Le PIFFF, une quatrième édition pour affirmer son identité
Créé « sur un coin de table » à l’initiative d’une bande d’afficionados – officiant pour la plupart au sein du magazine Mad Movies -, le Paris International Fantastic Film Festival a depuis ses débuts pour ambition de décloisonner les frontières du film dit de genre sans pour autant piétiner sur les terres foutraques de l’Étrange Festival. Comédie horrifique, thriller, science fiction, survival, il y en avait encore cette année pour tous le goûts ! Avec moins de noms attendus mais plus de films solides, cette quatrième édition fut celle de l’affirmation d’une identité certes encore un peu balbutiante mais vouée à devenir forte, proposant une programmation pointue et indépendante.
Il suffisait pour s’en rendre compte de jeter un œil aux films d’ouverture et de clôture, célébrant avec des œuvres très différentes l’indépendante totale de création de leurs auteurs respectifs, Takashi Miike et Kevin Smith. Avec The Mole Song, Takashi Miike, maître du cinéma transgressif nippon, adapte avec fureur – et un budget qu’on devine très confortable – un manga à succès, suivant l’infiltration houleuse d’un agent incompétent au sein des Yakuzas. Débordant d’idées visuelles et scénaristiques, Miike offre un divertissement primaire sous la forme d’un réjouissant jeu de massacre mais se perd, une fois n’est pas coutume, en milieu de récit et peine à accoucher d’une conclusion.
De l’idée, Kevin Smith n’en manque pas non plus. Au départ une simple blague avec son compère Scott Mosier au sein d’un de leur podcast (smodcast.com), le pitch de Tusk est, en cela, des plus absurdes. Soit la séquestration d’un podcaster (Justin Long) par un vieil homme qui transforme ses victimes… en morse ! Opérant un virage dans sa carrière depuis Red State, Kevin Smith assume évidemment la farce qu’est son film – voir le personnage de Guy Lapointe – mais réussit petit à petit à créer un doux malaise, proposant une œuvre dérangeante, rappelant même par instant le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper.
Qu’il soit passionnel, obsessionnel ou même fou, la compétition du PIFFF a cette année célébré l’amour sous toutes ses coutures. Auréolé du grand prix, Spring de Justin Benson et Aaron Moorhead en est d’ailleurs le meilleur exemple. Le film suit la rencontre amoureuse entre un expatrié américain et une jeune italienne. Mais la belle cache un secret. Apprenant petit à petit à se connaître, voyageant de la côte italienne aux ruines de Pompéi, Spring évoque le Before Sunset de Richard Linklater et assume, avec beaucoup de douceur, sa romance. La question étant moins ici de savoir ce qu’est réellement la jeune femme – un vampire ? Un loup garou ? Ou une autre créature mythologique ? – mais si l’amour, leur amour, peut survivre à tout, y compris ce qui dépasse l’entendement.
Par un montage jouant sur la répétition, le réalisateur britannique Peter Strickland dévoile avec The Duke of Burgundy la monotonie d’un couple atypique. Une œuvre étonnante, qui marque par sa beauté formelle.
Après un rape and revenge (Katalin Varga) et un hommage appuyé au genre du giallo (Berberian Sound Studio, présenté l’année dernière au PIFFF), le britannique Peter Strickland s’aventure sur un tout nouveau terrain, s’attaquant à la figure lesbienne si chère au cinéma fantastique. Dans The Duke of Burgundy, Evelyn, spécialiste des papillons, entretient une relation sadomasochiste avec sa gouvernante Cynthia, imposant jour après jour à la jeune femme des tâches toujours plus rabaissantes. Mais les apparences sont trompeuses : Cynthia et Evelyn sont en couple à la ville et prépare ensemble les scénarios de leur journée. Par un montage jouant sur la répétition, Peter Strickland dévoile petit à petit la monotonie de ce couple atypique et le rituel quotidien auquel s’adonne Evelyn, non sans frustration, pour satisfaire les envies toujours plus pressantes de sa compagne. Une œuvre étonnante, qui marque par sa beauté formelle.
Le prix Ciné+ Frisson a été remis à Alleluia de Fabrice Du Welz, passé par la Quinzaine des réalisateurs. L’histoire d’un amour fou et meurtrier entre un gigolo détrousseur de ces dames et une jeune femme prête à tuer pour son homme (en salles le 26 novembre). On préférera néanmoins à ce drame un peu grotesque la dernière production de Alex de la Iglesia, Shrew’s Nest de Juanfer Andrés et Esteban Roel, un Misery ibérique certes un peu facile mais joyeusement sanguin.
Avec Starry Eyes, les réalisateurs Kevin Kolsch et Dennis Widmyer proposent une réflexion sur les coulisses d’Hollywood par le prisme du cinéma d’horreur. Porté par l’inconnue mais impressionnante Alex Essoe, le film explore avec malice les désillusions d’une aspirante comédienne, prête à tout pour décrocher un grand rôle, y compris à pactiser avec le diable.
Jaloux, le héros de Time Lapse l’est. Surtout depuis qu’ils ont découvert, avec sa petite amie et leur colocataire, une étrange machine chez leur voisin d’en face : un polaroid capable de prédire le futur. Mais sa capacité est limitée et les règles d’utilisations sont très strictes. Non seulement il ne prend qu’une photo par jour, leur fenêtre tous les soirs à heure précise, mais en plus, ce qui se trouve sur la photo doit impérativement avoir lieu, sous peine de créer un paradoxe temporel mortel. Les trois amis se voient donc imposer de reproduire strictement ce qui se trouve sur cette photo quotidienne, même lorsque celle-ci annonce un adultère. Un exercice scénaristique plutôt plaisant mais qui peine, sur un thème similaire, de la concurrence avec Predestination, présenté hors compétition. Le nouveau film des frères Spierig (Undead, Daybreakers) rappelle par instant le meilleur du Triangle de Christopher Smith, suivant Ethan Hawke en agent très spécial, traverser le temps afin d’empêcher un attentat. Le film, complexe en apparence dans sa narration et sa construction, se révèle très divertissant, voire passionnant.
En compétition, on passera très vite sur Bag Boy Lover Boy, premier film malsain sur un vendeur de hot dog new yorkais au physique atypique, recruté par un photographe persuadé d’être le nouveau Diane Arbus, et le néo-zélandais Housebound que nous n’avons malheureusement pas vu, pour nous concentrer sur ce qui reste comme l’un des meilleurs moments du festival. Avec Starry Eyes, les réalisateurs Kevin Kolsch et Dennis Widmyer proposent une réflexion sur les coulisses d’Hollywood par le prisme du cinéma d’horreur. Porté par l’inconnue mais impressionnante Alex Essoe – la nouvelle Stacy Martin -, le film explore avec malice les désillusions d’une aspirante comédienne, prête à tout pour décrocher un grand rôle, y compris un pacte avec le diable. Et le film de mêler à la chronique sociale – on pense à la série The L.A. Complex – un slasher et une histoire de métamorphose que ne renierait pas David Cronenberg.
Les séances cultes du PIFFF furent l’’occasion d’une vraie découverte : Wake in Fright de Ted Kotcheff, immersion brute dans l’arrière pays australien où la violence et l’alcool sont le lot du quotidien. Difficile alors même pour l’homme le plus cultivé de ne pas revenir à une totale primitivité.
Outre les films en compétition, le PIFFF proposait également une avant-première (Night Call), une séance interdite (R100 de Hitoshi Matsumoto, dont nous avons entendu le plus grand bien), une nuit consacrée à l’invasion extraterrestres et des séances cultes. Si ce fut un bonheur de (re)voir Les Griffes de la nuit de Wes Craven sur grand écran, elles furent aussi l’occasion d’une vraie découverte : Wake in Fright de Ted Kotcheff. Premier film australien présenté en compétition au Festival de Cannes en 1971, le film, chéri par Martin Scorsese, tombe après son exploitation, dans l’oubli faute de copies disponibles. Jusqu’à sa restauration et sa présentation dans la foulée à Cannes Classics en 2009. Un an avant le Délivrance de John Boorman, auquel on pense très fortement, le film suit la descente aux enfers d’un instituteur en route pour Sidney, faisant une halte dans une petite ville dont il ne ressortira pas indemne, et le spectateur avec lui. Une immersion brute dans l’arrière pays australien où la violence et l’alcool sont le lot du quotidien. Difficile alors même pour l’homme le plus cultivé de ne pas revenir à une totale primitivité (ressortie en salles le 3 décembre).
Si le PIFFF a probablement fait des déçus – notamment en ne programmant pas le nouveau Eli Roth -, cette édition fut, plus que les autres années, riche en découvertes, misant sur des films moins attendus mais tout aussi passionnants.