GLORY : rends l’argent !
Lauréat mérité de l’Atlas d’or du dernier Arras Film Festival, Glory s’avance comme le double inversé du – déjà très bon – premier film des réalisateurs Kristina Grozeva et Petar Valchanov, The lesson. Dans ce dernier une femme honnête devait à tout prix rassembler une grande somme d’argent, quitte à recourir à des méthodes malhonnêtes, et s’en sortait au final sans dommages. Dans Glory un homme honnête trouve un butin considérable, le remet à la police, et tout se met alors à aller de mal en pis pour lui car il se retrouve au cœur des manipulations de ceux qui veulent exploiter à leur profit son geste désintéressé.
Grozeva et Valchanov ont poussé l’effet de reflet jusqu’à permuter les rôles attribués à leurs comédiens : l’héroïne de The lesson (Margita Gosheva) est désormais la source principale des ennuis du héros de Glory (Stefan Denolyubov), lequel incarnait un usurier dans The lesson. On peut voir dans cet échange de casquettes, avec peu de chances de se tromper, une manière de donner corps à la propension du monde moderne à imposer arbitrairement aux gens sans histoire de se réveiller un jour dans le mauvais rôle (salaud, ou victime) d’une histoire qui les dépasse, sans même que cela soit pleinement de leur fait. Être dépossédé non seulement de votre état, mais en plus du lien de causalité entre ce que vous faites et les conséquences que vous en récoltez, voilà ce qui arrive à Tzanko dès l’instant où il décide de restituer à l’État bulgare, son employeur, les millions d’euros en billets qu’il a trouvés par hasard au cours de son travail de manutention des voies ferrées.
L’effritement contemporain des digues morales face à l’argent-roi et à la soif de pouvoir, quitte à piétiner ses semblables, fait de Glory l’antithèse des contes humanistes que mettait en scène Frank Capra avant-hier
Tzanko est absolument honnête, mais cette valeur n’a aucune valeur en raison du rapport de force déséquilibré en faveur de l’immoralité et de la duperie. Le constat fait par Grozeva et Valchanov, quant à l’état de la société bulgare, est transposable à d’autres pays européens – à commencer par le nôtre, où les révélations sur le rapport de François Fillon à l’argent, à la dissimulation et à l’éthique, et le peu d’effet des dites révélations sur la population, rendent Glory encore plus pertinent et frappant qu’il ne l’était déjà. L’effritement contemporain des digues morales face à l’argent-roi et à la soif de pouvoir, quitte à piétiner ses semblables, fait de Glory l’antithèse des contes humanistes que mettait en scène Frank Capra avant-hier. Dans les deux cas une âme pure est confrontée à un système corrompu, mais dorénavant l’espoir que le bien triomphe est éteint.
Capra pouvait aller jusqu’à intituler un de ses films Vous ne l’emporterez pas avec vous ; aujourd’hui les méchants ignorent les injonctions à rendre l’argent, et quand les bons comme Tzanko le font, cela ne leur apporte que des ennuis
Capra pouvait aller jusqu’à intituler un de ses films Vous ne l’emporterez pas avec vous ; aujourd’hui les méchants ignorent les injonctions à rendre l’argent, et quand les bons comme Tzanko le font, cela ne leur apporte que des ennuis. Ce que Glory perd un peu en finesse de trait par rapport à The lesson (les personnages et les péripéties sont plus bruts, plus tranchés), il le regagne en puissance du récit et de la mise en scène. L’aventure de Tzanko devient un engrenage implacable fait de coups bas, de mépris et d’humiliations, narré avec force et talent jusqu’à son terrible point final – où il ne reste à l’écran qu’un homme détruit physiquement et mentalement pour avoir essayé de faire le bien. Peut-être même est-il devenu à son tour un agent de tout ce qui est mauvais et délite la société. Le brillant dernier plan du film (fruit d’une mise en scène aussi inventive que puissante) laisse planer le doute à ce sujet, d’une transmission du mal qui atteindrait jusqu’aux innocents au moyen du sacrifice de la principale méchante du récit, dont la mort signifierait le triomphe retors de son camp.
GLORY (Bulgarie-Grèce, 2016), un film de Kristina Grozeva & Petar Valchanov, avec Stefan Denolyubov, Margita Gosheva, Kitodar Todorov, Milko Lazarov. Durée : 101 minutes. Sortie en France le 19 avril 2017.