Les + de Berlin 2012

Difficile de s’y retrouver parmi les plus de 150 nouveaux longs-métrages que la Berlinale propose du 9 au 19 février 2012. Sur le papier, certains sortent de la masse, pour de bonnes ou de mauvaises raisons : des chats à gogo, des Nazis venus de la Lune, des Chinois très énervés, de la radioactivité, Tippi Hedren, etc. Quels sont les + de cette 62ème édition ? Petit parcours hors des sentiers battus.

 

Le + ambigu : MOMMY IS COMING de Cheryl Dunye (Panorama)
Le pitch ou presque : L’histoire d’une maman. Qui est sur le point d’arriver. Ou de jouir.

Le + : « To come » pour « venir » ou pour « jouir » ? Les esprits mal placés que nous sommes sont rassurés : Cheryl Dunye joue ouvertement sur ce double sens, avec l’irruption d’une mère en pleine crise conjugale, débarquant à Berlin pour découvrir que sa grande fille a eu le cœur brisé par sa compagne. Cette découverte pourrait bien lui ouvrir de nouveaux horizons sexuels… Mommy is Coming est un candidat autoproclamé au Teddy Bear, surtout avec Wieland Speck au casting, le flamboyant et gay coordinateur de la section Panorama de Berlin depuis 1992.

 

Le + chinois : FLOWERS OF WAR de Zhang Yimou et FLYING SWORDS OF DRAGON GATE 3D de Tsui Hark (Hors-compétition)
Le pitch ou presque : Dans Flowers of War, un thanatopracteur joué par Christian Bale se rend à Nankin en 1937, avant que la ville et ses habitants ne subissent les exactions de l’armée japonaise occupante. Il y a la guerre, mais il n’y a pas de fleurs, alors qu’au contraire dans Flying Swords of Dragon Gate, Jet Li utilise sûrement des épées volantes sur le pont du dragon.

Le + : Flowers of War est le plus gros budget pour un film chinois, le plus gros succès au box-office chinois pour l’année 2011 et il se paie en plus le luxe d’avoir une star américaine et le réalisateur de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. Les occidentaux qui l’ont vu lui reprochent son patriotisme prononcé et son manichéisme. Nous, nous imaginons mal comment un film pourrait évoquer des dizaines de milliers de viols et de meurtres, sans faire passer les japonais qui les ont commis pour des monstres absolus… Flying Swords of Dragon Gate 3D, lui, est l’autre grand succès au box-office chinois, peut-être celui qui signe l’entrée définitive du cinéma de Tsui Hark dans le giron de la Chine continentale, après un Detective Dee idéologiquement digne de Hero (Zhang Yimou) ou de L’empereur et l’assassin (Chen Kaige).

En bonus, un Christian Bale pas patriote du tout :

 

Les + cool : CHOCO de Jhonny Hendrix Hinestroza et XINGO de Cao Hamburger (Panorama)

Le pitch ou presque : Dans Choco, une jeune femme acculée par la pauvreté se voit forcer de quitter sa campagne. Xingo, lui, raconte la véritable histoire des frères Villas-Bôas, fondateurs dans les années 1950 et 1960 de la plus importante réserve indigène du Brésil (dixit Wikipedia).

Le + : En additionnant l’anagramme de notre idole nationale au nom du plus grand des guitar heros, Jhonny Hendrix se pose d’emblée comme le patronyme le plus cool du monde. Quant au réalisateur de Xingo, il suffit de se rappeler la peur inspirée par Hamburglar ou l’émoi des internautes français à l’annonce de l’ouverture possible d’un Burger King pour savoir qu’un Hamburger a toujours bon goût.

 

Le + démoralisant : THE DELAY (LA DEMORA) de Rodrigo Pla (Forum)
Le pitch ou presque : Maria est une mère célibataire, qui travaille beaucoup pour gagner peu, et fait son possible pour élever ses trois enfants et s’occuper de son propre père, de plus en plus sénile. Elle se résout à abandonner ce dernier sur un banc public. Un jour de pluie. Et de froid.

Le + : Troisième long-métrage seulement pour l’uruguayen Rodrigo Pla qui est déjà une bête de festivals, récompensé pour La Zona en 2007 à Athènes, Bratislava, Carthagène, Fribourg, Miami, Montréal, San Francisco, Stockholm, Toronto et Venise (par ordre alphabétique), et pour Desierto Adentro en 2008 à Amiens, Guadalajara, Haifa et La Havane. Tant mieux, parce qu’il en faudra du talent pour empêcher les spectateurs de La Demora d’avaler d’une traite leur tube de Lexomil pendant la projection.

 

Le + Lolcat : RENT A CAT de Naoko Ogigami (Panorama) et FRANCINE de Brian M. Cassidy et Melanie Shatzky (Forum)
Le pitch ou presque : L’héroïne de Rent a Cat promène des chats dans son chariot pour les louer aux personnes qui se sentent trop seules. Francine, elle, est une ex-détenue en conditionnel qui va s’épanouir au contact des animaux.

Le + : On ne sait pas à quel point Francine (avec Melissa Leo dans le rôle titre) sera kikoolol, faute d’images fortes, mais Rent a Cat place d’ores et déjà la barre très haut, avec sa bande-annonce à haut degré de félinitude. Assurément le digne successeur de The Future de Miranda July, dont le chat Paw Paw avait enchanté les Berlinois l’année dernière.

 

Le + philosophe : SOMETIMES WE SIT AND THINK AND SOMETIMES WE JUST SIT de Julian Pörksen (Perspektive Deutsches Kino)
Le pitch ou presque : Un quinquagénaire emménage dans une maison de repos où il décide de ne strictement rien faire et de se laisser vivre. Sa paresse va déclencher de violentes réactions dans son entourage.

Le + : Julian Pörksen n’a que 27 ans, mais il a déjà tout compris à la vie. En disciple de la philosophie stoïcienne et de l’école coluchiste la plus radicale, celle du « sois feignant, sois feignant, tu vivras longtemps », il consacre un court-métrage (32 min, point trop n’en faut) à ce qu’il présente volontiers comme « une ode à l’oisiveté » ou « un road movie sans route ». « Parfois on s’assoit et on pense et parfois on est juste assis » : futur Ours d’Or de la branlitude.

 

Le + « Trailer est-il ? » : IRON SKY de Timo Vuorensela (Panorama)
Le pitch ou presque : En 1945, les Nazis perdent la guerre pour mieux la regagner plus tard. Ils défient les lois de la gravité pour s’installer sur la face cachée de la Lune et préparer leur terrible contre-attaque. En 2018, leurs hordes de vaisseaux spatiaux s’abattent sur la Terre dans un numérique métallisé rappelant Capitaine Sky et le monde de demain.

Le + : Les Nazis restent une valeur sûre du villain, surtout quand, par un heureux choix de casting, leur chef est interprété par Udo Kier, que l’on avait quitté sur une superbe facepalm dans Melancholia (« je ne veux pas voir la mariée »), après qu’il a côtoyé du Nazi, déjà, et des loups-garoutes dans la fausse BA Grindhouse de Rob Zombie, Werewolf Women of the SS. Derrière la caméra, un finlandais bercé trop près du mur dans sa petite enfance, Timo Vuorensela, déjà responsable de Star Wreck, comédie à tendance nanardeuse pillant Star Trek et Battlestar Galactica. Nous avions beaucoup ri à Cannes en 2010, en montrant du doigt l’affiche de cette improbable projet alors intitulé Nazis from the Moon, vendu au marché du film. Le voilà maintenant présenté à Berlin. On ne se moquera plus jamais, promis.

 

Le + experimental : WHITEONWHITE:ALGORITHMICNOIR réalisé par Eve Sussman et la Rufus Corporation (Forum)
Le pitch ou presque : Un géophysicien se retrouve coincé dans une métropole à l’architecture 70’s, gouvernée par un consortium pétrolier. Au milieu de ses concitoyens sous lithium, il se rend compte progressivement que tous ses faits et gestes sont contrôlés par la cité.

Le + : whiteonwhite:algorithmicnoir est un film monté en temps réel, en cours de séance, par un ordinateur que ses programmateurs appellent la « serendipity machine ». Chaque projection possède sa propre narration et combine, grâce à un système de mots clés, des éléments puisés parmi 3 000 clips, 80 voix off et 150 extraits musicaux. Après sa présentation au Festival de Toronto, whiteonwhite:algorithmicnoir fait l’objet de séances quotidiennes, toutes uniques, pendant toute la durée de la Berlinale.

 

Le + Sundance : FOR ELLEN de So Yong Kim
Le pitch ou presque : Un rockeur (Paul Dano) qui se fiche de sa fille comme de sa première guitare doit partager avec son ex-femme la garde de la petite.

Le + : Berlin offre parfois leur première européenne aux films les plus remarqués à Sundance. C’est le cas de For Ellen, premier long-métrage en anglais de la réalisatrice coréenne So Yon Kim, auteure en 2008 de Treeless Mountain, très bien accueilli par le festival de Robert Redford. Promesse de road-movie, retrouvailles père-fille, voyage intérieur : ne manque plus que la mention « par les producteurs de Little Miss Sunshine ».

 

Le plus radioactif : FRIENDS AFTER 3.11 de Shunji Iwai
Le pitch ou presque : Le réalisateur de l’immense Vampire, toujours inédit en France, est parti à la rencontre de militants antinucléaires, suite à la catastrophe de Fukushima. Il en a fait un documentaire diffusé à la télévision japonaise en octobre dernier, et aujourd’hui repris (et sous-titré en anglais) à Berlin.

Le + : Friends After 3.11 intègre un trio de films japonais consacré à Fukushima, aux côtés de No Man’s Zone de Fujiwara Toshi, présenté comme un « Stalker Tarkovskien en zone contaminée », et Nuclear Nation de Funahashi Atsushi, portrait d’un maire qui se retrouve sans ville. Au fait de l’actualité, la Berlinale s’intéresse également aux changements profonds de politique en Hongrie avec Magyarország 2011, film en douze segments qui sera présenté dans la capitale allemande par Béla Tarr, Ours d’Argent l’année dernière pour Le cheval de Turin.

 

Le + singulier : TIENS MOI DROITE de Zoé Chantre (Forum)
Le pitch ou presque : « J’avais 23 ans. J’étais à l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg où je pratiquais diverses techniques artistiques dont le dessin. Mon envie première était d’arriver a raconter ce que je vivais, et plus précisément l’histoire de ma colonne vertébrale et de ma tête. J’ai une scoliose, ce qui fait que ma colonne vertébrale est en forme de S. En plus, un angiome cérébral se développe dans mon cerveau gauche et me provoque de fortes migraines ophtalmiques. Je fais régulièrement des dessins réalisés sous crise et je décide, un jour, je ne sais pourquoi, de les filmer. Une manière de les archiver et de les introduire en douceur parmi d’autres images que je m’étais mise peu à peu à filmer au cours de mes journées ».

Le + : Il suffit de lire le pitch écrit par sa réalisatrice, non ?

 

Le + arlésien : CAPTURED de Brillante Mendoza (en competition)
Le pitch ou presque : Isabelle Huppert interprète la dirigeante d’une ONG catholique, prise en otage aux Philippines, et entraînée au fin fond de la jungle, avec des camarades d’infortunes. Elle l’a bien cherché : c’est elle, alors présidente du jury de Cannes 2009, qui avait remis le Prix de la mise en scène à Brillante Mendoza pour Kinatay, dans lequel il ne faisait déjà pas bon être une femme victime de kidnapping.

Le + : depuis les premières vidéos du tournage du film postées en mars 2011 par Michel Reilhac, le directeur d’Arte France Cinéma bien connu des Twittos, Captured ne cesse d’être annoncé en festival. Au point que Le Film Français, mal informé sur ce coup, l’avait même présenté comme le film surprise de la dernière Mostra, en lieu et place de People Mountain, People Sea. Le nouveau Mendoza aura passé beaucoup plus de temps en salle de montage, qu’en tournage. Un tournage épique, de trois semaines seulement, où acteurs professionnels et non professionnels se mélangent (une ex-otage joue même le rôle d’une otage), suivent des consignes différentes en fonction des langues pratiquées, sous la houlette d’un réalisateur qui se targue de dormir seulement trois heures par nuit. Petit rappel en vidéo, grâce à Michel Reilhac :

 

Le + vénal : LA CHISPA DE LA VIDA d’Alex de la Iglesia (hors-compétition)
Le pitch ou presque : Un publicitaire au chômage, autrefois inventeur d’un slogan mémorable pour Coca-Cola, est victime d’un accident qui le laisse dans une position si périlleuse, que sauveteurs, pompiers et médecins n’arrivent pas à s’entendre sur leurs méthodes d’intervention. Les caméras arrivent et notre victime veut tirer profit de sa médiatisation…

Le + : C’est No Man’s Land au pays des capitalistes. Chez Danis Tanovic, deux soldats ennemis, l’un bosniaque et l’autre serbe, se retrouvaient coincés sur une mine et sous le feu des caméras. Chez De la Iglesia, la société de consommation et la crise ont transformé l’Espagne en pays aussi miné que s’il était en guerre. Avec en prime Salma Hayek-Pinault dans le rôle de l’épouse du publicitaire arriviste et piégé, pour ajouter du piquant au discours.

 

Le + revival : JAYNE MANSFIELD’S CAR de Billy Bob Thornton (en compétition)
Le pitch ou presque : En 1969, un vétéran de la Second Guerre mondiale apprend la mort de son ex-femme, partie depuis longtemps vivre en Angleterre avec un autre homme. Elle souhaitait être enterrée en Alabama, sa terre natale, mais la rencontre entre familles américaine et anglaise va se passer encore moins bien que prévue.

Le + : Assurément le casting avec la moyenne d’âge la plus élevée de tous les films en compétition. En plus de convoquer le souvenir d’une actrice morte en 1960, Jayne Mansfield’s Car fait appel à Robert Duvall (81 ans), John Hurt (72 ans) et Tippi Hedren (on ne donne pas l’âge d’une actrice hitchcockienne qui a eu l’élégance de ne pas crier au viol devant The Artist). A leurs côtés, Kevin Bacon et Billy Bob Thornton, dont c’est le premier film en tant que réalisateur depuis dix ans, font figure de gros bébés pas très mignons.

 

La 62ème Berlinale se déroule du 9 au 19 février 2012.