
Newsletter Subscribe
Enter your email address below and subscribe to our newsletter
La France a été à l’honneur dans la tournée d’adieux du (soi-disant) néo-retraité Steven Soderbergh, avec deux dates : Cannes puis Deauville. Deux occasions de profiter d’un film en forme de parade exubérante, dans les pas de l’expert en la matière qu’était Liberace.
Ma vie avec Liberace (horrible titre français, façon émission de Mireille Dumas, tellement triste comparé à l’original Behind the Candelabra) puise l’essentiel de son entrain et de sa prodigalité à une source très simple : il ne considère jamais l’homosexualité de ses héros comme une matière à débat, mais uniquement comme une matière de cinéma. Le monde extérieur, celui de la « norme », n’a pas droit de regard – et quasiment pas droit de cité – sur la bulle d’exubérance créée par le pianiste de cabaret Liberace et reproduite fidèlement par Steven Soderbergh. Lequel, dès lors qu’il a fermé la porte aux velléités protestataires et haineuses venant de l’extérieur, peut s’abandonner pleinement à son sujet : l’amour, tout court, sans avoir à y accoler un adjectif réducteur tel qu’homosexuel. Le geste est similaire à celui de La vie d’Adèle, que Liberace a côtoyé lors du dernier Festival de Cannes, tout en étant plus radical encore. Car Kechiche laisse une toute petite place aux homophobes, pour mieux les en déloger à coups de pied au cul bien sûr ; et parce que ses héroïnes sont loin de se donner en spectacle à la société comme le font avec la plus folle exubérance Lee (petit nom que se donne Liberace) et son amant Scott.
L’amour entre les deux hommes est une passion ardente qui brûle pour le meilleur et pour le pire, dans la joie ou la détresse, l’extase ou les coups bas. La construction du récit en chapitres isolés dans le temps appuie la radicalité de ces étapes de la vie du couple, par le biais des larges ellipses – parfois plusieurs années – qui engloutissent les évolutions progressives d’un stade à l’autre. Dans Ma vie avec Liberace, le rapport à soi-même (interprète au centre de la scène de l’existence), aux intimes (assis au premier rang à l’orchestre), et à tous les autres (debout au balcon), ne se conçoit que dans l’emphase et l’outrance. « Too much of a good thing is wonderful » : ce qui sera le mot de la fin, placé là pour qu’il nous accompagne après la projection, aura été deux heures durant le leitmotiv inébranlable des personnages. Ils appliquent dans leurs actes cette parole, y compris s’ils doivent y laisser des plumes physiquement ou moralement. L’important est de vivre des choses saillantes et des émotions puissantes, voire violentes ; de rester autant que possible bigger than life, seul ou encore mieux à deux, dans un état d’union amoureuse qui surpasserait tout.
L’illustration extrême que Ma vie avec Liberace propose de ce fantasme est la transformation de soi par la chirurgie esthétique. La séquence, à cheval entre le cauchemar et le burlesque (avec un numéro assez ahurissant de Rob Lowe), figure parfaitement le jubilatoire refus de choisir du film. Elle donne par ailleurs à Matt Damon l’occasion de sa métamorphose physique la plus tranchante, parmi toutes celles que le scénario a en réserve pour lui. Si Michael Douglas est parfait en Liberace, en face Damon est plus inouï encore. Sa faculté à passer d’un rôle à l’autre tel un caméléon est ici concentrée en un seul film. Qu’il soit brave gars sans histoires ou toy boy, en pleine possession de ses moyens et de son charme ou en complète perte de repères, il est épatant de naturel, d’évidence. À la fois toujours évidemment lui-même (il n’est jamais question pour lui de disparaître derrière son personnage), et pourtant sans cesse différent, à la manière des plus grands.
Soderbergh tire lui aussi le meilleur de l’essence de son sujet, en se mettant à l’unisson de l’appétit de vie de ses personnages. Communion idéale qui fait régner dans Ma vie avec Liberace une fougue, une volubilité nous entraînant à notre tour dans la ronde. Le film fonce sans crainte ni doute, à un rythme qui le fait avaler ses deux heures comme si elles n’en duraient que la moitié. Soderbergh se laisse embarquer par l’abattage de Liberace, sur scène comme dans sa vie privée, et le transmet à sa mise en scène qui se retrouve imprégnée d’une ivresse trop rarement présente (dans Ocean’s Eleven, mais à part là ?) chez ce cinéaste volontiers distant. Les fulgurances et traits de génie se multiplient, de la découverte du numéro de « Mr. Showmanship », qui nous fait l’adorer aussi instantanément que Scott, à un enchanteur détournement d’enterrement. Cette délicieuse trouvaille permet de conclure le récit – et, à ce qu’il paraît, la carrière de Soderbergh – dans un joyeux éclat. Not with a whimper but with a bang, pour paraphraser Southland Tales renversant T.S. Eliot.
MA VIE AVEC LIBERACE (Behind the Candelabra, Etats-Unis, 2013), un film de Steven Soderbergh, avec Michael Douglas, Matt Damon, Rob Lowe, Scott Bakula, Dan Aykroyd. Durée : 118 minutes. Sortie en France le 18 septembre 2013.