FRANCES HA de Noah Baumbach

La séparation de deux amies racontée comme une rupture amoureuse. Si on avait vu Frances Ha en 1983, on aurait dit qu’il s’agissait du meilleur film de Woody Allen depuis Manhattan. Un produit rare et précieux sur le marché de la comédie sentimentale. 

FRANCES HA de Noam Baumbach« Undatable » répète la célibataire Frances (Greta Gerwig, également co-scénariste). Effectivement, dans Frances Ha, beaucoup de chemin parcouru entre New York, Sacramento, Poughkeepsie (!) et Paris (!!)… mais jamais de « date ». On ne compte pas ce rendez-vous loufoque avec Lev – Adam Driver, plus proche des solitaires à chapeau de Stranger than paradise que de l’Adam déjà culte de Girls (pour l’anecdote, l’acteur a été casté avant de participer à la série de Lena Dunham). La rencontre aboutira à une colocation à trois de courte durée, sans triangle amoureux et sans le « ménage » qu’on pourrait imaginer.

MANHATTAN de Woody AllenA l’orée de la trentaine, Frances est trop occupée à « devenir adulte » et à se remettre de sa séparation avec sa meilleure amie Sophie (Mickey Summer, qui arbore un look d’intello allenienne), partie pour suivre le scénario d’une comédie romantique traditionnelle : rencontre, fiançailles, mariage. Ce scénario est-il encore viable ? Que peut le cinéma pour ces trentenaires qui n’y croient plus beaucoup ? En voisin-cousin de la série Girls, Frances Ha annonce une ère où l’amitié pourrait prendre le pas sur le couple. « On est comme des lesbiennes qui n’auraient plus de rapports sexuels » remarque Frances après la séquence d’ouverture syncopée, la plus belle du film, avec ses instantanés d’intimité girly visiblement très inspirés des premières minutes de Manhattan. Démiurge fou amoureux de sa ville, Woody Allen se confond avec son personnage (à moins que ce ne soit l’inverse), cherche le bon ton pour déclarer sa flamme. En plus du texte, du Gershwin à fond les ballons et des échantillons de la vie new-yorkaise. Frances et Sophie auraient pu figurer dans cette symphonie urbaine mi-documentaire mi-carte postale si elles s’étaient trouvées en 1979.

Dans Frances Ha, il n’y a pas de « date » mais il y a bien une romance. C’est simplement que cette romance n’a pas d’orientation sexuelle. Il s’agit de décrire l’amour pur, spirituel, entre deux nanas, de trouver l’équivalent féminin de la bromance. Voilà un produit singulier sur le marché du cinéma sentimental, comme le furent en leur temps les deux grandes comédies romantiques de Woody Allen (pas de hasard) : Annie Hall, auquel le génie du bien et du mieux James L. Brooks voue la plus grande admiration (est-ce ce film qui lui a donné envie de commencer les siens par l’enfance de ses personnages ?), et Manhattan, encore et toujours, dont Frances Ha a le noir et blanc intemporel. Il est intemporel, éternel ou il a plusieurs âges, suivant le lieu où on se trouve. Si on est à New York ou dans le reste de l’Amérique, ce sera une screwball comedy, une comédie existentielle de la fin des années 70, un premier film de Jim Jarmusch…. Si on est en Europe, ce sera du néoréalisme italien, un Fellini, du Antonioni, du Bergman ou un film de la Nouvelle Vague. On déduit d’après le générique de fin que Frances visionne Les 400 coups, The 400 Blows comme disent les américains. Outre-Atlantique, Antoine Doinel n’est pas un enfant brimé. C’est un enfant battu.

Lors d’un séjour éclair à Paris, l’héroïne manque un rendez-vous avec un sosie de Jean-Pierre Léaud. Elle aura erré seule dans la capitale sur la musique de Georges Delerue, en soeur américaine d’Antoine Doinel et de tous les marcheurs du Paris de 1959. Frances Ha est une belle méditation sur le passage à l’âge adulte, sur les âges de la vie croisant ceux du cinéma. La première fois que Gerwig danse dans les rues de New York, un morceau des années 80 l’accompagne. La deuxième fois, tout porte à croire qu’on est passé à la musique de la décennie suivante. Si elle n’est pas de son époque, de notre époque, elle y accourt, la rejoint, elle grandit. Au terme de son voyage, Frances devient Frances Ha. Pour ne pas gâcher la surprise, on ne dira pas comment ni pourquoi. On dira juste que c’est bouleversant.

En bonus, un extrait qui va vous mettre la tête à l’envers :

FRANCES HA de Noah Baumbach (Etats-Unis) avec Greta Gerwig, Mickey Summer, Adam Driver, Michael Zegen. Durée : 86 minutes. Sortie en France le 3 juillet 2013. 

Nathan Reneaud
Nathan Reneaud

Rédacteur cinéma passé par la revue Etudes et Vodkaster.com. Actuellement, programmateur pour le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux et pigiste pour Slate.fr. "Soul singer" quand ça le chante.

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