BERBERIAN SOUND STUDIO et LA MAISON DE LA RADIO : y’a de l’écho ?
Sortis le même jour dans les salles, Berberian Sound Studio (Prix du jury et de la critique, Gérardmer 2013) et La maison de la radio (Panorama, Berlin 2013) possèdent plus de points commun qu’un simple rendez-vous calendaire. Se font échos deux réflexions sur l’invisible et le hors-champ, l’une généreuse, l’autre moins prêteuse.
Vers le début de La maison de la radio, documentaire consacré aux arcanes de Radio France, Nicolas Philbert filme une voiture appartenant à la grande entreprise. Le véhicule, dont le capot est floqué « Radio France », est éventré sous les yeux du spectateur. Le moteur, les pistons, les fluides s’exposent plein cadre. En un plan, tout est dit : Philibert n’aura de cesse de répéter ce geste. Pendant 100 minutes, patiemment, il ausculte, il décortique, il désosse les rouages de la Maison. Un travail minutieux comparable à celui de Peter Strickland. Son Berberian Sound Studio, film d’angoisse en huis-clos, se déroule dans un studio de post-production cinéma. La matière sonore est ici créée de toute pièce, l’équipe technique travaillant sur les bruitages et les dialogues post-synchronisés d’un giallo italien. Un genre tellement codifié qu’il est impossible pour celui qui regarde Berberian Sound Studio de savoir, sans en posséder les images, si le film dans le film est un chef d’œuvre digne des meilleurs Argento ou un avatar-nanar sorti du même moule. A son tour, Peter Strickland dissèque son sujet : les musiques, les cris, les doublages, les effets gores et sonores, s’égrènent jusqu’à la rengaine.
Toutes ces voix, tous ces sons, derrières les micros de la Radio et du Studio, n’ont pourtant pas la même valeur. Et d’autant moins pour ceux qui aiment les émissions et les films auxquels Philibert et Strickland rendent respectivement hommage. Le premier donne à voir ce qui ne devrait pas l’être, quand l’autre cache ce qui n’est pas supposé le rester. A la Radio, les images sont en excès. Quand elle font défaut au Studio.
C’est le parti-pris de Peter Strickland : pas d’images, pas d’action, pas de meurtre. Une soustraction radicale qui finit surtout par signifier : pas de danger. Berberian Sound Studio en devient éminemment théorique. Celui qui attend une effusion de sang, ou ne serait-ce qu’un son troublant façon Blow up, se met le doigt dans l’oreille. Si le danger n’existe pas chez Strickland, c’est parce que le monde qu’il décrit n’est jamais physique. Au mieux, il est sonore, au pire, cérébral. Les marteaux les plus actifs sont ceux de l’oreille interne. A l’écran, deux autres s’agitent encore pour exploser des pastèques, ce qui correspond au bruit de cervelles écrabouillées ; sans images, c’est l’imaginaire du spectateur qui reconstruit le simulacre. Une séquence de bruitage à rapprocher de celles de La maison de la radio, qui mettent en images la musique bricolo d’un artiste ou de faux cris d’animaux singés par Jean-Claude Carrière. Ici, de fait, pas d’imaginaire, Nicolas Philibert a bétonné les perspectives. Seulement, ceci ne signifie pas pour autant que La maison de la radio soit moins aéré, moins généreux, que Berberian Sound Studio. Au contraire.
Il y a chez Strickland, une volonté de frustrer le spectateur qui confine à l’étouffement. Une envie de dévitaliser le giallo, de le déstructurer conceptuellement. Il s’agit bien de jouer sur la frustration du spectateur, mais le programme n’a rien de ludique. Nicolas Philibert, lui, célèbre la teneur récréative de cette émotion : la frustration régit à elle seule l’écoulement narratif du film. Qui est cet orateur, narrant l’enterrement de son père avec une voix chaude et fragile ? Une minute passe, un cut plus tard, surprise, c’est Eric Caravaca qui apparait dans le cadre. Le jeu prime toujours dans La maison de la radio. C’est le lien charmant qui l’unit à ses spectateurs, comme peuvent l’être le présentateur du « Jeu des 1000 euros » et ses auditeurs, à l’image quelques minutes plus tard. « Ding.. ding.. ding.. », la cloche résonne, puis une réponse vient compléter l’instant, vient emplir le silence.
Peter Strickland, lui, aurait laisser planer le doute à jamais. Il n’aurait jamais répondu à la question posée. Son plaisir, il le trouve dans la question ; plus encore, il le trouve dans la formulation de la question ; plus encore, il le trouve dans la décomposition étymologique de la formulation de la question. Forcément, face à ce genre d’individu, aussi brillant soit-il, l’interlocuteur se sent un peu seul.
BERBERIAN SOUND STUDIO (Grande-Bretagne, 2012), un film de Peter Strickland, avec Toby Jones, Cosimo Fusco, Eugenia Caruso. Durée : 92 min. Sortie en France le 3 avril 2013.
LA MAISON DE LA RADIO (France, 2012), un film de Nicolas Philibert. Durée : 103 min. Sortie en France le 3 avril 2013.