Envoyé spécial à… STRASBOURG 2016 : La politique des actrices
La 9ème édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) condensait les avantages d’un jeune festival (retour aux fondamentaux du genre : rétrospective des monstres Universal, focus sur les serial killers) et ceux d’un rendez-vous déjà droit dans ses bottes – avec la venue de deux maîtres, Dario Argento et Ruggero Deodato. Ajoutez à cela la projection des Dents de la Mer aux bains publics (avec possibilité de regarder le film les pieds dans l’eau, sinon ce n’est pas drôle) et vous vous demanderez comment, pour le 10ème anniversaire en 2017, le directeur Daniel Cohen et son équipe pourront surpasser ce qui ressemblait à l’édition idéale de ce festival.
Une édition qui se voulait moins axée sur le fantastique au sens où les bons élèves l’entendent (mais si, « l’intrusion de l’irréel dans le quotidien », tout ça) qu’au sens que lui donnent les cancres du fond de la salle, ceux qui n’aiment rien tant que les cadavres prosthétiques, les joyeux effets gores et les apéros déguisés en zombies. Sans vouloir jouer les bons élèves, cela dit, les meilleurs films de la compétition auront été ceux où le cinéaste respectait à la lettre la définition canonique du genre : soit une lente intrusion de l’irréel sinon dans le réel, du moins dans le cinéma sans effets spéciaux. C’est ce qui séduit ici : la façon dont des films à l’esthétique plutôt sobre se métamorphosent peu à peu en films spectaculaires, contaminés par les monstres. Le maître du genre étant le Dracula de Tod Browning, qui ouvrait la rétrospective Universal : un monstre est là, on ne sait pas ce que c’est, mais le réel se délite lentement jusqu’à conduire les personnages dans les recoins les plus sombres, les plus inattendus – et les plus beaux – de leurs cauchemars.
1. I am not a serial killer, de Billy O’Brien
Récompensé au palmarès (par le Méliès d’argent), I am not a serial killer fonctionne exactement de la sorte. Tout commence comme du Gus Van Sant, avec un ado fasciné par les tueurs en série et un voisin un peu louche, laissant présager un film plutôt axé sur l’horreur humaine et la banalité du mal… pour s’achever – sans spoiler outre-mesure – sur une révélation dans la lumière blafarde d’une morgue où les marionnettistes s’en donnent à cœur-joie. Tout l’art est alors de gérer la montée en puissance de l’irréel, de laisser lentement dériver les conventions réalistes du film pour éviter à la conclusion de paraître ridicule, véritable exercice de funambule brillamment exécuté ici, notamment avec l’aide d’un des plus grands acteurs fantastiques ayant jamais vécu, c’est-à-dire Christopher Lloyd.
On se désespérait de le revoir dans un vrai rôle au cinéma, on le retrouve avec bonheur : l’iconique Doc Brown de Retour vers le Futur, le légendaire Fétide de La Famille Addams, habitué des trous percés dans la toile du réel dont le visage, à lui seul, faisait se demander si Vol au-dessus d’un nid de coucou n’était pas en fin de compte un film d’extraterrestres. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il n’a rien perdu de son mojo et fait toujours autant flipper que dans Qui veut la Peau de Roger Rabbit. À bien y réfléchir le rôle qu’il tient ici est peut-être le plus proche de ce dernier… mais on a dit qu’on ne spoilerait pas outre-mesure.
2. Under the shadow, de Babak Ansari
L’autre film littéralement fantastique de la sélection donnait à voir le délitement de la fabrique du réel, au moyen d’un énorme missile passé à travers le plafond d’un immeuble, perçant une ouverture où s’engouffrent les djinns. La scène a lieu à Téhéran, pendant la guerre contre l’Irak, et l’on est – d’assez loin – devant le meilleur film du festival, Under the shadow. Comme la plupart des films iraniens produits à l’étranger (en l’occurrence en Jordanie), Under the shadow formule une critique du régime en place, mais le fait ici en passant par le film de genre. Cette critique tient en une scène : enfermée avec les esprits qui la tourmentent l’héroïne, Shideh (Narges Rashidi), restée seule avec sa fille (Avin Manshadi, brillantissime comme savent l’être parfois les très jeunes actrices) choisit de sortir, de quitter le bâtiment – choix assez rare dans les films de fantômes où le plus souvent, personne ne quitte la maison hantée sans en avoir la permission des monstres. Manque de chance : une fois à l’extérieur, Shideh tombe sur la police des mœurs, et finit au poste. Dans sa course éperdue elle n’avait pas mis son voile, et l’heure est bien trop avancée pour qu’une femme sorte seule, pour qu’une girl walks home alone at night pour citer Ana Lily Amirpour, que rejoint Babak Amsari dans la catégorie des cinéastes en train de faire de l’Iran une grande nation fantastique.
Parce que le pays grouille des fantômes de celles et ceux que le régime veut cacher, que le Coran ne manque pas de mauvais génies à invoquer, que le voile est un motif d’horreur évident – et pas pour les raisons idiotes invoquées par quelques malheureux français, mais bien parce qu’on n’a pas fini de s’en servir pour cacher plus que de piètres objets réels. Comme chez O’Brien, le fantastique monte méticuleusement en puissance (les djinns sont-ils des métaphores de la menace irakienne ? des superstitions religieuses ? ou encore autre chose ?), jusqu’à une resplendissante scène de voile légèrement rehaussée de quelques trucages numériques. Ce que l’on retient cependant, c’est que la police des mœurs renvoie Shideh chez elle, parmi les fantômes, et qu’en Iran la réalité peut être pire que les djinns. Il y aurait également beaucoup à écrire, indépendamment du pays d’où vient le film, sur la mise en scène de cauchemars maternels universels.
3. The love witch, d’Anna Biller
Si l’affiche du festival montrait une femme aux prises avec le long couteau d’une main gantée de noir que l’on supposait masculine, la compétition n’aura pas manqué de personnages féminins éloignés de leur sempiternel statut de victime, et plus proches du rôle du bourreau. C’était par exemple le cas dans The love witch, sorte de variation sur Jennifer’s body à ceci près que la cruauté de Megan Fox, dont se délectait la réalisatrice Karyn Kusama, est ici remplacée par l’incroyable candeur de Samantha Robinson – qui, quoique mâtinée de Diana Rigg, n’en reste pas moins physiquement très proche de l’actrice de Transformers.
Cela change tout : la love witch du titre n’est pas seulement un monstre sanguinaire, elle est aussi une mère protectrice, qui tue ses proies en les gavant d’amour là où Fox se contentait de les gaver de sexe. Le film de Biller rejoint celui de Kusama dans son détachement un peu peste vis-à-vis du genre dont elle s’empare : lorsque retentissent des morceaux d’Ennio Morricone, tout en soprano éplorée, on ne peut s’empêcher de penser qu’ils interviennent à titre ironique, comme pour se moquer du giallo et du cinéma italien ultra-sentimental – à la Dario Argento en somme, dont Biller reprend l’esthétique colorée pour en faire un univers de poupée si superficiel qu’il en devient inquiétant. C’est un peu comme si le film entier avait été maquillé par l’héroïne, que l’on ne verra jamais sous son vrai jour, comme si les effets du cinéma de Tarantino n’étaient plus ici que de la pure cosmétique posée sur un vide existentiel ; soit le propre de toute la nouvelle génération d’héroïnes, de Spring breakers à Suicide Squad en passant, on l’a dit, par Jennifer’s body.
4. Trash fire, de Richard Bates Jr.
The love witch est le premier rôle de Samantha Robinson, et Under the shadow le premier rôle important de Narges Rashidi (qu’on avait déjà croisée, en fait, dans Aeon Flux de Karyn Kusama, encore elle). Trash fire marque l’occasion de mieux faire connaître une actrice déjà aperçue dans la saison 6 de Californication, ainsi que dans une série de vidéos YouTube plutôt réussies: Angela Trimbur. Il est peut-être un peu tôt pour commencer à parler de politique des actrices à Strasbourg, mais un bon nombre des meilleurs films que l’on y aura vus étaient menés par de jeunes actrices. Ici, le film entier semble s’être inspiré des sketches postés par Trimbur sur Internet. Elle y joue par exemple, dans Swallow, une rencontre un peu gênante avec la belle-famille ; dans Sad audition, une actrice qui n’arrive pas à pleurer. Dans Trash fire elle est la petite-amie d’un trentenaire névrosé, épileptique et égoïste, qu’elle aimerait quitter sans pouvoir s’y résoudre, engluée dans un rôle d’infirmière-maison qui la répugne. Une fois enceinte, elle incite son petit-ami à reprendre contact avec sa famille – une grand-mère qui essaie de l’assassiner et une sœur brûlée au troisième degré qui ne sort jamais de chez elle, sauf pour se masturber dans le jardin.
Autant dire que cette rencontre-là est un peu gênante aussi, d’autant que la grand-mère en question est incarnée par Fionnula Flanagan, mais si voyons, Fionnula Flanagan : la grand-mère qui prodigue une fellation agréable à Jim Carrey dans Yes Man. Un peu gênante, encore. Pas de marionnettes incrustées à l’image ni de djinns voilés ici, mais la montée en puissance d’un malaise tel qu’il confine au surnaturel. Et au milieu de la tempête, Angela Trimbur, extraordinaire, toujours à deux doigts du surjeu, sans jamais laisser l’émotion se diluer dans l’autoparodie. Parce qu’émotion il y a : l’histoire est d’abord celle d’un couple qui se délite. Le titre Trash fire renvoie aussi à ça, au déchet d’un individu mal aimable qui accapare une femme au point de l’aliéner à son amour, jusqu’à la destruction du déchet en question ; même s’il suggère malicieusement dans sa deuxième partie que la première, où le personnage masculin joué par Adrian Grenier est absolument odieux, n’était pas si terrible.
5. Yoga hosers, de Kevin Smith
On continue la politique des actrices ? L’attrait principal de Yoga hosers n’est pas son réalisateur, Kevin Smith, ni même les caméos de Vanessa Paradis, Stan Lee, Justin Long et même Haley Joel Osment en nazi canadien (avec Christopher Lloyd, les autres grandes retrouvailles de ce festival) – ni même le long délire grimé de Johnny Depp en sosie de Sternberg louchant dans son dufflecoat ; mais bien le duo formé par Lily-Rose Depp et Harley Quinn Smith, fille du réalisateur – très justement nommée d’après l’héroïne qui monopolisait cette année Suicide Squad. On situait un peu plus haut ce dernier film dans la lignée de Spring breakers et Jennifer’s body, on pourrait ajouter à la famille ce Yoga hosers, dans lequel deux adolescentes affrontent, très conscientes de l’absurdité du monde qui les entoure, et plutôt blasées à ce sujet, une invasion de trolls nazis d’une vingtaine de centimètres de haut constitués de choucroute.
On retrouve ici le cynisme et les traits d’esprit cruels qui caractérisent Kevin Smith, appliqués à la génération Y et au Canada – plus précisément Winnipeg, dans le Manitoba, pas franchement réputé pour être l’endroit le plus palpitant du monde. Contre toute attente on pense à Cloud Atlas : comme les sœurs Wachowski, Smith réalise le film le plus étrange possible, tout en mentionnant son aversion des critiques, qui exigent des films qu’ils puissent entrer dans un certain nombre de cases, être raisonnablement compréhensibles en un temps limité. L’étrangeté du scénario est ainsi une forme de vengeance, une manière de troller pour de bon quiconque essaierait de se frotter au film avec un esprit de sérieux. Faut-il y voir une tendance canadienne ? Sausage party, qui ressemble à s’y méprendre à Yoga hosers dans le joyeux nihilisme dont il fait preuve, est pareillement, aux dires de son scénariste Seth Rogen, un moyen de renvoyer le système hollywoodien à son absurdité, à l’aide du film le plus stupide possible. Cependant Sausage party est un peu raté ; on ne peut pas dire que ce soit le cas de Yoga hosers, même si Johnny Depp se laisse in fine emporter par sa tendance, un peu lassante, aux grimaces.
6. Terra formars, de Takashi Miike
Under the shadow et The love witch étaient en compétition, Trash fire dans une section parallèle intitulée « Crossovers », et Yoga hosers dans la section « Midnight Movies », où l’on n’aura pas vraiment vu que des chefs-d’œuvre (faute d’y avoir attrapé, peut-être, le Rob Zombie et le Ruggero Deodato). Ainsi de Terra formars, adaptation par Takashi Miike d’un manga à succès dans lequel des parias de l’humanité sont envoyés sur Mars pour y combattre des hommes-blattes. Vous avez bien lu.
Ce n’est pas fini : pour combattre, ces parias activent l’ADN d’insecte qu’on leur a injecté, et deviennent des surhommes aux pouvoirs d’insecte, comme par exemple cet ancien pédophile qui, grâce au pouvoir d’un insecte qui pète pour aller plus vite, se retrouve à même de cracher le feu par la bouche pour propulser le véhicule de ses camarades. Autant dire que la séance était éprouvante, et que l’histoire rendait probablement mieux sur papier – où au moins la stupidité du pitch et la laideur de l’ensemble n’étaient pas accentués par un montage mutilatoire (pour les yeux du spectateur) et une musique débilitante de type death metal joué en sourdine en permanence, comme à travers les écouteurs d’un petit malpoli dans le TER. On y allait guidé par la politique des actrices, toujours, pour voir ce que devenait Rinko Kikuchi en dehors de Pacific Rim : la réponse, c’est qu’elle porte à peu près le même costume, mais qu’elle joue horriblement mal, comme si elle avait purgé de toute son intelligence le regard de l’héroïne qu’elle incarnait pour Guillermo Del Toro. RIP.
7. The mermaid, de Stephen Chow
La même frange hystérique et décérébrée du cinéma asiatique clôturait le festival, avec The mermaid. Étrange proximité des tics insupportables des cinémas d’exploitation japonais et chinois : musique stupide, laideur visuelle à hurler, effets spéciaux détestables, répliques dites parfois en anglais histoire de frimer, montage surexcité qui ferait regretter Eric Rohmer à un ado, et toujours ce même fantasme d’une humanité-humaine opposée à une humanité pervertie par l’animalité (les humains-blattes au Japon, les humains-poissons en Chine).
Ennio Morricone semble encore parodié du côté de la musique ; côté humour, on est plus proche des ZAZ, avec un comique de répétition très gras à la Y a-t-il un flic pour sauver la reine, très cartoon, et parfois si con qu’il finit par faire mouche (les deux policiers qui justifient leur fou rire moqueur en disant qu’ils sont tout simplement très heureux). Le rapport au corps de la jolie sirène est assez étrange : elle est soumise à une violence physique certes cartoonesque, mais parfois dérangeante, comme lorsqu’elle reçoit un coup de club de golf dans le crâne par accident. Comme si Chow visait Tom & Jerry, mais finissait, du fait du réalisme de certains coups, par donner dans le sadisme à la Itchy & Scratchy. Dirigée sur le visage poupon d’une jolie adolescente chinoise, qui finit le film multimutilée, cette violence a pourtant quelque chose de déplacé.
8. Grave, de Julia Ducournau
Série Z au budget boursouflé, The mermaid passait juste après une cérémonie qui couronna, côté public comme côté jury, Grave – soit une autre forme de série Z glorifiée, puisque la réalisatrice dit n’y avoir cherché guère plus qu’à choquer le public (d’où le titre, apparemment, visant à rappeler que si, il se passe des choses graves sur Terre), au moyen du premier tabou qui lui passa sous la main – en l’occurrence, l’anthropophagie. On serait donc bien mal avisé d’en faire la moindre lecture un tant soit peu analytique : si les actrices (Garance Marillier et Ella Rumpf) savent ce qu’elles font la réalisatrice, elle, n’a pas vraiment l’air d’avoir la main sur son film, dans le fond simple objet dandy provocateur, qui se voudrait novateur mais devra se contenter de rester dans l’ombre des Gaspar Noé, Claire Denis et Pascal Laugier qui l’auront précédé.
Lors du Q&A, Ducournau dit avoir refusé de traiter de l’inceste (alors que son film ne parle que de ça : vas-y que je t’écarte les cuisses, que je te mange le doigt, que je te mords quand tu me mords, que je me tape ton copain…) puis se défend d’avoir tourné un film végane. Effectivement, l’idée nous avait traversé l’esprit : Grave raconte quand même comment une végétarienne vire cannibale dans une école vétérinaire, et confronte son spectateur à une multitude d’animaux morts tout en instillant l’idée que tous être vivant, une fois mort, devient comestible, humain compris. Et donc qu’il puisse être logique d’arrêter de les manger tous, plutôt que l’inverse… Las ! À entendre la réalisatrice affirmer, droite dans ses bottes, que « la conscience, le libre-arbitre et la capacité à faire de choix sont des spécificités humaines » (sic), on l’imagine bien s’enfiler une choucroute en sortant, confortée par un discours spéciste séparant radicalement l’humain des autres animaux – discours très en vogue dans les écoles vétérinaires où le végétarisme est en effet généralement mal vu.
Mais public et jury sont contents : les scènes de fêtes qui ouvrent Grave sont exécutées selon le cahier des charges stylistique établi par Projet X et Spring breakers, repris depuis par le dernier film de Beigbeder et les deux Babysitting – on est donc en territoire connu et ludique, et puis les filles sont jolies, alors on vote « excellent » sur le petit papier en sortant (le buzz de Toronto y est sans doute pour quelque chose). Que les choses soient claires cependant : les scènes les plus choquantes de Grave n’ont rien à voir avec le cannibalisme, elles tiennent à la façon dont sont filmés les innombrables animaux morts dont regorge le film, c’est-à-dire sans la moindre once d’humanité ou de compassion, comme de simples choses ; de même que le sont le cheval anesthésié en temps réel, ou la vache dont l’héroïne fouille l’utérus avec le contentement d’une ado rebelle qui vient de faire pipi dans le caniveau devant ses copines.
9. We are the flesh, d’Emiliano Rocha Minter
Dans le genre du film qui cherche à choquer, mais ne surprend pas grand monde et s’en prend au passage aux végétariens comme à des petits êtres innocents sur lesquels l’inévitable violence du monde doit s’abattre, We are the flesh se pose là. On y baigne dans l’inceste, comme chez Ducournau, et dans la philosophie nihiliste qui voit de la viande comestible partout. Sauf qu’encore une fois, tout ça ne vole pas plus haut que du Beigbeder : il s’agit de faire le film le plus choquant possible (la sœur a ses règles dans la bouche de son frère, un clochard démoniaque éjacule face caméra) tout en chouinant sur ses illusions perdues (la sœur a ses règles dans la bouche de son frère en déplorant que l’amour n’existe pas ; le clochard éjacule en disant qu’il essaie d’être romantique). Cerise sur le gâteau sexuel et puéril de Minter : son porno en carton-pâte est dédié à son papa et sa maman. C’est peut-être une adaptation d’Alain Souchon, après tout : allô, maman…
10. Dogs, de Bodgan Mirica
Quant à Dogs, projeté dans la même section parallèle que Trash fire, il fait beaucoup moins genre qu’on veut nous le faire croire. Sous prétexte que l’affiche représente un duel cadré comme dans un western spaghetti, deux critiques sur trois racontent que ce film roumain se déroulant dans le sud-est du pays, près de la frontière bulgare, s’inspire du western – comme s’il suffisait de ne filmer que des hommes et de faire des plans larges sur le paysage pour se faire appeler John Ford. Mais cruellement dénué de rythme, grevé par le retour terrible du même travelling avant subliminal sur deux bonshommes qui discutent sur un perron, Dogs est avant tout une pièce de théâtre, toute en dialogues, où l’on ne se parle que pour comparer la qualité de sa testostérone à celle de son voisin. À la fin les mâles s’abattent entre eux, se mordent les uns les autres, on pouvait s’y attendre ; ça n’est pas du Sergio Leone pour autant. Ce qui est néanmoins amusant, c’est la façon dont la violence monstrueuse des gangsters s’insinue dans le film, au rythme du fantastique inspiré par le Dracula de Tod Browning, dont on parlait plus haut.
11. Lo & Behold, de Werner Herzog
Le Festival de Strasbourg était aussi l’occasion de découvrir trois films tournés vers l’avenir. Tout d’abord le dernier documentaire de Werner Herzog, présenté en janvier dernier à Sundance, intitulé Lo & Behold et consacré à une sorte de redécouverte de ce qu’est devenu Internet aujourd’hui, à travers le regard un peu noob du cinéaste allemand. Sa sélection au festival du film fantastique lui offre un éclairage intéressant : Internet s’est peut-être infiltré dans nos existences à la manière de Dracula chez Tod Browning, faisant basculer nos vies normales de petits jeunes des 90’s dans une sorte d’irréel douteux, où le virtuel et ses avatars forment un monde parallèle peuplé d’autant de fantômes.
Herzog s’amuse beaucoup, parodie même Terrence Malick en empruntant pour sa séquence d’ouverture l’extrait de l’Or du Rhin de Wagner que l’on entendait à la fin du Nouveau Monde ; en mettant en scène de véritable petites vignettes (les bonzes tweetant entre le planétarium et la skyline de Chicago) ; ou en se fendant d’une ou deux métaphores mignonnes de temps en temps (« les micro-ondes nous cachent les étoiles », entre autres), tout en refaisant le coup de Grizzly Man : moi, Werner, j’ai vu l’horreur, mais je ne vous la montrerai pas, vous devrez vous contenter de mon film.
12. Late shift, de Tobias Weber
Le festival se tournait également vers le futur avec Late shift – salle comble pour film interactif. Chaque spectateur télécharge l’appli puis se connecte au réseau wifi du film : à chaque fois que le personnage est confronté à un choix, deux cases apparaissent, sur l’écran de cinéma et sur l’écran du smartphone et, pendant les deux ou trois secondes que dure le plan, le spectateur est amené à cliquer sur l’une des deux options, sur son téléphone. La majorité l’emporte, la salle se mue en méga-individu décidant démocratiquement du devenir du film : plus la séance est tardive, raconte le producteur, plus il y a d’hommes dans la salle, plus le personnage est violent… plus le film finit vite.
On aura donc eu droit à 1h15 de film sur plus de 4h30 de possibilités, et assisté à ce film hallucinant racontant comment un jeune gardien de parking se frotte à la mafia chinoise et finit, hyper-violent, par tabasser des gens dans la rue, flinguer des lords et défourailler à tout va devant une armée de gangsters. Le générique de fin s’abat comme une fessée après la mort du personnage principal, qui ne sauve pas la fille, ne récupère pas le trésor, et crève comme un abruti après avoir enchaîné les choix stupides. La salle s’amuse beaucoup : il faut avouer que c’est très drôle, et très cathartique – mais il y a comme un conflit entre le film, qui aimerait édifier, amener à réfléchir sur l’égoïsme, l’altruisme et l’importance du moindre choix dans notre vie, et le public de Strasbourg, qui avait surtout envie de se défouler et de s’amuser. L’ambiance dans la salle est extraordinaire, mais le producteur nous réprimande gentiment au Q&A: « Le gars dans la rue là… Vous l’avez tabassé ? Ouais… C’est pas bien, ça. Et tuer un vieil anglais… Pas bien non plus… » Bien entendu, tout le monde a envie de recommencer. Rendez-vous est pris sur l’Apple Tv.
13. Fear itself, de Charlie Lyne
Tandis que Late shift propose une option de film démultipliant les heures de tournage pour n’en projeter qu’une portion, Fear itself se constitue entièrement de plans qui existent déjà, puisqu’il s’agit d’un gigantesque mash-up d’images tirées de films d’horreur plus ou moins célèbres, servant la méditation d’une voix-off à la Malick dite par une jeune femme (Amy E. Watson), dont l’histoire se devine au travers de ses réflexions sur la peur et la banalité du mal. Cela nous parle du coup du cinéma d’horreur dans son ensemble, qui doit composer avec l’habitude qu’a le spectateur de la moindre scène de violence.
Ce n’est pas vraiment un documentaire, mais bel et bien quelque chose de personnel – d’ailleurs on retrouvera Fear itself en compétition au FIFIB de Bordeaux. Et après bien des détours dans les recoins les plus sombres de la psyché humaine et les plus jolies scènes du cinéma de genre, Charlie Lyne finit par résumer cette 9ème édition du festival de Strasbourg : car le générique de fin n’est pas celui d’un film d’horreur, mais une chanson qui dit simplement qu’on peut bien théoriser longtemps sur l’horreur au cinéma, sa caractéristique majeure reste d’être une horreur qui confine toujours au plaisir : « we’re gonna have a good time, good time… »
La 9ème édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg s’est déroulée du 16 au 25 septembre 2016.