LES AMANTS DU TEXAS de David Lowery

Sélectionné en compétition à Deauville, mais reparti bredouille, Les amants du Texas sort dans la foulée en salles pour tenter de faire tomber le public sous le charme de son lyrisme fiévreux et de sa tragédie douce-amère.

Les amants du Texas démarre de superbe manière, en éclaboussant la toile avec une énergie incandescente, qui jaillit par de multiples voies. Chaque fragment du film est immédiatement investi d’un lyrisme éclatant : la photographie et la musique qui l’habillent, le couple de comédiens principaux qui l’incarnent, et surtout la colonne vertébrale qui le soutient, son scénario. Celui-ci dévore sans une hésitation les événements, et consume sans un répit les drames qui se présentent sur sa route. À lui seul le prélude embrasse toute l’aventure à la Bonnie and Clyde de ses jeunes héros, les amants criminels Ruth (Rooney Mara) et Bob (Casey Affleck). De cette matière propre à engendrer un film entier, l’auteur et réalisateur David Lowery ne conserve que le suc, concentré par un usage puissant de l’ellipse doublé d’un choix radical : montrer un unique exemple de chaque agissement, qui a valeur de symbole englobant toutes ses répliques. C’est une progression sur le fil du rasoir, puisque sans droit à l’erreur. Mais Les amants du Texas file sans chuter, mû par la flamme que Lowery garde vivace en toutes circonstances.

Rooney Mara dans LES AMANTS DU TEXASUne seule scène intime entre Ruth et Bob, un seul braquage avec dans sa foulée une course-poursuite et une fusillade, puis une unique lettre parmi toutes celles écrites par Bob, au cours de ses quatre années passées en prison, suffisent à élever puis maintenir le conte à un degré d’intensité médusant. Au cours de ces deux grands cycles (le banditisme qui unit les amants puis la prison qui les sépare) qu’il étreint en un seul petit acte, Lowery exclut éperdument tout ce qui fonde une représentation naturaliste du monde. Il sublime ce dernier sous sa forme purement sensorielle et tragique, par l’entremise de sa mise en scène fiévreuse dont le souffle nous fait ressentir l’histoire de Ruth et Bob comme eux la vivent, pleinement (par l’émotion) mais aussi de façon parcellaire (par un rejet hors champ de tout ce qu’ils considèrent comme sans poids dans leur vie). L’évasion de Bob, pour revoir celle qu’il aime et voir enfin leur fille qu’il n’a pas pu connaître, marque le point de bascule du récit. La fable et la réalité sont à partir de cet instant mises en concurrence, pour décider laquelle des deux se verra remettre les commandes de la destinée des héros. Le rythme fou du film est alors mis en pause, décision qui doit plus à la volonté de coller au flottement des personnages qu’à une gestion moins assurée de la progression narrative.

Ruth et Bob vivaient ardemment leur cavale, il leur faut désormais le temps de se faire à l’idée que le passage à l’âge de raison va s’imposer à eux par la force des choses, qu’ils le veuillent ou non. Car le retour de Bob est en trompe-l’œil ; une chimère éphémère. Lui comme elle le savent au fond d’eux-mêmes, il sentent confusément l’évidence même s’ils refusent de s’y soumettre. D’où leur tentative de réactiver les gestes d’avant (la correspondance par lettres manuscrites), aspiration très belle et mélancolique à laquelle Lowery souscrit en établissant autour des personnages un monde lui-même en suspens, arrimé aux codes du Far West des origines – le magasin du père de Ruth, la milice qui arrive en ville. Dans le même temps, le cinéaste multiplie les motifs symboliques du grand écart irrémédiable entre les amants. Bob est le passé et Ruth est l’avenir, il est la sauvagerie (sa réapparition après son évasion est celle d’un homme des cavernes) et elle la civilisation. La tragédie douce-amère des Amants du Texas suit son chemin, telle une rivière souterraine, qui n’affleure à la surface et ne se révèle aux regards qu’en fin de parcours. L’ultime séquence, siège de cette résolution dramatique, est un déchirement d’une justesse (et d’une justice) terrible ; où la fable meurt, et laisse le champ libre à la réalité.

LES AMANTS DU TEXAS (Ain’t Them Bodies Saints, Etats-Unis, 2013), un film de David Lowery, avec Rooney Mara, Casey Affleck, Ben Foster, Rami Malek. Durée : 97 minutes. Sortie en France le 18 septembre 2013.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

Articles: 529