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Jeunesse israélienne, rapt et amour fraternel: en ne choisissant de ne s’intéresser qu’au troisième de ces thèmes, Tom Shoval perd de vue la chronique sociale pour s’abîmer dans le film de genre douteux.
Deux crétins kidnappent une adolescente. Sauf qu’on est en Israël, que c’est Shabbat, que les parents de la victime ne décrocheront pas leur téléphone du week-end et que de toutes façons, l’adolescente fugue assez souvent. Pendant Shabbat, d’ailleurs. Ce pitch de comédie (non, il ne s’agit pas de la suite de We are Four Lions), Tom Shoval le prend très au sérieux. Suffisamment pour qu’on ait l’impression de regarder, pendant assez longtemps, une sorte d’Irréversible pour ados – si vous trouvez l’idée bizarre, c’est normal : vous êtes sain d’esprit. En jouant à peine au dandy, on pourrait affirmer que son cadrage, son montage et son interprétation constituent les plus graves défauts de Youth. Mais il faut parler de sa nauséeuse maladresse.
Deux plans la rendent impardonnable. Le premier cadre de près la cuvette des toilettes, où les deux crétins (ils sont frères) croisent leurs jets d’urine. Le spectateur, qui ne manque pas de s’interroger sur la nécessité d’un tel insert, en déduit que les personnages partagent une intimité particulière, et que si cette information lui est ici délivrée, c’est qu’ils auront peut-être à se dénuder l’un à côté de l’autre plus tard, dans des circonstances différentes. Le second plan les montre installant un matelas dans une cave. Le spectateur est donc amené à redouter un viol, qui ne se produira pas. Tant mieux, bien-sûr. Mais le problème n’est pas là : le problème, c’est que cette transformation du viol en simple ressort dramatique le vide de sa nature profondément obscène. Une structure en flash-back aurait suffi à rassurer le public et à lui épargner ce sale suspense. Seulement, Shoval veut faire peur à la manière des navets machistes à base de demoiselles en détresse et de héros virils – auxquels Youth fait d’ailleurs lourdement référence.
Le rapport au cinéma est lui-même biaisé. L’un des frères travaille dans un multiplexe, et l’on entend au début défiler la bande-annonce de Hell Driver, avec Nicolas Cage – une autre histoire pas franchement délicate de beauté kidnappée. Un peu plus tard, les tortionnaires délaissent l’hébreu et se mettent à parler anglais : « She’s a fucking bitch ! She means nothing ! » L’intention du réalisateur est claire : montrer que ces deux jeunes se croient dans un film, perdent toute notion de la réalité, etc.. Pourtant, tout en stigmatisant le cinéma, Shoval s’y réfère sans cesse, et la cinéphilie des jeunes criminels est évidemment la sienne. Il n’y a qu’à voir le plaisir douteux qu’il prend à faire enfiler un t-shirt John Rambo à la victime enfermée dans une cave depuis trois jours, ou un t-shirt Le Dahlia Noir à l’un des ravisseurs… Et lorsque la victime finit ligotée à l’arrière d’une voiture, le plan sur le coffre refermé ne dure pas une seconde, apparaissant ainsi à titre de clin d’œil jubilatoire totalement déplacé à Scorsese ou à Tarantino. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur l’incohérence entre le réalisme prétendu de l’ensemble (le film est riche en détails scabreux) et le manque total de crédibilité de certains passages : le coffre contenant la victime se retrouve grand ouvert au milieu d’un parking public, et en plein jour. Le titre renvoie ainsi moins à la victime – dont le film se moque royalement – qu’à une forme de tendresse pour ces deux frères, un peu gauches, un peu benêts. Voir la scène où la victime passe 24 heures bâillonnée et manque de mourir étouffée. Ah, ces jeunes ! Il faut tout leur apprendre !
Lors de sa présentation à Paris Cinéma 2013, durant l’échange qui suivit la projection, Tom Shoval souligna qu’il avait surtout voulu, pour son premier film, parler de la relation qui unit deux frères, parce qu’il a toujours aimé le sien. Pendant deux heures, il n’aura pourtant pas été question de fraternité, mais simplement des raisons pour lesquelles on pourrait prendre en sympathie deux tortionnaires. Shoval n’a même pas la politesse de prétendre ne pas avoir voulu les juger, puisqu’il les sauve. A la fin du générique, une chanson sur la jeunesse annonce furieusement au public, et en français dans le texte : « Tu te reconnaîtras ! Tu te reconnaîtras ! » Dans la victime séquestrée, sans doute. Mais ce qui pouvait différencier les deux ravisseurs du public semble avoir échappé au réalisateur.
YOUTH (Israël, Allemagne, 2012), de Tom Shoval avec David Cunio, Eitan Cunio, Moshe Ivgy, Shirili Deshe, Gita Amely. Durée : 107 min. Sortie en France le 5 mars 2014.