur d’invisibles eaux vives. On sait aussi qu’on ne sait pas : qui sera coupé ou non au montage et dans quelle mesure (Antonio Banderas ? Freida Pinto ? Ryan O’Neal ?), quelle sera la valeur réelle de la carte de tarot donnant son titre au film, quel danger y-a-t-il à aborder une thématique introspecto-artistico-décadente proche de la détestable Grande Bellezza de Sorrentino, etc. Fraîchement accueilli à Venise pour A la merveille, Terrence Malick a reçu l’Ours d’Or la dernière fois qu’il est venu à Berlin. Enfin, la dernière fois qu’un de ses films fut présenté à Berlin parce que, sauf tremblement de terre, il ne sera toujours pas du voyage dans la capitale allemande, fidèle à son invisibilité légendaire.
NASTY BABY, de Sebastian Silva (Compétition)
Autre cinéaste chilien, d’ailleurs protégé de Pablo Larrain qui le produit. Si Xavier Dolan tire toute la couverture médiatique à lui dans la catégorie des jeunes, Sebastian Silva ne se débrouille pas mal non plus avec six longs-métrages (plus une mini-série TV) à 35 ans, à cheval entre son pays natal et les États-Unis, qui l’ont adopté suite à la découverte et au triomphe de La nana à Sundance. Nasty baby est le premier film entièrement américain de Silva, après les métissages – action située au Chili, acteurs américains – Magic magic (Quinzaine des Réalisateurs 2013) et Crystal fairy & the magical cactus (resté inédit en salles en France). C’est aussi la première fois que le cinéaste prend place au premier rang devant la caméra, incarnant avec le chanteur du groupe TV on the radio Tunde Adebimpe un couple new-yorkais gay désirant avoir un enfant, avec l’aide de leur meilleure amie. L’amie en question est interprétée par Kristen Wiig, ce qui ajoute encore un point au bingo « hype – bobo » de Nasty baby. Si le ton caustique et la créativité narrative de Silva ne s’épanouissent pas suffisamment pour soustraire le film à ce carcan et l’entraîner sur des chemins de traverse, au pire il restera le chat de l’image promotionnelle ci-contre ; d’ores et déjà un candidat prometteur afin de faire oublier la triste année blanche que fut 2014 dans les festivals de cinéma d’un point de vue félin.
SUENAN LOS ANDROIDES de Ion de Sosa (Forum)
Sueñan los androides, Androids dream pour l’international – le titre du moyennement long-métrage (une heure et une minute à la toise) de Ion de Sosa attire forcément l’attention de tout passionné de science-fiction. Sa référence explicite à la nouvelle Do androids dream of electric sheep ? de Philip K. Dick, dont Ridley Scott a tiré un certain Blade runner, est volontaire. Sueñan los androides en est une nouvelle adaptation, dont l’action est située au milieu des chantiers immobiliers démesurés, et désormais laissés à l’abandon, de l’Espagne spéculatrice abîmée dans la débâcle financière. De tels lieux constituant un parfait décor de dystopie tout en étant malheureusement bien réels, l’idée est excellente. Elle ouvre la voie à une hybridation entre science-fiction pessimiste et documentaire au présent, sur la crise de nos sociétés capitalistes, que l’on est curieux de voir se déployer à l’écran.
LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE (Compétition)
« C’est la troisième adaptation du Journal d’une femme de chambre après Renoir et Bunuel, donc je me mouche pas du pied ». Au moins Benoît Jacquot sait à quoi il s’attaque en prolongeant une lignée initiée de prestigieuse manière. Après Les adieux à la reine, le cinéaste français figure de nouveau dans la compétition berlinoise avec du bel ouvrage franco-français : œuvre littéraire prestigieuse (le roman d’Octave Mirbeau), casting classe (notamment Léa Seydoux en femme de chambre, et Vincent Lindon, non pas en maître de maison, mais en Joseph, l’homme à tout faire antisémite et criminel) et gage de qualité en coulisses (Bruno Coulais à la musique, les frères Dardenne à la production). Avec Jeanne Moreau dans le rôle principal et Jean-Claude Carrière au scénario, Luis Bunuel a poussé le sujet à son point d’incandescence (Séverine, Séverine, et ses bottes en cuir…). Il faudra un Jacquot sacrément inspiré pour nous détourner de la lumière aveuglante de la version de 1964.
THE DIARY OF A TEENAGE GIRL de Marielle Heller (Generation 14plus)
Un tout premier film. L’américaine Marielle Heller en est la réalisatrice et la scénariste. Elle porte à l’écran un roman graphique de Phoebe Gloeckner qu’elle a déjà adapté au théâtre en 2010 : The Diary of a Teenage Girl. L’histoire de Minnie, 15 ans, folle de comics et de dessins, qui couche avec le petit ami (Alexander Skarsgard) de sa mère (Kristen Wiig). Nous sommes à San Francisco dans les années 1970, alors ne jouez pas les pudibonds… L’œuvre originale, fictionnelle mais d’inspiration autobiographique, porte bien son titre en mélangeant illustrations, courts textes et autres choses, à la manière d’un authentique journal intime fait de collages et d’ajouts permanents. On espère que tout cela sera transposé à l’écran par une certaine inventivité visuelle plutôt que par une banale voix off. On espère surtout être plus proche au final de Ghost World que de l’outrageant Towelhead, autre évocation – mesquine et masculiniste celle-ci – des premiers émois d’une ado, sélectionnée en son temps à Deauville US et jamais sortie depuis chez nous.
La 65e Berlinale se déroule du 5 au 15 février 2015