De DEMONLOVER à APRES MAI, de la critique à la réalisation

Dernier volet de notre trilogie consacrée à Olivier Assayas avec ce double article en texte et en vidéo,  idéal pour accompagner le parrain du FIFIB sur ses deux terrains de prédilection : la critique et la pratique cinématographiques.  Avec Demonlover en trait d’union, thriller sur fond de pornographie, sa réflexion sur le pouvoir de fascination des images, et sa journée de tournage au cœur du désert un 11 septembre 2001.

Demonlover réfléchit à la valeur des images : ce qu’elles cachent, ce qu’elles veulent dire, ce qu’elles impliquent. D’abord à leur dimension sensorielle : il y a le trouble créé par la mise en scène mobile, nerveuse, étourdissante et virtuose d’Assayas ; l’animation 3D cheap et rugueuse des hentaï ; la texture des images numériques qui vampirisent peu à peu l’ensemble du film.

Puis, de manière plus subtile, le film réfléchit au jeu d’apparences auquel se prêtent les personnages, ces hommes et femmes d’affaires tirés à quatre épingles dont les failles ne tarderont pas à transparaître, derrière le masque de l’hypocrisie.

Toutes ces images de films dans le film, des bribes de film d’action diffusées dans un avion aux snuff movies interactifs disponibles sur Internet. sont vecteurs ou produits de pulsions refoulées, sexuelles ou meurtrières, que la société sème dans les esprits mais empêche d’éclore. Le rapport sexuel n’aura jamais complètement lieu entre Diane (Connie Nielsen) et son collègue Hervé (Charles Berling), interrompu par l’arrivée inopinée d’un personnage dans la pièce, ou carrément par un meurtre. C’est l’agitation d’une société laissant ces êtres si seuls dans leurs complexes qui les empêche de vivre leurs désirs, donnant ainsi naissance aux individus tourmentés et pervers que sont les bourgeois pathétiques d’Assayas. Diane sera entraînée dans une spirale de violence, transformée contre son gré en tueuse trop faible pour assumer ses actes ; Elise (Chloë Sevigny), l’assistante docile de Diane, pourra enfin laisser exploser sa rancoeur envers cette dernière à la place de son ancienne supérieure, Karen, mais c’est un baiser qu’elle finira par lui donner durant son sommeil.

Puis Diane fera un soir la découverte de Hellfire, le site de torture interactif appartenant à la société Demonlover. D’abord intriguée et sûrement dégoûtée par l’ultra-violence du site, sa visite nocturne dégénère en une scène étourdissante où les images des sévices défilent jusqu’à la nausée. Le moment sera seulement interrompu par l’arrivée de Karen, qui avouera à Diane avoir elle aussi passé du temps sur le site, non par excitation mais par fascination.

Hellfire reflète la face cachée de tous ces personnages aussi pervers dans le fond qu’ils sont sains en apparence. C’est le symbole de leur faiblesse, la brèche ouverte sur leur propre folie. Les vidéos du site ne font que matérialiser leurs pulsions les plus violentes et réfrénées.

Diane deviendra à son tour, par un concours de circonstances, une de ces femmes-objets soumises aux demandes des adhérents du Hellfire club : déguisée en une Emma Peel de pacotille, elle tentera de s’enfuir de cette maison perdue dans le désert, en vain.

Demonlover se fait de plus en plus pessimiste, à mesure que l’esthétique des vidéos Hellfire contamine celle du film, que les plans fixes et mécaniques supplantent la caméra à l’épaule, que l’absence de réflexion face aux images favorise la propagation de l’horreur.

Assayas a l’audace de clore son film sur l’image d’un adolescent manipulant une maquette d’ADN dans sa chambre, après avoir fait une demande de châtiment sur Hellfire. Sans se rendre compte des conséquences de son geste et face au visage implorant de Diane sur l’écran, il fabrique à son niveau un symbole de vie. Demonlover adopte alors la curieuse allure du film de zombies, avec ses humains abrutis par la banalisation de la violence qui donnent naissance à une génération prête à pousser encore plus loin les limites de la cruauté.

Samuel Gleyze

 

Olivier Assayas revient sur l’état hallucinatoire dans lequel baigne Demonlover, évoque son engagement et explique pourquoi il a fait une exception en commandant une bande originale à Sonic Youth, justement pour Demonlover.

Captation et montage : Florent Augizeau

Les Accrédités
Les Accrédités

Chloé Damaret, Jean Briot, Florent Augizeau et Samuel Gleyze sont élèves de Première et de Terminale à Bordeaux. Du 3 au 9 octobre 2012, ils sont "les accrédités", nos apprentis critiques, et constituent la rédaction d'Accréds pendant le 1er Festival International du Film Indépendant de Bordeaux.

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