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Le festival angevin part du principe que les «premiers plans» d’un cinéaste en disent long sur qui ils sont et seront. Allons plus loin. Jugeons seulement les tous premiers plans à l’écran, leur impact sur le reste du film, sur une carrière, ou même juste un pan.
Le festival Angers s’intéresse aux « premiers plans », un certain nombre, tous ceux qui composent les premiers ou seconds films de cinéastes encore débutants. C’est un pari, celui que ces travaux de jeunesse sont ceux de futurs grands. On le devine d’autant mieux quand, en marge des projections de films frais d’auteurs qui ne le sont pas moins, Premiers Plans propose des rétros consacrées à Dino Risi ou Bertrand Blier. Passation, évolution, longévité, comme mots clés. Les double programme, un court et un long de compétition accolés, précise encore l’intention : ce festival s’interroge sur la façon dont on grandit. Dont un film grandit.
Alors, on s’attarde sur les débuts. On les regarde avec une attention particulière, c’est peut-être ici que tout se joue. On peut y déceler les promesses du futur proche, ou bien s’inquiéter d’un pourrissement précoce.
La Niña de fuego, originellement intitulé Magical Girl, commence très bien, par exemple. Premier plan, un professeur fait venir une élève de 12 ans à son bureau. Second plan, sorte d’insert bressonien, Carlos Vermut isole la main de la fillette qui réussit un tour de magie. Mais c’est le réalisateur qui accomplit le meilleur tour de passe-passe, en nous faisant croire via cette scène matricielle, mais aussi grâce au titre original et à une foule d’indices gravitant autour de personnages doués de super-pouvoirs (Sailor Moon…) que son film finira non seulement bien, mais avec un basculement inévitable et salvateur vers le surnaturel. Non, au final, c’est un jeu de massacre sombre et grotesque, où même les adorables fillettes atteintes de leucémie y passent. Merci la vie. Alors l’inverse est-il préférable ? Un incipit raté ? Ou anodin, du moins. C’est le cas des premiers plans du formidable Toto et ses sœurs (reparti avec le Grand Prix). La prise de vue en plongée écrase Toto, qui escalade pourtant un muret pour mieux voler quelques pommes à un voisin. La caméra qui colle aux basques du gamin, haut comme trois pommes, pourquoi pas… mais Gente de bién (Franco Lolli) et Le petit homme (Sudabeh Mortezai), eux aussi présentés cette année à Angers, le font déjà. Alexandre Nanau doit trouver autre chose pour se démarquer, pour s’extirper de ce type de filmage et de ce premier plan ainsi balisé. A ce stade du récit, il est absolument impossible d’imaginer à quel point Nanau va parvenir à enrichir son documentaire, faisant du récit initial de trois enfants livrés à eux-même dans un appartement squatté par des junkies, une œuvre mutante, à la croisée des genres. Quand la police fait une descente chez Toto, il bascule de point de vue en utilisant les images d’archives dans lesquelles les policiers – cagoulés jusque dans les tribunaux ! – enfoncent héroïquement la porte d’entrée. Thriller. Quand Nanau délègue la mise en scène à la sœur cadette, elle retrouve son ainée, seule chez elle, et la filme comme un spectre. Angoisse. Et quand un homme témoigne au procès de la grand sœur, il intervient via un écran brouillé et la voix trafiquée d’un androïde revenu d’entre les morts. Science-Fiction. Il y a l’histoire, bouleversante, que raconte Nanau et la façon éminemment cinématographique et généreuse qu’il a de le faire.
Les réalisateurs de Gente de bién et de Le petit homme œuvrent dans un registre plus réaliste que Nanau. Leurs films sont aussi rêches, mais moins aventureux stylistiquement. Dans les deux cas, les premiers plans, contrairement à ceux de Toto, ne diffèrent donc pas du reste du film. Filmage près du corps et à hauteur d’enfant (11 et 10 ans), Lolli et Mortezai s’y tiennent de bout en bout. Seulement, leurs débuts annoncent quelque chose de plus sombre que le reste ; là encore, comme Toto et à l’inverse de La Niña de fuego. L’ouverture de Gente de bién se fait sur un terrain de foot : la vulgarité des provocations entre joueurs, la vétusté des accessoires (le ballon est une bouteille vide) et plus encore la nuit qui tombe sur le match et les enfants, rien de rassurant ici, à peine le film débute-t-il qu’il fond au noir. Le début de Le petit homme fait encore plus froid dans le dos : Ramasan et ses amis sont postés derrière une rambarde, «Y’en a une qui arrive !» crie l’un d’eux quand une femme en boubou passe en contrebas, ils jettent alors un billet de 5 € et lui ordonnent de le ramasser. C’est ainsi que s’amuse Ramasan, alors bon courage pour l’identification au personnage.
Produit par Ulrich Seidl, coréalisé par son habituelle coscénariste Veronika Franz, avec Severin Fiala, Goodnight Mommy aurait pu et dû être un court-métrage de vingt minutes. D’ailleurs, face au double programme, séance partagée avec le court-métrage Exchange and Mart de Martin Clark et Cara Connolly, l’impression finale est que le court tenait la promesse d’un long, et le long d’un cours. Quand Exchange and Mart s’achève, précisément par l’apparition du titre, on aimerait qu’il s’agisse d’une facétie à la Weerasethakul, avec un écran-titre complètement décalé, puis que l’histoire reprenne. Mais non, le court est maintenant terminé et se lance alors le calvaire Goodnight Mommy. Si l’expérience est si déplaisante, c’est notamment parce que le twist final tient debout quelques minutes à peine, le suspense s’effondrant dès la première scène de dialogues (disons, pour qui a vu Psychose, ou Fight Club, ou Sixième sens ; voilà, vous avez deviné de quoi il en retourne). Et pourtant, le film continue, les dialogues à double-sens se répètent, et le spectateur prend son mal en patience. Goodnight Mommy s’achève par une séquence de torture interminable, putassière ; si ça les amuse et si ça permet quelques admissions inattendues dans des festivals de genre pour une production Seidl, pourquoi pas. Le grand écart entre ce final sanglant et le premier plan du film, c’est aussi ce qui doit faire sourire les deux réalisatrices. Car le film s’ouvre sur une image d’Épinal, à mille lieues de ce qui se trame par la suite : une mère en tenue traditionnelle autrichienne chante «Stille Nacht, heilige Nacht» entourée par d’adorables petites têtes blondes. Le récit qui s’ensuit est celui d’un désamour trash entre deux jumeaux et leur mère défigurée. Le plan initial revient donc à dire, avec sarcasme, que les temps ont bien changé.
Les premiers plans de The Guitar Mongoloid (2004), présenté dans le cadre d’une rétrospective de l’œuvre de Ruben Östlund, fonctionnent de manière presque analogue. Presque. On retrouve bien une chanson naïve, des têtes blondes qui la reprennent en chœur et une bienveillance outrée dont Östlund se moque. Seulement, quand ces images sont parasitées, brouillées, par un enfant trisomique guitariste (celui du titre, oui), et que le vrai film se lance, le cinéaste ne dit pas qu’une vision de la Suède est erronée et que la suivante est la bonne, mais simplement que les deux existent et qu’il faut accepter de regarder aussi la seconde. Sa démarche est proche de celle d’Harmony Korine quand il tourne Gummo en 1997, montrer à ses compatriotes que cette «autre Amérique» existe aussi. Östlund le fait avec la Suède, et brillamment. Happy Sweden, Play, Snow Therapy complexifient les années suivantes sa vision d’un pays obsédé par le qu’en dira-t-on. Ce focus sur le travail d’Östlund permet de s’assurer que ses premiers plans ont bien été suivis par des dizaines d’autres au moins aussi marquants.
Reste que les premiers plans que voient les spectateurs du festival angevin, à chaque séance, sont toujours les mêmes : ceux du clip de présentation de Premier Plans. Et cette année encore, ce fut un succès monstre. Oubliez Bertrand Blier, Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Ariane Labed, Laurent Cantet, la star de cette édition, c’était Loïc Barché, le réalisateur de la bande-annonce. Il a réalisé un court-métrage en 2012, logiquement intitulé Le commencement, et maintenant ce clip. On attend la suite. Et on le jugera dès les premiers plans.
La 27e édition du festival d’Angers Premiers Plans s’est déroulée du 16 au 25 janvier 2015.