LA FEMME DU FERRAILLEUR, reconstitution bidon

Sous l’oeil de Danis Tanovic, un homme et une femme rejouent le drame qui aurait pu briser leur vie. Témoignage réalisé dans l’après-coup, fiction indigente, résultat artificiel. 

En 2011, Danis Tanovic découvre dans les journaux une sale histoire qui a manqué de tourner au tragique. Et s’indigne. Enceinte de son troisième enfant, Senada fait une fausse couche. La jeune femme n’a pas d’assurance maladie. Le personnel de l’hôpital refuse de la soigner alors que sa vie est en danger. Le couple trouvera un subterfuge : faire passer Senada pour sa belle-sœur ; celle-ci bénéficie d’une couverture sociale. Tout est bien qui finit bien. On ne dévoile rien d’essentiel. Tanovic a fait appel aux personnes concernées pour rejouer le drame : Senada, Nazif, leurs deux filles, et leur entourage. S’ils sont devant la caméra, c’est bien qu’il n’y a pas eu mort d’homme. Tous mènent une vie austère dans un village de la Bosnie-Herzégovine. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Nazif ramasse et vend de la ferraille pour une misère.

Dans un documentaire consacré à Chris Marker, le cinéaste chilien Patricio Guzman disait avoir retenu la leçon suivante : « Pour filmer un incendie, il faut être là avant la première étincelle ». Une formule pour dire l’engagement, la part de sacrifice, d’investissement personnel qu’impliquent la mise en scène et la fabrication d’un film. On ne doute pas que Danis Tanovic ait été tout entier dans son projet. Seulement, il est arrivé après l’incendie. An Episode In The Life of an Iron Picker rouvre la blessure, enfonce le couteau dans la plaie. Mais il le fait pour leur bien, pour aider à cicatriser et peut-être éviter que ça fasse mal ailleurs, c’est-à-dire dans d’autres foyers défavorisés et discriminés de la communauté rom. La démarche est inattaquable sur le strict plan moral. Elle est plus malheureuse sur le plan formel.

Car An Episode In The Life of an Iron Picker a le cul entre deux chaises. Comme témoignage en direct, il ne vaut rien, par essence. Il faut que Tanovic se fasse une raison : il n’était pas là. Le voilà obligé de tricher, de faire des compromis avec la réalité. Et pourquoi pas, si c’est pour faire advenir une vérité ? Reste que côté fiction, les choses ne sont pas plus avancées. La reconstitution est feignante quand elle n’est pas maladroite. Surtout dans les scènes d’hôpital, les plus décisives. Senada et Zanif font de piètres acteurs. Ce n’est pas les accabler une deuxième fois que de dire ça : en acceptant de jouer le jeu, ils passent un contrat avec un autre type de cinéma, qui demande un minimum de sensibilité et d’émotion (sauf extrême pudeur ou choc culturel, on ne comprend pas pourquoi Senada n’est pas plus ravagée que ça quand elle apprend la mort de son enfant). Professionnel ou amateur, là n’est pas la question.

L’artifice au détriment du réalisme : on ne voit que cela dans le nouveau film de Tanovic. Un peu plus et le coup d’échelle que reçoit la caméra par accident nous apparaîtrait comme un symptôme, un lapsus : l’idée que, peut-être, Senada et les siens ont envie qu’on les laisse tranquilles.

LA FEMME DU FERRAILLEUR de Danis Tanovic (Bosnie-Herzégovine, France, Slovénie, 2013) Senada Alimanovic, Nazif Mujic, Sandra Mujic, Semsa Mujic. Durée : 75 min. Sortie en France le 26 février 2014.