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Une histoire de compet’ de motocross, de romances discrètes, de relations filiales compliquées, aussi de découvertes adolescentes et d’atermoiements de jeune adulte, une histoire de tromperies, de secrets, de trahisons… Un premier long-métrage riche et peut-être même trop, aussi trop propre et trop sage. Il y a pire comme défauts mais il n’en faut pas plus pour nous retenir de nous enfoncer pleinement dans La Pampa.
On reproche souvent et à bien des auteurs leur paresse – manque d’ambition quand il s’agit de décupler et développer leurs personnages, manque d’enjeux, d’obstacles et autres péripéties censées structurer le récit – pour ne pas reconnaître qu’à l’autre bout du spectre Antoine Chevrollier raconte ici beaucoup de choses au fil de ce premier long-métrage (on lui doit précédemment la série Oussekine) : son protagoniste Willy a des problèmes à la maison, il s’entend mal avec sa mère, encore moins avec son beau-père, il a aussi un secret à garder, qui implique son meilleur ami et un collègue, et si Willy a un collègue c’est parce qu’il a un petit boulot de mécano de motocross, ceci en plus d’aider dans l’aide à domicile, travail de sa maman, et dans tout ça Willy doit aussi passer son bac cette année, ce qui n’est pas chose aisée quand on est aussi occupé, alors d’autant moins quand on fait la rencontre d’une jeune fille, etc., etc.
De fait, on culpabilise forcément un peu de finir par lui faire le reproche inverse, d’estimer qu’Antoine Chevrollier certes ne chôme pas mais qu’a contrario son approche est trop scolaire : le souci étant moins de trop en faire que de vouloir tout faire et tout bien faire, de tout ouvrir patiemment puis de tout refermer soigneusement. C’est ce qui le pousse notamment à rendre ses scènes dialoguées trop explicites. A l’exact inverse de Simon de la montaña de Federico Luis, présenté conjointement à la Semaine de la Critique 2024, ici les personnages se disent trop et trop bien les choses : conflits sentimentaux, conflits familiaux, dans La Pampa chacun sait dire ce qu’il faut dire quand il le faut, chacun sait trouver les bons mots, voire les bonnes formules.
Cela étant dit, dans l’absolu il n’est pas forcément rédhibitoire de cocher proprement les cases du cahier des charges du drame social, ni même d’en dévoiler légèrement les coutures si l’assemblage final est admirable, comme souvent chez Ken Loach et son scénariste Paul Laverty, par exemple. Convoquer cet illustre tandem n’est pas un hasard, et ne vise pas à écraser le jeune auteur sous le poids de la comparaison, c’est seulement que La Pampa rappelle çà et là le chef d’œuvre loachien Sweet Sixteen (2002). Le conflit entre Willy et son beau-père, et a fortiori avec sa mère, se cristallise notamment via le désir du couple d’emménager dans une nouvelle maison, perspective que l’adolescent reçoit comme un déchirement, presque physique. Comme dans Sweet Sixteen donc, mais sans égaler la déflagration émotionnelle qui s’en dégage. Par ailleurs, lors d’une embardée narrative quelque peu saugrenue, on s’étonne qu’Antoine Chevrollier affuble d’un coup d’un seul un personnage secondaire d’un don inouï pour le chant lyrique… puis ledit personnage, un peu gêné de s’être ainsi dévoilé, conclue cet instant de poésie par un improbable rot. Et l’on repense encore à Sweet Sixteen, cette fois à la scène où le jeune Liam et ses amis conduisent une voiture à toute berzingue et enchaînent les burns dans un terrain vague alors qu’ils écoutent de la musique classique à fond dans l’habitacle, finissant par s’en moquer en singeant les gestes usuels d’un chef d’orchestre mais l’écoutant néanmoins. On retrouve donc ici cette même idée du contre-point (activité supposément noble et ponctuation triviale) mais en laissant infuser celle que la contradiction existe déjà chez le personnage, soit une façon de ne pas se placer au-dessus de lui mais à son niveau. Dans La Pampa, on perd en élégance avec cette éructation, mais la proposition n’est pas si éloignée.
A regret, le reste du temps, le film d’Antoine Chevrollier pèche précisément par une volonté trop systématique de briguer ce contre-point, mais sans que cela ne nourrisse la caractérisation comme dans cette scène, y décelant seulement les oppositions et indécisions qui agitent l’auteur lui-même. L’écueil peut s’adresser plus généralement à un certain cinéma d’auteur social français, un cinéma de transfuges de classe, et si La Pampa est loin d’être le plus éreintant à cet égard, on lève quand-même les yeux au ciel quelques fois : lorsque le film semble prendre son courage à deux mains pour nous dire qu’aimer le motocross n’exclue pas d’apprécier aussi l’art contemporain ou les tapisseries médiévales ; tout du long quand s’opposent les chansons des jeunes résonnant intradiégétiquement et des mélodies extradiégétiques toujours plus éthérées, volontiers contrapuntiques donc ; et plus que jamais au moment où Willy danse au ralenti sur un air de Véronique Sanson, anachronisme dolanien post-moderne post-lourdingue. Émerge en cela un autre grief, corollaire : une écriture qui, parce qu’elle s’attache à des personnages jeunes, trahit souvent le plus grand âge de celui qui les fait s’exprimer, l’auteur lestant ses figures en leur allouant des tics de langage inadaptés ou des références improbables. Un ado d’aujourd’hui peut-il décemment faire allusion à Mr Bean ? Qui sait, peut-être. Mais si La Pampa nous fragilise au point que l’on s’interroge de la sorte au détour d’une scène, c’est bien que le film a globalement échoué à nous immerger pleinement dans son univers.
LA PAMPA (France, 2024), un film d’Antoine Chevrollier, avec Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard, Artus Solaro. Sortie en France non déterminée.