Envoyé spécial à… Séoul

Les yeux rivés à l’écran et l’accréd autour du cou, un regard unique sur un festival atypique…

Le CinDi, ou Festival du Cinéma Digital de Séoul, s’impose comme le quatrième rendez-vous cinéphilique de la Corée derrière Pusan, Puchon et Jeonju. Il s’agit surtout du seul festival important de la capitale. Cela n’a pas été sans mal : le temps d’une année (en 2008), Séoul a hébergé deux autres festivals quasiment en même temps que le CinDi (fin août, début septembre). Le Senef était le plus ancien mais aussi le plus petit. Chungmuro venait de se créer à coup de millions et d’arrogance politique de la part de la mairie. Ces deux festivals se sont éteints d’eux-mêmes, le premier pour des raisons de budget, le deuxième par manque de crédibilité. Le CinDi, lui, s’est construit sur des bases beaucoup plus solides. Même s’il n’a pas encore les moyens de proposer beaucoup d’exclusivité, il sera désormais « le Festival de Séoul ».

Qu’importe la mention « Cinéma digital », le festival rappelle surtout qu’un bon film obéit à des règles immuables. On peut le constater avec la présentation du premier film de Kim Ki-young, Box of Death, qui date de 1955. L’auteur, adulé des cinéphiles coréens, est légèrement plus connu en Europe depuis une rétrospective de ses oeuvres à la Cinémathèque en 2006 et grâce à la restauration puis au remake de son film emblématique : La servante (Hanyo). En 2010, Im Sang-soo délivre sa propre version d’Hanyo, rebaptisé The Housemaid à l’international.

Jusqu’ici, on pensait que Kim Ki-young avait démarré sa carrière avec Yangsan Province, disponible en import DVD : film mutilé (la fin est introuvable) et pourtant déjà un chef d’œuvre. L’attente était donc énorme pour Box of Death, réalisé quelques mois plus tôt, longtemps invisible en Corée, comme de nombreux films nationaux des années 1950 et antérieures. Les bobines de ces films ont souvent connu des parcours rocambolesques : retrouvées, ramenées et gardées par des propriétaires japonais ou américains. Les héritiers de Kim Ki-young ont expliqué que le cinéaste avait recherché Box of Death jusqu’à sa mort. Cette première oeuvre était cachée dans une université américaine…
Box of Death avait déjà été montré à la Cinémathèque de Séoul, mais il était important de l’exposer mondialement. Et le CinDi n’est probablement qu’un début. Le festival l’a présenté avec l’accompagnement musical d’un grand musicien local. La bande sonore, séparée de l’image, n’a pas été retrouvée. Et pourtant on voit des personnages dialoguer. Catastrophe ? Au contraire, il y a parfois beaucoup à voir dans un film sans parole. Surtout quand il vient d’une époque où le son était très pauvre, où tous les codes étaient encore ceux du muet (du moins en Asie, puisqu’aux Etats-Unis, par exemple, un certain Orson Welles avait depuis longtemps révolutionné l’utilisation du son au cinéma). Il y a encore plus à voir dans un film de Kim Ki-young, créateur d’images puissamment inspirées, visuellement très riches.
La découverte d’un tel premier film est un grand moment. Il rappelle ce qu’est la patte d’un cinéaste. Il ne faut pas plus d’une minute pour être sûr qu’il s’agit bien d’un Kim Ki-young. Ainsi le feu, obsession de l’auteur de Woman of Fire, est déjà omniprésent. Le réalisateur s’arrange pour mettre des bougies partout à l’image, tels des symboles de passions vibrante ou éteinte. Et puis ces décors  tortueux, ces matières sensuelles, ces plans incroyablement travaillés pour l’époque, c’est encore Kim Ki-young. Même sans le son, et c’est une gageure, le film captive : c’est incontestablement une œuvre de maître. L’absence du son met les spectateurs de toutes origines à égalité : à chacun d’imaginer ce que peuvent en être les dialogues.

Le CinDi a aussi présenté pour la première fois en Corée le dernier film de Kim Ki-duk, Arirang, primé au Certain Regard de Cannes. C’est un OVNI, qui exploite toutes les possibilités d’une caméra ultra légère. Kim Ki-duk s’est filmé seul, quasiment sous sa couette – c’est dire si c’est intime ! – et retrouve toutes les règles de base du cinéma. Il se demande quoi filmer, ce qu’est un film et propose finalement une leçon de cinéma, qui part du documentaire le plus cru pour se terminer par une pure fiction. Le film avait une résonance particulière en Corée puisque Kim Ki-duk évoque, sur un ton très franc, ses films, les gens avec lesquels il a travaillé, et tant d’autres problématiques susceptibles de lui causer un procès pour diffamation. La version présentée au CinDi est même expurgée des moments les plus sensibles. Mais ce pourrait être la seule projection majeure du film dans son pays puisque, pour les raisons précitées, Arirang ne sera pas distribué.
On ne peut pas dire que le reste des films ait occasionné autant de buzz auprès des festivaliers. A l’exception d’Hurrah, qui fut bien résumé par cette réflexion d’un spectateur : « En plus, on ne pouvait même pas dormir… c’était trop bruyant ». Des spectateurs d’autant plus énervés qu’il s’agit du seul film coréen de la compétition. Hurrah est provocateur sans être du Gaspar Noé ou du Grandrieux : il s’agit plutôt d’un vague bidouillage à prétention expérimentale, avec des plans plus longs, plus sombres, plus tremblants et abscons que la moyenne. Un film effectivement bruyant et non bruitiste, ce qui l’aurait rendu plus intéressant, puisque sa piste sonore n’est tout simplement pas mixée. Rien, absolument rien, ne s’y passe, ni émotion, ni expérimentation, ni cinéma.

Heureusement il y a aussi quelques vrais films au CinDi. Notamment un premier long-métrage japonais plaisant, primé à Rotterdam : Love addiction. Le film d’Uchida Nobuteru peut se résumer comme une grosse « crise de calcaire » entre deux jeunes couples. Mais Love Addiction réussit, ce qui est rare pour un film japonais sur un tel sujet, à ne pas être hystérique.
Du côté de la Corée, qui avait forcément toute notre attention, deux films rappellent que le cinéma national se lâche, sans atteindre la vraie folie du voisin nippon. Invasion of Alien Bikini est une série Z réalisée par une bande de joyeux lurons ayant tourné avec leurs petites économies, après avoir griffonné un scénario. L’amateurisme se ressent souvent, et le tout se délite sur la fin. Reste l’énergie d’un film qui promet une « Invasion d’Alien Bikinis » pour, en fait, n’en offrir qu’un, et celui d’une seule actrice… Mais elle est sexy pour dix, méchante pour la terre entière, et martyrise un malheureux « geek » qui a juré de faire abstinence. Les amateurs du genre adoreront, persuadés qu’ils pourront essayer de refaire le film chez eux (s’ils ont une copine partante pour reprendre le rôle, bien sûr…).

Autre fantasme « geek » : Ashamed de Kim Su-hyeon raconte l’histoire d’un couple de  lesbiennes et réunit à l’écran les très charmantes Kim Kot-bi (Breathless) et Kim Hyo-jin (The Legend of the evil lake). Cela peut suffire au bonheur de nombreux spectateurs… Pour le reste, Ashamed divise : certains y voient une expérimentation enthousiasmante et d’autres – c’est notre cas – y voient seulement une œuvre maladroite, notamment dans son approche de la sexualité. Mal filmé et mal monté, l’objet met avant tout mal à l’aise. Reste que ce genre de film ouvre des portes, pour décoincer d’autres réalisateurs locaux.

Le Cinema Digital Seoul Film Festival s’est déroulé du 17 au 23 août 2011.

Pour mémoire, le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul avait réalisé la bande-annonce officielle (pour le moins sobre) du CinDi 2011.

 

Yann Kerloch
Yann Kerloch

Ex-journaliste cinéma régulier (chez Monsieurcinema.com et Cinémasie notamment, en ayant fait ses armes à Libé), devenu journaliste cinéma occasionnel, et cinéaste plus régulier. Dans les deux cas, avec un goût prononcé pour l’Asie, et encore plus la Corée, où il vit actuellement.

Articles: 5