Pourquoi les personnages de DANS LA MAISON vont-ils voir MATCH POINT ?
Dans la maison : peut-on y entrer sans verser dans la théorisation et l’explication de texte, deux aspects qui rendent le nouveau Ozon problématique ? A défaut de dire ce qu’elle est, de quoi elle est faite, ce métafilm plus proche de Woody Allen que de Pasolini a le mérite d’exciter l’imagination : pourquoi va-t-on y voir Match Point ?
Souvenons-nous d’Angel, l’enfant des « slums », l’héroïne du seul vrai mélo d’Ozon. Que veut-elle ? Entrer « dans la maison », entrer dans le manoir Paradise qu’elle admire depuis son enfance et qu’elle finit par s’offrir. Comment y parvient-elle ? En écrivant des romans à l’eau de rose qui la rendent aussi célèbre que Charles Dickens. Claude Garcia, l’apprenti écrivain du nouveau Ozon, réussit à entrer dans la maison de banlieue de l’un de ses camarades de classe. Pour voir comment fonctionne « la famille normale » de « la classe moyenne », lui qui a été abandonné par sa mère et se retrouve avec un père chômeur handicapé. Le prof interprété par Luchini a cette expression qui vaut pour Angel et éclaire sur la relation privilégiée d’Ozon avec le mélodrame hollywoodien : « il est fâché avec le réel ». D’où le refuge dans l’imaginaire et la fiction. De ses séjours, Claude tire en effet une série de rédactions qu’il soumet à Germain (Luchini donc), son professeur de français qui l’encourage à ses risques et périls, voyant dans l’adolescent l’écrivain qu’il n’a pas pu être. « Those who can do, those who can’t teach ». Ou font de la critique. A suivre.
La relation complice entre le maître et l’élève s’instaure dans un lycée où l’on expérimente retour à l’uniforme et nouvelles formes de pédagogie (rouge à bannir pour la correction des copies, dire « apprenant » plutôt qu’ « élève »). Ce qu’il faut d’abord retenir de ce lieu, qui donne à Dans la maison un caractère d’anticipation ou de récit utopique, c’est son nom : Gustave Flaubert. Celui-ci dit bien ce qui attend Claude (une initiation à la grande littérature populaire) et ce que lui attend de son intrusion dans la maison (une éducation sexuelle et sentimentale). Cette quête n’est valable que si l’on accepte l’aspect théorique de Dans la maison, le manque d’épaisseur de ses personnages de fiction à l’intérieur de la fiction, et la médiocrité des acteurs qui les incarnent. Ozon est un malin. Si ces personnages sont fades, si les acteurs sont médiocres, c’est parce qu’il l’a voulu ainsi. Si la scène est mauvaise, c’est parce qu’elle est mal écrite par l’élève.
C’est le principal reproche que l’on peut faire à dans Dans la maison : l’excès de lisibilité, l’explication de texte après la remise de la copie. Germain décrypte la prose de Claude comme le critique blasé de La jeune fille de l’eau de Shyamalan commente l’approche du monstre qui va le dévorer : « Tu fais une parodie. Tu veux être un caricaturiste ? », « C’est du Barbara Cartland », « Tu veux révéler les désirs latents de la famille normale ? Le fils, le père, la mère. C’est du Pasolini ! ». Fausse bonne piste que celle de Théorème auquel Germain pense évidemment très fort, quand Ozon pense peut-être aussi un peu à lui-même. Sitcom, son premier long métrage,reprenait la trame du Pasolini en remplaçant l’éphèbe par un rat, et en s’ouvrant comme se clôt Dans la maison, par une référence au théâtre. Son jeu de massacres commençait par un lever un rideau, après les fameux trois coups du brigadier. Ici, un volet noir se ferme sur l’immeuble auquel font face Claude et Germain. Les appartements s’illuminent. Les histoires imaginées par le duo prennent vie. Dans la maison se termine là où commence Fenêtre sur cour.
Avec Dans la maison, l’éphèbe pasolinien est revenu.Et après ? Après Pasolini ? Woody Allen, jamais cité mais convié comme maître de la métafiction, cinéaste de l’imagination au travail. Claude narre face caméra. Germain fait irruption dans le monde imaginaire de Claude et s’adresse à lui telle sa conscience, sans être vu des êtres de fiction. Germain et sa femme connaissent Woody Allen. Ils vont voir Match Point. En 2012 ! Leur curiosité pour les textes voyeuristes de Claude auraient dû les porter vers Meurtre mystérieux à Manhattan – en fin de compte, Ozon préfère remonter à la source : Fenêtre sur cour, éternelle parabole sur le cinéma. Pure coïncidence mais Match Point entretient avec Crime et délits – avec lequel il forme un diptyque dostoïevskien sur le crime sans châtiment – le même genre de rapport que Dans la maison avec Sitcom. Dans Crimes et délits, Crime et châtiment est omniprésent mais on ne le cite pas. Dans Match Point, Chris Wilton lit le roman de Dostoïevski et Allen le filme en gros plan. De Sitcom à Dans la maison, la référence à Pasolini est elle aussi devenue voyante. Et vaine.
Vain sur vain : pas d’autre note possible pour cet exercice de style.
DANS LA MAISON (France, 2012), un film de François Ozon, avec Fabrice Luchini, Ernst Umhauer, Kristin Scott Thomas, Emmanuelle Seigner, Denis Menochet. Durée : 105 min. Sortie en France le 10 octobre 2012.