Conversation avec HITCHCOCK

Cette fin d’année sera hitchcockienne ou ne sera pas : sortie d’un magnifique coffret blu-ray avec 14 films du maître du suspense, diffusion le 20 octobre dernier sur HBO du téléfilm The Girl, consacré aux tournages des Oiseaux et de Marnie. Enfin, sortie le 13 février 2013 du Hitchcock de Sacha Gervasi. Une grosse actualité qui ne laisse pas le principal intéressé de marbre. Conversation avec Hitch, mort un certain 29 avril 1980.  

Sir Hitchcock, après tant d’apparitions dans vos films, enfin un premier rôle dans le film d’un autre. Et pas n’importe lequel puisque Hitchcock traite de votre propre histoire, plus particulièrement de votre couple et des difficultés que vous avez rencontrées pour réaliser Psychose. Connaissiez-vous le travail du réalisateur Sacha Gervasi ?

Non, je ne connaissais ni l’homme ni ses films. Pas même son fameux documentaire consacré à cette étrange musique qu’on appelle le heavy metal et que j’aurai pu, ma foi, utiliser pour la scène de la douche si je l’avais tournée dans les années 2000 (Hitchcock parle d’Anvil !, sorti en 2008, ndlr). 

Aviez-vous lu Alfred Hitchcock and The Making of Psycho, le récit de Stephen Rebello publié en 1990 ?

Je suis mort en 1980…Et puis je connais cette histoire par cœur.

Donc, j’imagine que vous n’avez pas vu non plus The Girl, le téléfilm produit par la BBC et HBO, diffusé sur la chaîne américaine le 20 octobre dernier. 

Non, mais vous pouvez peut-être m’en parler. 

Il s’agit d’une adaptation de Spellbound by Beauty, un ouvrage de votre biographe Donald Spoto. Le film est une évocation des tournages des Oiseaux et de Marnie. De même que vous avez fait de la psychanalyse de comptoir avec MarnieThe Girl tombe dans l’un des travers du biopic contemporain : la psychologisation, la psycho-névrose, ici votre désir et votre obsession quasi-depalmienne pour Tippi Hedren. Voulez-vous voir la bande-annonce ? 

Pourquoi pas ? 

Il y a tout de même des aspects intéressants : votre sadisme qui consiste à laisser Tippi Hedren se faire attaquer par de vrais oiseaux et à enchaîner les prises (plus de 40), la résonance entre la frigidité de Marnie et l’impossibilité pour vous de coucher avec Hedren, et finalement l’idée amusante pour ne pas dire géniale qui veut que, si vous ne pouvez pas coucher avec elle, Sean Connery, qui est plus beau que vous, ne le peut pas non plus

Si vous le dites. Qui est l’homme qui joue mon rôle ? Il a l’air plus petit que moi. 

Toby Jones, un acteur britannique. Vocalement, il vous imite à la perfection mais cela en devient caricatural. Le jeu de maquillage et de prothèses n’aide pas. Jones avait joué dans Scandaleusement célèbre, un biopic sur Truman Capote sorti tout juste après le Truman Capote – vous me suivez ? – de Bennett Miller, avec Philip Seymour Hoffman dans le rôle principal. 

Si je comprends bien, c’est la deuxième fois que ce Jones joue un personnage ayant existé en même temps qu’un autre acteur. 

Oui. Pour Capote il est arrivé après. Pour Hitchcock, il est arrivé avant.  

Il y a un filon à exploiter. Deux films sur la même célébrité sinon rien. 

On ne déflorera pas l’intrigue d’Hitchcock en disant que le film de Sacha Gervasi revient sur la mythique séquence de la douche.

Effectivement. Souvenez-vous. Tout devait passer par la musique et le montage. L’enjeu était de créer de l’angoisse chez les spectateurs sans jamais rien montrer : ni le visage de l’assassin, ni le contact entre le couteau de cuisine de Mrs Bates et la peau dénudée de Marion, ni les seins de Janet Leigh. Croyez-moi, c’était un défi que de ne pas les filmer. On devine qu’ils sont généreux lorsqu’on la voit en soutien-gorge après qu’elle a fait l’amour avec John Gavin.
Cela dit, sans vouloir vous commander, je préfère qu’on ne parle pas de la mort de Marion dans
l’interview que vous allez publier : laissons la surprise au spectateur.

Hitchcock promet de montrer la fabrication, les coulisses de la scène de la douche. Que pensez-vous des nombreuses variations qu’il y a eu autour de cette scène ? Je pense surtout à ce qu’a fait Brian de Palma.

Phantom of Paradise s’amuse avec le spectateur en remplaçant le couteau par un déboucheur à WC. Pourquoi pas ? Pulsions, qui m’a l’air plus directement influencé par Psychose,propose une relecture plus intéressante. On y voit ce que je n’ai pas filmé en 1960 et que beaucoup de spectateurs vicieux de l’époque attendaient : les seins (je me suis rattrapé plus tard avec la scène du viol dans Frenzy) et le sexe de l’héroïne. Même si je devine que ce ne sont pas ceux de cette chère Angie Dickinson. 

L’implicite rendu explicite, le hors-champ qui bascule plein cadre, vous citez le critique Serge Daney, n’est-ce pas ?, « de Palma analyste d’Hitchcock, etc, etc », Les Cahiers du Cinéma, la rubrique du Journal, « Douchet décortique De Palma », juillet-août 1981.

Je suis mort en 1980.

Pardon. Hitchcock s’intéresse à un moment particulier de votre carrière : la production de Psychose mais aussi le succès de La Mort aux trousses.

Oui, on m’a ensuite proposé de réaliser Casino Royale d’après Ian Fleming. Je ne voulais pas faire deux fois le même film. J’ai préféré réaliser Psychose que je trouvais plus novateur. Mes proches ont tenté de me décourager en disant que c’était un film d’horreur de série B indigne d’un grand réalisateur comme moi.  J’ai bien fait de ne pas les écouter.

En verra-t-on des extraits ?

Non. Pour des questions de droit, vous ne verrez pas une seule image. Pas même la recréation d’un plan. Pour cela, il faudra vous rabattre sur le remake de Gus Van Sant. Que je n’ai pas vu bien sûr. Puisque je suis mort en 1980. 

A voir la bande-annonce, si Hitchcock devait ressembler à l’un de vos films, ce serait plus à votre Mr and Mrs Smith qu’à Psychose ou à l’un de vos célèbres thrillers ?

C’est possible. Le film évoque ma part obscure, ma fascination pour Ed Gein, qui a inspiré Norman Bates, mais il s’agit d’abord d’une comédie, centrée sur mon couple et l’influence d’Alma sur mon travail.

Les premiers retours sur le film ne sont pas très positifs. On est en droit de redouter un nouveau La Dame de Fer.

Le biopic a désormais ses lieux communs. Vous pouvez être sûrs que les spectateurs vont se poser les questions suivantes : une fois maquillé, à quel point ressemblerai-je à Hitchcock ? Dans Hitchcock, Hitchcock est-il convaincant dans le rôle d’Hitchcock ? Dépassera-t-il le mimétisme pour être dans l’incarnation et l’interprétation ? Quelle est la part d’invention ?  

Si le film n’est pas bon, la faute à Sacha Gervasi. Il est moins bon que moi. Vous vous attendiez à quoi ? 

 

Présenté à l’AFI Fest de Santa Monica (1-8 novembre 2012), Hitchcock de Sacha Gervasi est sorti dans les salles françaises le 13 février 2013. 

 

 

 

Nathan Reneaud
Nathan Reneaud

Rédacteur cinéma passé par la revue Etudes et Vodkaster.com. Actuellement, programmateur pour le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux et pigiste pour Slate.fr. "Soul singer" quand ça le chante.

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