LA CINQUIEME SAISON de Peter Brosens et Jessica Woodsworth
Un village coupé du monde voit son bétail mourir, ses terres se désécher, et son éthique se gâter à mesure que guète la famine : écrasé par ses trop nombreux modèles, La cinquième saison ne ressemble qu’à une version light du Cheval de Turin, alors qu’il aurait pu valoir bien plus. En compétition à Venise 2012 et aux Arcs.
Un film de faiseurs, c’est un film de récup’. C’est l’art et la manière d’emprunter aux autres et de pratiquer un recyclage plus ou moins voyant, mais toujours superficiel, avec l’orgueil de croire faire du neuf et du fort. La cinquième saison en est un, un beau et gros, avec une particularité : sa récupération ne masque pas un manque d’inspiration, elle cache et dégrade sa propre et belle inspiration.
Il lui suffit de ses cinq ou six premières minutes pour déjà épuiser trois modèles esthétiques – et bien identifiables en plus, les faiseurs doivent compter sur l’amnésie des spectateurs, ce qui est bizarre vu qu’ils s’adressent à des cinéphiles –. Premier plan : vue latérale d’un homme attablé dans sa cuisine, face à un coq qui refuse de chanter. Humour à froid et composition géométrique du cadre où rien ne dépasse : nous sommes assurément chez Abel, Gordon et Romy (L’Iceberg, La fée). Comédie ? Attendons la scène suivante, une procession regroupant tous les habitants d’un village perdu dans la nature. Religiosité, mutisme et animisme supposé : c’est Michelangelo Frammartino et son Le quattro volte qui apparaît. Fable métaphysique ? Pas plus. Arrive la meilleure scène du film, celle où la procession, arrivée au sommet d’une colline, échoue à allumer le bûcher de « l’oncle hiver » censé marqué la fin des mauvais jours. On comprend que les mauvais jours en question ne font que commencer et que point d’Abel, Gordon, Romy et Frammartino, mais du bon Belà Tarr dernier cuvée façon Le cheval de turin. La cinquième saison sera une histoire de fin du monde, d’épuisement total de la terre, des denrées et des êtres, mais surtout des ressources éthiques et morales, une longue et sinistre chute dont le coq mutique était en fait le signe avant-coureur. Vaudrait-il moins parce que son spectateur a eu le malheur de voir d’autres films avant lui ou parce que le spectateur en question a l’orgueil de convoquer ces derniers en toute subjectivité ? Peut-être, mais il ne s’agit pas de lui reprocher d’arriver après, ni de faire mousser sa culture cinéphile sur son dos.
C’est sa solennité et son absence d’humilité dans la récupération qui font de La cinquième saison un film plus prétentieux que mauvais. Les réserves à son encontre tiennent à son besoin inutile de singer les autres, sa préciosité parfois risible. Pourquoi ces cartes à jouer dispersées sur le sol devant la caravane du dernier arrivé dans la communauté, celui qui ferait un beau bouc émissaire ? Pourquoi ce très long zoom sur des bocaux pleins d’immondices – les autochtones apprennent à collecter mouches et vers pour les manger – alors que leur contenu est identifiable au premier coup d’œil ? Pourquoi ces excès lynchiens, superflus puisque l’étrange affleure parfaitement sans eux ?
Les réalisateurs de La cinquième saison ne se comportent pas en cinéastes, mais en plasticiens qui auraient décidé de franchir le pas après avoir vu des films ayant éveillé en eux un besoin de prendre la caméra. Cela n’a absolument rien de condamnable, sauf si cela implique de penser le plan en installation dont l’ambition première serait de concentrer en lui seul l’essence d’un autre film. C’est le cas de La cinquième saison, film à l’atmosphère dense, inattendu dans ses atours shyamalesques (allez, des noms supplémentaires, Le village ou Phénomènes, nous ne sommes plus à cela près), et qui détonnait clairement dans la sélection de la Mostra 2012, mais plombé par une volonté évidente de faire acte d’œuvre d’art avant même d’être film.
LA CINQUIEME SAISON (Belgique, 2012), un film de Peter Brosens et Jessica Woodworth, avec Aurélia Poirier, Sam Louwyck, Django Schrevens, Peter Van den Begin. Durée : 93 min. Sortie en France le 24 juillet 2013.