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Choisi pour ouvrir la Quinzaine des Réalisateurs 2013, Le Congrès est sur plusieurs aspects le prolongement évident de Valse avec Bachir, précédent film d’Ari Folman. Mais une même recette ne donne pas toujours un aussi bon résultat, quand elle est employée dans un contexte différent.
Le Congrès succède à The we and the I de Michel Gondry en tant que film d’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, et surtout au superbe Valse avec Bachir dans la filmographie d’Ari Folman. Les liens sont forts de l’un à l’autre. Un même recours à une animation rétive au formatage, dans sa composition comme dans le récit qu’elle porte ; une même collision orchestrée entre un genre (la science-fiction succédant cette fois à la guerre) et des déchirements intimes. Le Congrès s’affiche comme l’adaptation d’un roman de Stanislas Lem, Le Congrès de Futurologie. Celui-ci fournit en réalité la base de la seconde moitié du film, la première lorgnant plus du côté de Simone d’Andrew Niccol. Dans la satire inquiète d’Hollywood de Folman, les studios ne créent plus leurs acteurs virtuels de façon composite mais sur la base d’un seul comédien, lequel s’engage à renoncer à sa carrière et à s’effacer définitivement derrière son double numérique. Le début du Congrès accompagne Robin Wright, qui interprète un rôle portant son nom et inspiré de sa vie, dans cette démarche d’auto-mise en retraite anticipée. La suite du récit se raccordera au livre de Lem en imaginant les effets, d’ici plusieurs décennies, des avancées et de la généralisation d’une telle technologie de déréalisation de soi-même sur la société toute entière.
On le voit, le programme de Folman est extrêmement ambitieux. Le film est tout à fait à la hauteur sur un point : son aspect visuel, une fois la bascule vers l’animation accomplie. La justification trouvée à ce changement de nature d’images est très ingénieuse, de même que la transition d’un état à l’autre. L’élan de ce superbe départ créatif ne sera jamais brisé par Folman et son directeur artistique David Polonsky (qui œuvrait déjà sur Valse avec Bachir). Au contraire, ils emmènent leur film de plus en plus loin dans la folie dessinée, inventant et réinventant, modelant et malaxant, des mondes hallucinatoires aux milliers de détails extravagants, physionomies hybrides, couleurs étranges. C’est une porte ouverte sur le merveilleux, au sens noble, ancien, dans sa version qui ne tolère aucune limite. Le choix d’une animation artisanale, ranimant la mémoire du coup de crayon audacieux d’artistes d’avant-hier, concourt à ce grand chambardement qui nous arrache à la réalité. Ainsi l’influence de Dave Fleischer (Popeye, Betty Boop,Superman entre autres choses), revendiquée par Folman, est assurément là ; mais en prenant en pleine figure le mélange de générosité, d’audace et de fougue du Congrès on peut aussi penser au Metropolis d’Osamu Tezuka, contemporain de Fleischer.
Mais – et c’est un gros « mais » – cette effervescence et cette intrépidité ne se transmettent jamais au scénario. Le film en devient bipolaire : aussi émancipé visuellement dans sa part animée qu’inhibé dans ce qu’il raconte et la manière de le raconter. Le potentiel vertigineux du sujet se trouve gâché deux fois. Le premier coup est porté par les tunnels de dialogues patauds ou réducteurs, qui émoussent tout ce qui a trait au cauchemar de science-fiction et de civilisation abordé : un laïus édifiant de l’héroïne au Congrès semble sorti d’une campagne poussive contre la drogue, plus loin une réplique « Y a-t-il encore des médecins dans ce monde ? » d’un spot mal fichu dénonçant la pauvreté dans le Tiers-Monde. Le second coup est le fait des personnages clichés et insipides qui occupent l’espace familial et sentimental. Ainsi le fils de Robin Wright, tout droit venu d’un mauvais mélo sundancien, ou les protagonistes de la partie satirique du film, à l’inspiration étriquée sur les plans comique et critique. Le scénario du Congrès est indigne de ses étourdissantes images. Il en devient un négatif de Valse avec Bachir, la faute à une ultime correspondance : une même tendance à tout analyser à l’extrême, au sens psy du terme. D’où la science-fiction et la satire dévitalisées, car trop décortiquées et littéralement explicitées. Cette pratique de l’analyse tirait Valse avec Bachir vers le haut, car elle y trouvait naturellement sa place au cœur du récit ; mais elle grève Le Congrès car elle y relève d’une greffe forcée et non désirée.
Le Congrès (The Congress, Etats-Unis, 2013), un film d’Ari Folman. Avec Robin Wright, Harvey Keitel, Jon Hamm. Durée : 120 min. Sortie en France : 3 juillet 2013.