ADAM LEON : « GIMME THE LOOT est un film sur la communauté du Bronx, du graffiti, et plus généralement celle de New York »
Il se dit fan du Kids de Larry Clark, supporter des Yankees et agacé par le style caméra à l’épaule. On lui doit l’élégant et énergique Gimme the loot. Adam Leon, une nouvelle voix dans le cinéma indépendant new-yorkais. Humble et prometteuse.
A propos de la vidéo que l’on voit au début du film : comment l’avez-vous découverte ?
Normalement, je devrais vous mentir mais vous semblez sympas alors je vais vous dire la vérité : nous l’avons faite nous-mêmes. On avait besoin de montrer ce qu’était la « Home Run Apple » des New York Mets, et pourquoi elle serait importante pour un graffeur. Dans le premier jet du script, l’un des personnages dit « on devrait tagger la Home Run Apple ! » et l’autre répondre « c’est quoi ça ? ». Ça sonnait vraiment niais, je détestais ça. Alors je me suis dit qu’il fallait résoudre ce problème, et la vidéo semblait un excellent moyen de montrer les enjeux de nos personnages. Parce que ce ne sont pas des enjeux qu’on peut vraiment raconter : ils ne sont pas à la recherche de leur enfant disparu, ils ne doivent pas sauver le monde, etc. C’est quelque chose qui leur est très personnel. Ça permettait de montrer son importance dans la culture des graffeurs et d’expliquer ce que c’était aux gens qui ne connaissent pas, qui ne vivent pas à New York ou ne sont pas amateurs de sport. C’était ça l’idée, et on s’est dit que ce serait une façon amusante et intéressante de débuter le film. Donc c’est toujours un compliment quand les gens pensent que la vidéo existe vraiment ! Mais ne l’écrivez pas : je voudrais que le public pense qu’elle existe !
Comment avez-vous trouvé les acteurs et comment avez-vous travaillé avec eux ?
Ty, qui joue Malcolm, était dans un court-métrage que j’ai co-réalisé il y a quelques années. C’est notre directeur de casting de l’époque qui l’avait trouvé, dans la rue, dans un skate-park. J’avais adoré travailler avec lui, donc j’ai créé ce rôle pour lui. Pour Sofia, on a vu environ 500 filles. Quand Tashiana est arrivée, on était sur le point d’arrêter la production parce qu’il commençait à être tard et qu’il nous fallait évidemment tourner en été. Mais elle a été géniale et on a tout de suite su que c’était elle notre Sofia. Ce que j’aime dans le travail sur un film, c’est la collaboration. J’écris ces personnages, je vis avec eux, je les entends dans ma tête. Mais un jour on choisit des acteurs et on leur donne le personnage, il est à eux. On a beaucoup parlé et répété. Parce qu’on sentait que lors du tournage en extérieur, il y allait avoir beaucoup de problèmes, auxquels il fallait être préparés. On s’est assurés que tout le monde était sur la même longueur d’onde. Donc le processus de répétitions a été très collaboratif. On discutait de l’identité des personnages, de leurs origines, de leurs motivations. Les acteurs en parlaient avec leurs propres mots, et en un certain sens ils se sont retrouvés co-auteurs de leurs personnages. Avec Ty et Tashiana, on se voyait tous les trois. Tout ce que l’un des deux disaient pouvait nourrir la prestation de l’autre. On a donc travaillé en collaborateurs et en égaux. J’ai adoré ça.
Dans le film, les gens volent des chaussures, les perdent, essaient de les retrouver. Pourquoi les chaussures sont-elle si importantes ?
New York est une ville où l’on marche, pas comme la plupart des villes américaines où on se déplace en voiture. On est toujours à pied. Par ailleurs, il existe une sous-culture des baskets (sneakers), avec des fans qu’on appelle les « Sneakerheads ». Les baskets ont une vraie valeur dans cette ville ! Ce n’est pas un thème qui m’est tout de suite venu à l’esprit, mais il est clairement là dans le film. Avec cette idée qu’il est impossible de vivre à New York sans chaussures. Si tu n’as pas de chaussures à LA, tu peux toujours prendre la voiture en chaussettes, ce n’est pas si grave. Mais à New York sans chaussures, tes pieds s’abîment très vite.
Un film que nous aimons sur des adolescents à New York, c’est Kids de Larry Clark. Mais Gimme the loot est très différent. Vous utilisez des cadres stables. Ce n’est pas une caméra qui bouge sans cesse. Pourquoi avez-vous décidé d’avoir ces cadres très stables et ces mouvement très lisses ?
Merci pour cette remarque ! D’abord, personnellement j’aime cette esthétique-là. Parfois, on ne sait pas pourquoi la caméra bouge comme ça. Pas dans Kids, c’est un super film. Mais ailleurs, on se demande pourquoi la caméra tremble alors que ça n’a aucune nécessité. Au delà de ça, je voulais transmettre l’idée qu’on est dans un film. Oui, c’est une histoire très authentique, avec des lieux réels, des personnages et des dialogues vrais. Mais c’est aussi une aventure, c’est une histoire qui est fabriquée, racontée par nous. Ce n’est pas censé être un faux documentaire. D’ailleurs cela se voit dans la musique qu’on a utilisée, qui n’est pas nécessairement du hip-hop moderne. Bref, c’est un film que les gens viendront voir en salles pour passer un bon moment, pas un faux docu. C’est ça l’idée. Ceci dit, pour être honnête, on a bien utilisé la caméra portée dans l’appartement de Ginnie. C’est seulement parce que je voulais pouvoir faire le tour de l’appartement avec la caméra, et qu’on n’avait pas le budget pour une Dolly ou une steadicam. Si on avait eu plus d’argent, cette scène ne serait pas en caméra portée. J’avais vraiment l’impression d’avoir vu trop de caméras tremblantes récemment et je voulais me démarquer de ça. On a eu un trépied, autant s’en servir. Je ne voulais pas faire de la caméra un personnage. C’est New York qui est un personnage.
Vous parlez des musiques du film. Comment les avez-vous trouvés ? Je pense surtout à ces sons des fifties et des sixties, très soul.
Ce fut un de mes premiers instincts pour le film. Ça semblait bien coller avec le ton. Il s’agissait de dire d’abord « on est dans un film ». La plupart des gens imaginent qu’un film sur des gamins qui mènent une vie difficile à New York sera forcément morne. On ne voulait pas d’un film morne. On voulait humaniser les personnages encore plus en disant : ils ont la vie dure mais ils ne sont pas nécessairement malheureux. Et on va s’éclater, on va s’amuser au cinéma avec eux. J’ai pensé qu’utiliser ces chansons, notamment dès le début, ça disait « allons-y, partons à l’aventure ensemble ». Je passais ces chansons aux gens que je rencontrais pour parler du film.
Dans le film, vous mentionnez Nantucket. Un de vos courts-métrages est passé au festival de Nantucket.
Ty (qui était dans ce court-métrage) et moi sommes allés ensemble à Nantucket. On y a passé un week-end fantastique. Ty n’avait jamais pris l’avion et n’avait jamais vu un endroit comme celui-là. C’est là que j’ai décidé que je voulais faire un long avec lui. Ça a été important pour nous. C’est devenu une blague entre nous. On espérait que ça nous aiderait à retourner au Nantucket Film Festival, surtout qu’on avait gagné avec le court mais ils ne nous ont pas pris ! Enfin, c’était un petit truc personnel entre nous deux. Il faut bien s’amuser sur le plateau, parfois.
Une question sur le style visuel, et ces couleurs pâles.
Encore une fois, c’est d’abord une esthétique que j’apprécie beaucoup. J’en avais assez de ces images numériques très travaillées, de ces films qui sont faits avec très peu d’argent mais où les gens disent « on dirait que ça a coûté 10 millions ! ». On ne voulait pas que le film ait l’air d’avoir coûté 10 millions. Je pense même qu’il serait pire si on avait eu autant d’argent. Une partie de son charme tient du fait qu’il est « lo-fi », fait maison avec des bouts de ficelles. C’est un premier film, et on doit le ressentir comme ça. L’autre aspect, c’est que je voulais raconter une histoire contemporaine, qui parle de cet endroit et de cette époque. Mais il y a quelque chose dans le film qui ramène au New York du début des années 90, voire des années 70 et 80. L’image du film provient de cette idée. Lee Scratch Perry, le producteur de Reggae, prenait parfois ses enregistrements et allaient les enterrer dans son jardin pendant une semaine. Puis il les récupérait. C’est ridicule, mais charmant. C’est ça que je disais aux gens : je voulais que le film donne l’impression qu’on l’a enterré pendant une semaine avant de le ressortir. Usons-le un peu !
On a découvert quelque chose dans le film : c’est vraiment possible de nager dans un château d’eau ?
C’est dangereux, mais oui, j’ai une amie qui l’a fait. Et dans le film aussi. Il n’y a pas de trucage, elle a grimpé sur le château d’eau et elle a plongé. Elle est exceptionnelle. On essaie tous d’être aussi audacieux que possible et se lancer mais… Je lui ai demandé si ça allait, si elle était sûre. J’étais très nerveux. Et elle m’a dit « mais oui, allons-y ! ». Elle l’a fait, elle s’en est sortie. J’étais très soulagé. Mais c’est vraiment son genre de faire ça. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit « c’est mon hobby de grimper sur des trucs ». Il y a des photos dingues d’elle agrippée à des bateaux au beau milieu de l’Hudson. Elle est montée sur plein de châteaux d’eau. En fait, j’ai dû la faire marcher plus lentement et lui demander d’avoir l’air moins confiant, pour que ce soit plus angoissant pour le public ! Donc oui, c’est possible, mais n’essayez pas ça à la maison ! C’est dégoûtant, et parfois l’échelle ne descend pas jusqu’en bas. C’est très épais, on risque de se noyer.
Diriez-vous que vous abordez des questions sociales, par exemple dans la relation entre Ty et Ginnie ?
Il est clairement question de classes. A New York, ce qui est génial, c’est qu’on a affaire à des personnes très différentes, on est jeté dans un monde où on croise sans cesse des gens. Et j’adore cette idée. Ces personnages incroyablement insolents et sûrs d’eux qui se sentent bien dans un monde, mais quand ils passent dans un autre, ils changent, ils se mettent à jouer un rôle. Tout pour moi commence avec les personnages. Je n’ai pas du tout fait ce film avec l’intention d’aborder des problèmes sociaux, mais quand on crée des groupes de personnages très variés, le public peut en retirer beaucoup de choses. Donc je pense que c’est présent, mais ce n’était pas mon point de départ. Mon point de départ à toujours été : « qui sont ces gens ? que font-ils là et pourquoi ? ».
Les personnages ne semblent pas accorder d’importance à la couleur de la peau. En revanche, ils ont une « conscience de quartier » : venir du Bronx ou venir du Queens, ce n’est pas du tout la même chose. Mais ils ne semblent pas s’intéresser à la couleur de peau ou à d’autres différences culturelles.
Il y a deux personnages principaux Afro-Américains. Leur race façonne ce qu’ils sont. Ça existe dans le film, mais ce qu’ils font pendant ces deux jours n’est pas lié à un problème social à leurs yeux. Ils n’ont pas le temps de s’occuper de ça. Évidemment, ça fait partie de ce qu’ils sont. Quand Sofia et Ginnie se rencontrent, et Ty et Malcolm, c’est présent. Et avec les gamins blancs qui frappent Sofia. Il y a des éléments, mais vous avez raison, ce n’est pas un film sur l’identité raciale, c’est un film sur la communauté, celle du Bronx, celle du graffiti, et plus généralement celle de New York.
Est-il possible à New York d’être à la fois fan des Yankees et des Mets ?
Absolument pas ! Il faut choisir. Il y a des fans des Yankees, comme moi, qui souhaite que les Mets réussissent. Ils jouent dans une autre division, ils sont mignons, c’est la plus petite équipe des deux. Mais ça, ça agace beaucoup les supporters des Mets : ils détestent les Yankees parce qu’ils sont toujours devant eux. Alors quand je dis « Les Mets sont bons en ce moment, j’espère que ça va continuer », ils me disent tout de suite d’arrêter ! Et puis, si on vient du Queens ou de Brooklyn, on soutient généralement les Mets, tandis que si l’on est de Manhattan ou du Bronx, on est pour les Yankees. Mais il doit bien y avoir des exceptions.
Propos recueillis par Christophe Beney et Nathan Reneaud
Traduit de l’anglais par Anna Marmiesse