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Un vieux grincheux se retrouve flanqué d’un robot humanoïde programmé pour le materner : un premier long-métrage suffisamment ambitieux pour ne pas se reposer sur son pitch, mais pas assez pour donner à ses très bonnes situations dramatiques l’ampleur qu’elles méritent.
Ce qu’il y a de bien avec Robot & Frank, c’est qu’il nous dit justement en une scène ce qui n’est pas bien chez lui. La déclaration intervient à peu près à mi-parcours. Frank (Frank Langela) et Jennifer (Susan Sarandon) se rendent à une soirée chez un horrible petit type pédant, chacun flanqué de son robot. Nous sommes dans un futur proche, les robots sont parmi nous, mais pas tous égaux. Celui de Jennifer s’appelle Mr Darcy et ressemble à une imprimante laser à roulette, alors que celui de Frank est un vrai bipède à la démarche d’astronaute. Leur cerveau est à la hauteur de leur apparence. Pour le plaisir, leurs propriétaires les encouragent à engager la conversation. Après un premier essai peu concluant, le robot de Frank se lance et demande à son congénère comment il va. Réponse superbe de neutralité : « je fonctionne normalement ». Et les robots de se tourner vers leurs maîtres, estimant visiblement tous deux avoir fait le tour de la question. Voilà ce qui ne fonctionne pas dans Robot & Frank : il pose des questions vertigineuses auxquelles il se contente de répondre laconiquement.
Reconsidérons le potentiel de la scène décrite : deux machines programmées pour poser et répondre à des questions, entre autres tâches, forcées d’engager une conversation. Cela aurait dû être un effet Larsen de l’absurde, un enchaînement de questions-réponses allant s’accélérant, une boucle sans fin que seul l’arbitrage d’humains soudain paniqués aurait pu rompre, avant la surchauffe des machines. Robot & Frank, c’est un « aurait pu » ou un « aurait dû ». Un premier long-métrage dont le mérite essentiel est d’éviter les facilités, de ne pas se vautrer dans l’esthétique Sundance comme le fait le moins imaginatif des cochons dans la boue, de ne pas se contenter de son pitch pétillant (un vieux grincheux se retrouve flanqué d’un robot programmé pour le materner), d’y adjoindre une intrigue (le vieux grincheux est un monte-en-l’air, ancien détenu célèbre pour ses cambriolages) et des enjeux remarquables (le vieux grincheux a de fréquentes pertes de repères que compense son robot, infaillible sur ce plan là, alors que pendant ce temps, les livres de la bibliothèque de sa ville disparaissent pour être numérisés : le parallèle est limpide entre les deux types de remplacement de mémoire). C’est bien, mais pas assez. Il aurait fallu un dialoguiste qui n’hésite pas à tirer à ligne, surtout avec un Frank Langella si à son aise, il aurait fallu davantage de théâtre –un comble quand on parle de cinéma, mais tant pis –, il aurait fallu un Beckett. Ou à défaut, le plagier, tant pis (encore).
Frank et son robot, c’est Hamm et Clov dans Fin de partie, deux représentants de mondes perdus (le premier est plus proche de la fin que du début, le second n’a pas d’avenir, comme lui fait remarquer malicieusement Frank, signalant que les robots seraient incapables de contrôler le monde sans les humains). Ils pourraient gloser sur leur condition, pas seulement parce qu’ils n’auraient que ça à faire, mais parce que les sujets de conversation ne manqueraient pas. Non, dans Robot & Frank, les sujets de conversation sont même suffisamment nombreux pour espérer en voir un jour un remake – qui sait ? -, comme si ce film était le plan détaillé d’une dissertation à venir, plus belle.
ROBOT & FRANK (Etats-Unis, 2012), un film de Jake Schreier, avec Frank Langella, James Marsden, Susan Sarandon, Liv Tyler. Durée : 89 min. Sortie le 19 septembre dans les salles françaises.